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Par Carenews INFO - Publié le 6 avril 2023 - 14:00 - Mise à jour le 11 avril 2023 - 10:51 - Ecrit par : Lisa Domergue
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Mégabassines : vraie (ou fausse) solution pour lutter contre la crise de l’eau ?

Solution pour la transition agricole pour certains, projet illustrant la mal-adaptation pour d’autres. Les mégabassines divisent. De quoi s’agit-il ? À qui profitent-elles ? Quels sont ses impacts ? Détails.

Il y aurait un peu moins de 300 projets de mégabassines en France. Crédit photo : Capture d'écran de Twitter.
Il y aurait un peu moins de 300 projets de mégabassines en France. Crédit photo : Capture d'écran de Twitter.

 

Depuis quelques semaines, les mégabassines font parler d’elles. Le 25 mars dernier, 30 000 militants écologistes – 6 000 selon la police – se sont rendus sur le site de Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres pour protester contre un projet de construction de 16 mégabassines. Résultat : des affrontements d’une rare violence. Un manifestant, Serge, est dans le coma. « Son pronostic vital est toujours engagé », ont informé ses parents dans un communiqué de presse datant du 4 avril. L’objet de toutes ces tensions : les mégabassines.

Qu’est-ce qu’une mégabassine ? 

Une mégabassine est en réalité une « réserve de substitution », c’est-à-dire une retenue d’eau artificielle, qui vise à fournir les exploitations agricoles, grâce à un réservoir d’eau à l’air libre, de huit à 18 hectares, soit l’équivalent de sept à dix terrains de foot. Elles peuvent atteindre 15 mètres de profondeur.

Selon le site d’information du gouvernement Vie Publique, une centaine de projets serait en cours dans l’Hexagone. Selon les associations de protection de l’environnement, qui ont créé une carte interactive des projets de mégabassines, il y en aurait un peu moins de 300. Ces immenses projets de retenue d’eau artificielle sont installés dans les zones particulièrement touchées par les pénuries d’eau durant les périodes de sécheresse, en Charente-Maritime, en Vendée et dans les Deux-Sèvres. 

Capture d'écran de la carte collaborative des projets de mégabassines.

Pourquoi construire des mégabassines ? 

L’objectif de ces projets « de transition agroécologique » selon Coop de l’eau 79, qui porte le projet des Deux-Sèvres, est de « réduire la pression sur la ressource ». En d’autres termes, les mégabassines ont vocation à prélever l’eau dans les nappes phréatiques en hiver, lorsqu’elles sont à leur plus haut niveau, pour les stocker en surface et ainsi éviter d’en pomper durant l’été, lorsque les cours d’eau et nappes sont asséchés. « Plus on stocke de l’eau l’hiver, moins on en pompe l’été. Les niveaux des rivières et des nappes sont ainsi préservés en juillet et août », peut-on lire sur le site Internet de la coopérative. 

Stocker de l’eau naturellement stockée 

Les associations ne voient pas ces projets du même œil. Pour Greenpeace, ils « accentuent la pression sur les ressources en eau, alors que les nappes phréatiques peinent à se reconstituer ». Et pour cause, ces constructions ne tiennent pas compte des effets du changement climatique et notamment des sécheresses hivernales, comme celle que la France a connue cette année. Les nappes phréatiques peuvent être vides, même en hiver.

Dans un article publié sur Bon Pote, Magali Reghezza, géographe et membre du Haut Conseil pour le climat (HCC) et Florence Habets, directrice de recherche CNRS en hydrométéorologie écrivaient déjà en août 2022 : 

Les mégabassines vont sans doute permettre de maintenir les usages sur la première, voire les premières années, d’une sécheresse pluriannuelle. Mais au prix de prélèvements conséquents dans les nappes et ces retenues, largement supérieur à la capacité de recharge durant cette sécheresse longue. La somme de ces prélèvements peut alors contribuer à augmenter la durée de la sécheresse.

Autre point soulevé par les associations et les scientifiques : l’évaporation de l’eau stockée dans les mégabassines. Elle serait responsable de 20 à 60 % des pertes, selon Christian Amblard, directeur de recherche honoraire au CNRS. La Confédération Paysanne alerte également sur la qualité de l’eau qu’on « rend stagnante, alors qu’elle était courante ». 

Un exemple de mal-adaptation ? 

Au vu du contexte de crise climatique, les projets de « réserve de substitution » peuvent-ils répondre à la crise de l’eau ? Selon un rapport du BRGM, le service public de recherches géologiques et minières, ils permettraient une « amélioration globale du niveau des nappes en printemps-été » ainsi qu’une augmentation du débit des cours d’eau de 5 à 6 %. Ces conclusions ne prévoient cependant pas les effets du réchauffement climatique. Les mégabassines « constituent l’exemple-type de la “mal-adaptation” au changement climatique », estime un communiqué inter-associations publié à la suite de la manifestation du 25 mars à Sainte-Soline. 

Et qu’en pense le GIEC ? Il « n’est pas prescriptif et ne recommande rien », rappelle à franceinfo l’un des auteurs du rapport, Christophe Cassou. Dans l’article, un autre expert du groupe explique cependant que les mégabassines pourraient être un exemple de mal-adaptation : « Au lieu de penser à une réduction de la consommation, les infrastructures comme les “bassines” pourraient enfermer les usagers dans une voie non soutenable. Au bout d'un moment, cette mesure d'adaptation pourra perdre son efficacité. »

À qui profitent les mégabassines ? 

Ces projets de retenues d’eau artificielles permettront-ils de « conserver et développer les filières agricoles », comme le défend Coop de l’eau 79 ? Ce n’est malheureusement pas si simple. Les mégabassines permettront d’alimenter en eau les cultures en irrigation, qui représentent 20 % des exploitations en France, selon Vie Publique. Il s’agit principalement du maïs (41 % des surfaces cultivées en irrigation) et des céréales (17 %). Ces cultures sont très consommatrices d’eau et… principalement destinées à nourrir le bétail, comme le rappelle Greenpeace dans son communiqué : « En 2016, seuls 24 % des céréales en Europe étaient cultivées pour nourrir directement des humains. Autre chiffre intéressant : plus de 71 % des terres agricoles de l’Union européenne servent à alimenter le bétail. »

C’est d’ailleurs l’un des « objectifs économiques » de Coop de l’eau 79 : « Pérenniser les exploitations agricoles, créatrices d’emplois, en sécurisant leur fonctionnement, en particulier les activités sensibles telles que l’élevage (40 % des exploitations). »

Autre problème : tous les agriculteurs n’auront pas accès à ces mégabassines. « Elles alimentent en eau de grosses exploitations qui servent un modèle principalement exportateur ne participant pas à la souveraineté alimentaire », dénonce la Confédération Paysanne. Par exemple, seulement 6 % des agriculteurs seraient concernés par le projet de mégabassine de Sèvre Niortaise et Mignon. Dans les Deux-Sèvres, seulement 483 agriculteurs sur 847 pourront utiliser ces installations en échange d’une cotisation selon la CGT. Cela pose donc la question de la privatisation de l’eau alors que ces projets sont subventionnés à hauteur de 70 % par l’argent public. 

Que dit la justice ? 

Depuis de nombreuses années, les associations de protection de l’environnement tentent la voie légale pour interdire la prolifération de ces constructions. Selon l’association anti-bassines Bassines Non Merci, 14 recours juridiques ont été portés et six ont été gagnés. La cour d’appel de Bordeaux a par exemple interdit cinq retenues d’eau en Charente-Maritime et dans les Deux-Sèvres pour « raison d’étude d’impact insuffisante ». Une mégabassine dans le Val-d'Oise va être également rebouchée « sur ordre de la préfecture » pour non-respect du plan local d’urbanisme. Quant au méga-projet de Sainte-Soline, la présence d’espèces protégées au cœur de cette zone Natura 2000 pourrait rendre « les travaux de fait illégaux », explique l’enseignant-chercheur Dorian Guinard au journal Basta Mag.

Quelles sont les autres solutions pour lutter contre la crise de l’eau ?

Les associations tentent donc la voie légale pour interdire ces installations. Pour lutter contre les pénuries d’eau douce, qui iront en s’empirant, les associations prônent de « bonnes mesures d’adaptation » telle que l’agroforesterie. Quelques jours après le plan d’eau annoncé par Emmanuel Macron qui vise à réduire de 10 % la consommation d’eau d’ici 2030, les associations telles que Greenpeace, mais aussi les scientifiques, rappellent que la vraie solution est la sobriété qui sera permise par un changement de notre modèle agricole : 

Plus qu’une solution unique, c’est un changement profond du modèle agricole et de l’aménagement du territoire qui est nécessaire : moins d’artificialisation des sols, soutien à des pratiques agricoles qui restaurent les sols et leur capacité de stockage, valorisation de cultures adaptées aux conditions climatiques, appui à l’agriculture écologique et locale…

 

Lisa Domergue 

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