« Mort sociale » chez les personnes âgées : les Petits Frères des Pauvres alertent sur un isolement grandissant
Dans la troisième édition de leur baromètre, consacré à la solitude et à l’isolement des personnes de plus de 60 ans, les Petits Frères des Pauvres tirent la sonnette d’alarme. Selon l’association, plus de 750 000 personnes sont en situation de « mort sociale » en France, c’est-à dire sans aucun contact familial, amical, de voisinage ou associatif, ou presque. Face à une situation politique instable et à l’« oubli » de la loi Grand âge, elle appelle à la mobilisation.

« Une urgence sociale et politique », alertent les Petits Frères des Pauvres. Selon la troisième édition de leur baromètre - intitulé « Solitude et isolement : quand on a plus de 60 ans en France » et publié le 30 septembre 2025 - plus de 750 000 personnes âgées sont aujourd’hui en situation de mort sociale. Ce terme est défini par l’association comme « la forme la plus avancée de l’isolement social », résidant dans « l’absence quasi totale de contacts avec les quatre cercles de sociabilité : famille, amis, voisinage, réseaux associatifs ».
Des situations d’isolement de plus en plus présentes
« Le constat (...) est sans appel : la situation empire », analyse l’association, dont la mission est d’agir contre la solitude et l’isolement des personnes âgées, et en priorité les plus démunies. « L’isolement social des personnes âgées n’est pas du tout en recul bien au contraire. Quasiment tous les indicateurs de mesure de cet isolement social sont en augmentation », relève également Anne Géneau, présidente des Petits Frères des Pauvres, en introduction du baromètre.
En 2017, les Petits Frères des Pauvres recensaient 300 000 personnes âgées en situation de mort sociale, soit une progression de plus de 150 % en moins de dix ans. Le baromètre 2025 indique également que 2 millions de personnes de plus de 60 ans sont coupées de leurs familles et de leurs amis, 1,5 million ne voient jamais ou presque jamais leurs enfants ou petits-enfants, 1,1 million n’ont aucun lien amical même à distance, 2,5 millions se sentent seuls tous les jours ou presque et 9 millions ne sortent pas de chez elles quotidiennement.
Cet isolement se couple à une hausse de la pauvreté chez les personnes âgées, souligne l’association. « Le taux de pauvreté des personnes âgées est en hausse constante depuis plusieurs années et atteint pour 2023 11,4 % (vs 11,1 % en 2022), dans un contexte de hausse globale de la pauvreté pour l’ensemble de la population, et où l’écart entre le minimum vieillesse et le seuil de pauvreté augmente lui aussi », appuie Anne Géneau.
Un échec des politiques publiques ?
« Malgré les politiques et stratégies mises en place, on ne perçoit pas de réelle amélioration. Cela montre que la lutte contre l’isolement des personnes âgées reste un enjeu majeur des politiques publique », considère de son côté Dominique Libault, directeur de l’École nationale supérieure de Sécurité sociale (EN3S), et président du Haut Conseil du financement de la protection sociale, interrogé dans le rapport. En 2022, Emmanuel Macron avait lancé le Conseil national de la refondation, dont une des cinq thématiques était « le bien vieillir », piloté par Martine Gruère, vice-présidente de l’association Old’Up et Yann Lasnier, délégué général des Petits Frères des Pauvres. Accompagné d’une consultation citoyenne en ligne, ces travaux ont donné lieu à une stratégie interministérielle consacré au « bien vieillir ».
« Si les Petits Frères des Pauvres avaient salué cette approche interministérielle que l’association appelait de ses vœux depuis de nombreuses années, ils avaient fait part de leur déception concernant les mesures de lutte contre l’isolement social décrites en quelques lignes peu concrètes et présentant des mesures déjà existantes comme le jumelage d’Ehpad et d’écoles, alors que la stratégie présentait la lutte contre l’isolement comme une politique prioritaire », dénoncent les auteurs du baromètre.
À lire également : Devant la proposition de loi « bien vieillir », les associations mitigées
Le 8 avril 2024, la loi « portant mesures pour bâtir la société du bien-vieillir et de l'autonomie » a également été adoptée, généralisant un programme appelé ICOPE, chargé de repérer les fragilités et de favoriser les actions à mettre en place pour vieillir en bonne santé. « Un rapport d’évaluation publié en novembre 2024 est très critique sur les résultats de l’expérimentation, notamment en ce qui concerne les objectifs quantitatifs (non atteints) et le ciblage (manqué) des séniors vulnérables », pointe l’association, qui considère la loi « peu ambitieuse » et appelle à une amélioration du programme. Les Petits Frères des Pauvres dénoncent également « l’oubli » de la loi Grand âge, annoncée par le gouvernement en 2023 mais jamais élaborée, et l’absence de nombreux décrets nécessaires à l’application de la loi Bien vieillir.
La question du lien social est politique et s’inscrit dans les territoires ». Yann Lasnier, délégué général des Petits Frères des Pauvres.
Des préconisations à l’approche des élections municipales
« Derrière les chiffres, ce sont des vies marquées par le silence, l’absence de visites et le sentiment d’être oublié », rappelle l’association. Cette dernière émet plusieurs préconisations pour lutter contre l’isolement des personnes âgées, comme chiffrer le coût économique de l’isolement social pour la société française, produire des données officielles régulières sur la solitude et l’isolement social de la population, en affinant les tranches d’âges pour les personnes âgées, créer une délégation interministérielle à la prévention et à la lutte contre l’isolement social, ou encore instaurer une coopération internationale entre les pays du G7 sur la transition démographique et l’isolement social.
L’association appelle également à soutenir les actions et le tissu associatif permettant de développer le lien social de proximité, ainsi que les projets d’habitat partagés. Elle préconise aussi de revaloriser le minimum vieillesse au niveau du seuil de pauvreté.
« La question du lien social est politique et s’inscrit dans les territoires », considère Yann Lasnier, délégué général des Petits Frères des Pauvres. « S’il est vain de légiférer sur l’isolement social, de l’encadrer, de chercher à le réglementer, il peut être facilement combattu par des solutions concrètes, au plus proche des citoyens. Les élections municipales du printemps 2026 sont l’occasion de rappeler que les municipalités constituent le premier rempart contre l’invisibilité sociale des personnes âgées », appelle-t-il.
Élisabeth Crépin-Leblond