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Par Carenews INFO - Publié le 21 mars 2024 - 16:23 - Mise à jour le 21 mars 2024 - 17:27 - Ecrit par : Camille Dorival
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« Nous incarnons une forme de résistance face aux dérives du capitalisme », entretien avec Maud Sarda, Adrien Montagut et Bastien Sibille

Maud Sarda, directrice générale de Label Emmaüs, et Adrien Montagut, responsable des affaires publiques de Commown, sont les nouveaux coprésidents des Licoornes, alliance de 13 coopératives agissant pour la transition écologique juste. Ils succèdent à Bastien Sibille, qui a présidé l’alliance pendant deux ans. Ensemble, ils font le bilan des trois premières années d’existence de ce collectif et des défis qui s’ouvrent à eux pour les années à venir.

Bastien Sibille, à gauche, aux côtés de Maud Sarda et Adrien Montagut. Crédit : Les Licoornes.
Bastien Sibille, à gauche, aux côtés de Maud Sarda et Adrien Montagut. Crédit : Les Licoornes.

 

 

Adrien Montagut : Les Licoornes sont une alliance de 13 coopératives qui veulent transformer radicalement l’économie, pour aller vers des modèles plus coopératifs et démocratiques, mis au service de l’intérêt général. Les éléments centraux de cette alliance sont l’idée de proposer une alternative forte et radicale aux dérives du capitalisme (la course au profit, l’accroissement des inégalités, la destruction de la biodiversité, le réchauffement climatique, etc.), d’assumer la dénonciation de ces dérives et de proposer des solutions.

Notre proposition de valeur commune, c’est de démontrer que l’on peut entreprendre sans rechercher à tout prix le profit, et de prouver l’efficacité de l’intercoopération.

 

Maud Sarda : De fait, nous avons conscience d’être tout petits face à d’immenses acteurs capitalistes, mais nous incarnons une forme de résistance. Toutes nos coopératives évoluent dans des univers ultra-concurrentiels : l’énergie, le numérique, la mobilité, les biens de consommation, etc. Ce sont des secteurs où des géants dictent la pluie et le beau temps.

Nous voulons montrer que même dans ces univers, des structures à gestion désintéressée et à gouvernance démocratique peuvent avoir un modèle économique pérenne. Nous voulons donner à d’autres le virus de l’entrepreneuriat ayant du sens. L’économie a perdu la boule depuis une quarantaine d’années, mais en réalité les valeurs coopératives que nous incarnons sont très anciennes. Nous voulons les remettre au goût du jour.

 

Nous voulons montrer que même dans des univers très concurrentiels, des structures à gestion désintéressée et à gouvernance démocratique peuvent avoir un modèle économique pérenne. »

Maud Sarda 

 

  • Concrètement, quelles sont les actions que vous menez ensemble ?

 

AM : Nous avons plusieurs chantiers collectifs, par exemple sur la mutualisation de certains outils, sur le financement de nos coopératives ou sur l’amélioration de l’expérience client. Nous organisons également chaque année le festival Onde de coop, qui est un vecteur de diffusion de notre récit alternatif. L’événement est aussi pour nous une occasion de réfléchir à nos pratiques. En 2023, par exemple, nous avons choisi de le consacrer à la question du travail dans nos coopératives : la place que nous donnons au travail, l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, etc. Les échanges ont été extrêmement riches et nous ont donné beaucoup d’idées.

 

MS : Le premier chantier que les Licoornes ont mené ensemble a été très ambitieux : nous avons levé des fonds ensemble ! Plutôt une belle preuve d'inter-coopération, non ? Nous avons proposé des prises de participation dans nos structures, en laissant le choix à chacun de la ou des structures dans lesquelles il voulait investir.

Nous allons également bientôt créer une « plateforme avantages », qui permettra aux clients et sociétaires de chacune de nos coopératives de bénéficier d’avantages s’ils deviennent clients d’une autre coopérative. Nous voulons ainsi inviter les membres de nos communautés à découvrir nos structures partenaires, pour accompagner la bascule des consommations vers un écosystème coopératif et engagé cohérent et garantir la pérennité de l’ensemble des Licoornes.

Par ailleurs, nous avons aussi des actions de plaidoyer communes. La connaissance de nos modèles reste faible, et nous avons l’enjeu de les faire mieux connaître auprès des acteurs politiques, des acteurs économiques et des citoyens. Nous souhaitons notamment que les pouvoirs publics aient le courage politique d’aménager notre fiscalité pour soutenir nos modèles, de créer une « French coop » qui bénéficie d’autant de moyens que la « French tech », de choisir de mettre un coup de projecteur sur le modèle coopératif.

 

  • Vous êtes tous deux, à travers vos structures, Commown et Label Emmaüs, membres des Licoornes depuis leur création en 2021. Vous succédez à Bastien Sibille à la présidence de l’alliance. Comment s’est fait ce choix ?

 

AM : Nos statuts prévoient que la présidence de l’alliance soit élue pour un mandat d’un an, renouvelable une fois au maximum. Bastien était arrivé au bout de ses deux mandats. Comme cela avait été le cas précédemment, nous avons procédé à une élection sans candidat. Concrètement, le conseil d’administration, composé d’un ou d’une représentante.e de chacune de nos 13 structures, s’est réuni. Nous avons commencé par définir ensemble le périmètre du poste et les compétences attendues. Puis chacun a indiqué qui il souhaitait voir à la présidence, sans que personne ne se porte candidat. Nous avons vu les noms qui émergeaient, avons discuté, et avons trouvé cette idée de la coprésidence, qui nous permet de partager les responsabilités. Cela a constitué un moment collectif très fort.

 

MS : De fait, c’est très fort de voir que le collectif auquel nous appartenons nous trouve légitimes pour ce poste. C’est une marque de confiance.

 

  • Bastien Sibille, vous avez donc quitté la présidence des Licoornes. Quel bilan faites-vous de ses trois premières années d’existence ?

 

Bastien Sibille : Collectivement, nous avons réussi à installer une marque et une position particulière au sein de l’économie sociale et solidaire (ESS). Ce qui est très fort au sein de cette alliance, c’est que chacun d’entre nous est sincère et convaincu de la pertinence de ce que nous faisons ensemble. Ce renouvellement de présidence est une très bonne nouvelle. Il dit que notre organisation est particulièrement vivante.

Désormais, la plupart des acteurs de l’ESS nous connaissent. Cela reste plus difficile vis-à-vis du reste de l’économie. C’est le défi qui se pose à nous de mieux atteindre le monde politique et le monde économique conventionnel.

 

Désormais, la plupart des acteurs de l’ESS nous connaissent. Cela reste plus difficile vis-à-vis du reste de l’économie. »

Bastien Sibille 

 

 

BS : Les ponts entre les deux sont évidents. Les Licoornes sont d’importants acteurs de la transformation écologique juste. L’opération Milliard s’adresse notamment à elles, même si elle concerne aussi d’autres acteurs. Les Licoornes ont estimé collectivement leurs besoins de financement à 200 millions d’euros, que ce soit en capital ou en dette. Cela représente donc un cinquième du milliard que nous allons chercher auprès des citoyens, des financeurs privés et des financeurs publics.

 

AM : De fait l’opération Milliard est née, à l’initiative de Bastien, au moment où les Licoornes se posaient la question des financements. Nous envisagions la création d’un fonds spécifique pour financer nos coopératives. À la place, nous avons rallié l’opération. L’un des associés de Commown coordonne d’ailleurs le groupe de travail du mouvement sur la question des financements.

Nos coopératives ont des besoins permanents de financements. Si on prend l’exemple de Commown, nous achetons des appareils électroniques pour les mettre en location longue durée, pour les faire durer le plus longtemps possible. Nous avons donc un besoin important de trésorerie pour acheter nos appareils.

 

MS : Le fait de confier cette question du financement à l’opération Milliard va aussi nous permettre de nous concentrer davantage sur notre plaidoyer, pour faire connaître nos modèles coopératifs. Nos coopératives vont loin sur la question du partage du pouvoir et du partage de la valeur. Nous avons un cadre éthique extrêmement exigeant, et nous ne lâcherons pas là-dessus. Affirmer notre radicalité, c’est rendre service à l’intérêt général.

 

Propos recueillis par Camille Dorival 

 

13 coopératives au service de la transition écologique juste

Les 13 coopératives rassemblées dans les Licoornes sont :

● Enercoop, fournisseur d'électricité verte et citoyenne.

● Mobicoop, plateforme de covoiturage qui fonctionne sans commission et en logiciel libre.

● La Nef, banque qui finance exclusivement des projets d’utilité sociale, écologique ou culturelle.

● Label Emmaüs, site d’e-commerce militant, exclusivement alimenté par le mouvement Emmaüs et des structures de l’ESS.

● TeleCoop, opérateur téléphonique coopératif engagé dans la transition écologique et solidaire.

● Commown, fournisseur d'appareils électroniques éthiques et durables.

● CoopCircuits, plateforme coopérative pour vendre et acheter en circuit court des produits artisanaux, biologiques et éthiques.

● Railcoop, qui cherche à développer le fret ferroviaire de passagers et de marchandises.

● Citiz, service d’autopartage de véhicules présent dans 150 villes en France.

● éthi’Kdo, qui propose des plateformes, cartes et coffrets cadeaux solidaires et éthiques.

● Windcoop, compagnie maritime écoresponsable. ● Biocoop, réseau de magasins spécialisés en bio.

● Tënk, coopérative du cinéma documentaire.

 

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