Rejoué, l’association d’insertion qui donne une deuxième vie aux jouets
Depuis 2010, l’association Rejoué propose des parcours d’insertion à des personnes éloignées du marché de l’emploi, à travers une activité de collecte, remise en état et revente de jouets et jeux usagés. Reportage dans l’atelier situé à Vitry-sur-Seine, en région parisienne.

L’atelier de l’association Rejoué, situé dans un ancien bâtiment de La Poste à Vitry-sur-Seine, se compose de deux parties. La première dédiée au stockage et au tri des jouets est jalonnée par de nombreux cartons contenant les jeux classés en plusieurs catégories. L’une est consacrée aux Playmobil. C’est en les longeant que se fait l’entrée dans une pièce où s’activent des salariés de Rejoué. Ils trient les dons de jeux, jouets et livres venant de particuliers et d’entreprises, tout en s’assurant de la présence sur le produit de l’étiquette CE, une garantie nécessaire pour la vente. Les jouets suffisamment en bon état rejoindront les cartons précités, munis d’une pastille verte qui indique que les jouets sont prêts à être rénovés. Les jouets abîmés, quant à eux, partiront au recyclage.
Les salariés de l’association Rejoué s’occupant de différencier les jouets qui pourront d’une valorisation et ceux qui iront au recyclage. Crédit : Léanna Voegeli
« Les salariés ne réparent pas des jouets cassés, ils les valorisent. Donc dès qu’un jouet est en mauvais état, il va au recyclage », précise Benjamin Delforge, chargé de la communication et du plaidoyer de Rejoué. La valorisation se déroule à l’étage. Afin de donner une seconde vie aux jouets, les salariés les nettoient avec des produits écologiques comme du bicarbonate de soude. Une salle de lavage est même conçue à cet effet pour les textiles, les poupées et les déguisements. Un stock de pièces détachées permet aussi de compléter les jeux de société.
Une fois rénovés, les jouets partent en boutique : l’une permanente située dans le 14e arrondissement de Paris et une autre éphémère à Levallois-Perret, dans les Hauts-de-Seine, ouverte jusqu’en décembre. Ils sont vendus à un prix 40 % en-deçà de celui du marché.
Un accompagnement temporaire pour aiguiser son projet professionnel
Rejoué est un atelier chantier d’insertion (ACI) qui accueille des salariés très éloignés du marché du travail, souvent privés d’emploi depuis plusieurs années. « Nous avons des liens étroits avec France Travail qui nous oriente vers des personnes en difficulté n’étant pas suffisamment en autonomie pour aller sur le marché du travail classique, mais qui émettent la volonté de retrouver un cadre en lien avec l’emploi », explique Nathalie Ourry, co-directrice de l’association. Les personnes peuvent également être orientées vers Rejoué par des structures d’hébergement d’urgence ou des assistants sociaux.
L’association est un tremplin pour permettre aux salariés en parcours d’insertion de résoudre certaines difficultés socio-professionnelles, retrouver des habitudes de travail, et ensuite pouvoir retrouver un emploi classique. « Comme dans toute structure d’insertion par l’activité économique, les salariés restent au sein de Rejoué au maximum deux ans. C’est une étape pour eux, ils ne font que passer, le temps que leur projet professionnel se concrétise en formation certifiante ou en emploi durable » souligne Nathalie Ourry.
C’est par le biais d’un contrat à durée déterminée d’insertion (CDDI) d’une durée de six mois renouvelables que se déroule le parcours d’insertion. « L’agrément du salarié peut aller jusqu’à 2 ans mais en général cela dure entre 15 et 17 mois. Certains salariés vont au-delà de deux ans car il existe des dérogations si on explique en quoi on doit prolonger l’accompagnement », détaille Nathalie Ourry. L’État autorise cette prolongation pour certains profils comme celui des seniors.
La prise en compte des intérêts et problématiques de chacun
Au bout de chaque contrat, la ou le salarié en parcours d’insertion est reçu par son encadrant technique (chargé de le former aux métiers de Rejoué) et son chargé d’accompagnement, qui l’accompagne quant à lui sur ses difficultés sociales (accès au logement, aux soins, garde d’enfants...), ainsi que sur son projet professionnel. Se noue alors un dialogue entre employeur et salarié. L’un et l’autre peuvent dire s’ils souhaitent continuer ensemble ou non. Ce cadre permet aux deux parties d’évoquer les objectifs à atteindre, mais aussi de mettre en lumière les obstacles rencontrés en lien par exemple avec des problématiques de santé.
Samiha, salariée de Rejoué depuis janvier 2021, évoque ainsi l’accompagnement dont elle bénéficie : « Mon projet professionnel s’articule autour de l’animation. Grâce à Rejoué j’ai pu faire plusieurs stages. Une fois j’ai pris 10 jours pour faire un stage en lien avec le sport destiné aux personnes handicapées. La surveillance de baignade m’intéresse aussi ». À long terme, elle souhaite occuper un poste d’animatrice tout en conservant un lien avec le sport.
Samiha peaufine la valorisation des nombreux livres qui rejoindront les boutiques de Rejoué. Crédit : Léanna Voegeli
En 2023, Rejoué a ainsi accompagné 82 salariés en parcours d’insertion, à 65 % des femmes. La co-directrice de l’association Nathalie Ourry rappelle l’importance de l’accompagnement destiné aux femmes seules et en charge de famille, qui fait partie intégrante de l’engagement de Claire Tournefier, fondatrice de Rejoué.
Le réemploi de jouet permet d’acquérir diverses compétences. Les secteurs occupés post-accompagnement varient d’une personne à une autre. Dans les faits, d’anciens bénéficiaires sont devenus employés libre-service, travaillent dans le nettoyage, la restauration collective, le secrétariat ou encore la comptabilité. Les compétences acquises lors du CDDI entendent ainsi favoriser la confiance en soi et donc la réinsertion sur le marché du travail.
Benjamin Delforge met en avant les changements de poste effectués par les salariés au cours de leur accompagnement. Ils peuvent même tester la vente en boutique : « cela leur permet de voir le résultat de leur travail au sein de l’atelier, ce qui est très gratifiant », note-t-il.
Un bilan mitigé de la loi Agec
Depuis 2022, l’association Rejoué bénéficie de l’existence d’une filière de responsabilité élargie du producteur (REP) du secteur du jouet, mise en place par la loi Agec (anti-gaspillage pour une économie circulaire). Cette filière oblige les producteurs et distributeurs de jouets à prendre en charge la fin de vie de leurs produits. Ce qui les incite notamment à travailler avec des acteurs du réemploi comme Rejoué.
Après deux ans d’expérimentation, Nathalie Ourry estime que le bilan est mitigé. À ses yeux, le point positif est que les personnes qui ne se préoccupaient aucunement de la seconde main des jouets ont été obligées de s’y intéresser. Elle met cependant en lumière la vision différente que certains acteurs ont de la seconde main. Ainsi, certains fabricants ou distributeurs proposent à leurs clients des bons d’achats s’ils leur rapportent des jouets usagés. Cela les incite à continuer d’acheter dans leur boutique, ce que déplore Nathalie Ourry.
Elle craint que la dimension d’insertion socioprofessionnelle proposée par Rejoué, mais aussi par d’autres acteurs du réemploi dit solidaire soit mise au second plan, mais aussi que le recyclage (opération dans laquelle la matière de l’objet est broyée pour fabriquer un nouvel objet, ce qui a un impact environnemental non négligeable) prenne toute la place, au détriment du réemploi (processus par lequel un objet est remis en état pour être réutilisé). « Le risque est aussi que certaines collectes de jouets usagés très qualitatives ne nous parviennent pas et échappent aux acteurs de l’ESS de manière générale, pour être récupérés par des acteurs lucratifs », ajoute-t-elle.
La partie de l’atelier dédiée aux pièces détachées. Crédit : Léanna Voegeli.
Léanna Voegeli