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Par Carenews INFO - Publié le 7 novembre 2022 - 09:58 - Mise à jour le 7 novembre 2022 - 16:45 - Ecrit par : Théo Nepipvoda
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Rencontre avec Gabrielle Halpern, la philosophe des tiers-lieux

La philosophe Gabrielle Halpern a récemment publié, sur le site de la Fondation Jean-Jaurès, une note de prospective sur les tiers-lieux. Rencontre avec celle qui travaille sur le concept d’hybridation.

La philosophe Gabrielle Halpern. Crédit : Gabrielle Halpern
La philosophe Gabrielle Halpern. Crédit : Gabrielle Halpern

 

La philosophe Gabrielle Halpern s’intéresse tout particulièrement au concept d’hybridation. Elle a publié en 2020 l’ouvrage Tous Centaures ! Éloge de l’hybridation. Elle y développe l’idée que l’hybridation gagne de nombreux pans de notre société. La philosophe a récemment souhaité illustrer son concept par un exemple et s’est donc intéressée aux tiers-lieux. En partenariat avec Les Petits Débrouillards, elle a publié, mi-septembre, sur le site de la Fondation Jean-Jaurès, un texte intitulé « Tiers-lieux : les conditions d’une véritable hybridation ». Des laboratoires d’expérimentation de l’avenir.

Lors d’une interview, nous lui avons proposé de trouver des qualificatifs qui s’appliquent aux tiers-lieux.

 

  • Le tiers-lieu est un centaure

 

J’ai pris la métaphore du centaure pour pouvoir incarner mes travaux sur l’hybridation. Le centaure, mi-homme et mi-cheval, étant à mon sens la figure hybride par excellence. 

C’était l’hypothèse que j’avais avant d’aller sur le terrain pour étudier les tiers-lieux. Mais les premières conclusions de mes travaux sont qu’un tiers-lieu n’est pas forcément un lieu hybride. Il s’agit souvent d’une juxtaposition d’activités, de publics, d’usages. Pour « faire tiers-lieu », il est nécessaire de mener un vrai travail d’animation de l’hybridation. Donc un tiers-lieu n’est pas forcément comme un centaure, mais cela devrait être son idéal.

 

 

  • Le tiers-lieu oblige à la Métamorphose Réciproque

 

C’est la manière dont j’ai défini l’hybridation. Revenons à l’exemple du centaure. Cela me passionne de réfléchir au type de relation qu’il existe entre sa partie humaine et sa partie cheval. Sont-elles dans une relation de fusion, où on ne sait plus qui est qui ? Sont-elles dans une relation de juxtaposition où chacun fait sa vie de son côté ? Où sont-elles dans une relation d’assimilation dans le sens où une partie prend le pas sur l’autre ? Ce sont les trois pièges de la relation à l’autre. 

Le centaure, à l’inverse, ne tombe dans aucun de ces pièges et inaugure une forme de quatrième voie qu’est la « métamorphose réciproque ». Pour faire un centaure, il faut que chacune des deux parties accepte de se transformer un petit peu pour rencontrer l’autre. C’est en passant un peu de temps avec quelqu’un, que l’on peut avoir une chance de se transformer à son contact, et lui aussi. 

Revenons au tiers-lieu. Si, au bout d’un an, l’épicerie est toujours une épicerie, la crèche est toujours une crèche et le restaurant toujours un restaurant, on est passé à côté de quelque chose. À l’inverse, si au bout d’un an, l’ épicerie est un peu différente, le restaurant également, cela veut dire que le tiers-lieu a mené une hybridation et a abouti à la création de quelque chose de complètement nouveau.

 

  • Le tiers-lieu oblige à la Liberté Individuelle

 

C’est le fruit des échanges que j’ai eu avec des personnes rencontrées dans les tiers-lieux. L’idée de liberté revenait presque tout le temps. Or, nous avons l’impression aujourd’hui de vivre dans un monde avec beaucoup de contraintes. Il y a peut-être tellement de contraintes que l’on est à la recherche de liberté. Ce qui est intéressant dans le tiers-lieu, c’est qu’il s’agit d’un lieu différent, à la marge. Dans cette marginalité, nous pouvons retrouver ou même créer une forme de liberté. 

Par ailleurs, dans notre société, il y a de plus en plus de problèmes d’engagement. Or, dans les tiers-lieux, il y a de nombreux bénévoles qui s’engagent… J’ai demandé aux porteurs de projets, aux directeurs de tiers-lieux comment ils arrivaient à faire venir et à impliquer les gens. Ils m’ont répondu que les gens s’engageaient, parce qu’il y avait une forme de liberté. Pour des associations qui réfléchissent à ces sujets, qui sont confrontées parfois au désengagement et qui veulent compter sur le bénévolat, cette notion de liberté devrait sans doit être creusée… 

 

  • Le tiers-lieu, lieu du Collectif

 

Dans les tiers-lieux, il y a deux approches. Ceux qui parlent de collectifs, et ceux qui parlent de communautés. Dans la communauté, il y a quelque chose de plus fort, de plus identitaire, de plus soudé. 

Mais l’un des pièges des tiers-lieux est l’entre-soi. C’est-à-dire que le collectif a tellement bien pris qu’il s’est transformé en communauté, ne laissant plus de place au renouvellement, à la diversité. À mon sens, il est plus intéressant d’aller sur une idée du groupe en tant que collectif, mouvant, qui reste toujours ouvert. Cela évite de tomber dans la consanguinité avec, parfois, des dérives un peu sectaires. 

 

  • Le tiers-lieu, endroit en Construction Permanente

 

Un tiers-lieu ne peut pas s’enfermer dans une identité figée. La vie est une métamorphose permanente. Et donc le tiers-lieu doit l’être aussi. 

J’ai demandé aux directeurs de tiers-lieux comment ils procèdent pour éviter l’entre-soi. Certains par exemple font en sorte d’avoir sans cesse des activités ou des événements très différents pour drainer d’autres publics, différents des habitués. C’est ce qui permet de régénérer le collectif avec, sans cesse, une forme de remise en question assumée du tiers-lieu.

 

  • Le tiers-lieu, régi par les Coutumes

 

Un des directeurs m’a dit que la coutume, et non la loi, doit régir le tiers-lieu. C’est très humain et français de vouloir légiférer. Or, la vie ne fonctionne pas ainsi. Elle doit être une expérimentation permanente. Même en tâtonnant, il faut garder l’esprit de bricole. 

Il ne faudrait d’ailleurs surtout pas que les pouvoirs publics veuillent mettre des carcans et légiférer. On passerait complètement à côté de la philosophie des tiers-lieux. 

 

  • Le tiers-lieu, ancré territorialement

 

Dans une société de plus en plus virtuelle, il est important de pouvoir revenir au réel, au territoire. Les notions d’ancrage territorial, d’hybridation territoriale et de responsabilité territoriale sont donc importantes.

Il existe par exemple une maison de retraite à Nogent-sur-Marne nommée La Maison des Artistes. Il s’agit d’une maison de retraite pour les personnes âgées anciennement artistes. Mais, il y a également une résidence de jeunes artistes à l’intérieur. Le lieu noue également des partenariats avec le conservatoire de la ville ou encore avec les écoles de la ville. Voici  l’exemple d’une maison de retraite devenue tiers-lieu, Elle n’est pas un îlot perdu au milieu du territoire, mais un lieu qui a su créer un maillage avec d’autres acteurs du territoire. C’est ce que j’appelle « l’hybridation territoriale ».

 

  • Le tiers-lieu, Future Norme

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On constate que cette idée de diversité d’activités dans un même lieu est en train de toucher de plus en plus de lieux. La gare de Lyon s’est transformée en musée durant le confinement grâce à un partenariat avec le Petit Palais. À Strasbourg, un partenariat entre l’Etablissement français du sang et le musée d’Art moderne a permis aux gens de donner leur sang au sein du musée. Il existe également un centre commercial qui organise des ateliers de lecture. On sent que l’hybridation touche de plus en plus de lieux. 

Après, un tiers-lieu n’est pas qu’une diversité d'activités et de publics. Il faut qu’il soit animé par une philosophie du collectif derrière. Il faut donc aller plus loin en se demandant comment instiller cette philosophie de l’hybridation dans tous les lieux. Ce n'est pas gagné. Mais je suis optimiste. Je me dis que des choses intéressantes sont en train de se mettre en place.

 

Propos recueillis par Théo Nepipvoda

 

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