Stratégie nationale sur l’alimentation, la nutrition et le climat : un nouveau report de la publication indigne les ONG
Issue de la Convention citoyenne pour le climat et devant être publiée depuis plus de deux ans, la Stratégie nationale sur l’alimentation, la nutrition et le climat n’a toujours pas vu le jour. Vendredi, sa présentation a été annulée à la dernière minute par le gouvernement, suscitant l’indignation des associations, qui accusent ce dernier de « manque de courage » face aux pressions des lobbies et rappellent l’urgence environnementale et sanitaire.
Nouveau revers pour la Stratégie nationale sur l’alimentation, la nutrition et le climat (Snanc). Cette feuille de route, dont l’objectif est de déterminer les moyens pour permettre à tous les Français d’accéder à une alimentation saine et durable à horizon 2030, a été imaginée lors de la Convention citoyenne pour le climat. Elle devait initialement être publiée en 2023, mais sa diffusion a été repoussée à maintes reprises.
Avec deux ans et demi de retard, sa publication était finalement prévue vendredi 28 novembre, accompagnée d’une présentation commune par les ministres de l’agriculture, de la transition écologique et de la santé. Elle a été annulée au dernier moment par le gouvernement, qui a invoqué l’absence de validation des derniers arbitrages par Matignon.
Les produits ultra-transformés, absents de la dernière version du texte
« Ce nouveau rebondissement est inacceptable et témoigne d'une incapacité persistante du gouvernement et de l'État à affronter les défis du système alimentaire », s’indigne le Réseau action climat, dans un communiqué. « Les atermoiements et le manque de courage du gouvernement sont pathétiques au vu de l'urgence d'avancer sur ces sujets clés. Il n'y a plus de temps à perdre », abonde Foodwatch France.
Au-delà de ce contretemps, les ONG déplorent des manquements dans la dernière version du texte, qui a été présenté à la presse jeudi après-midi. En particulier, la dernière version ne contient plus la mention appelant à « limiter les produits ultra-transformés », pourtant présente dans les autres moutures du texte.
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Cette modification aurait été apportée en réponse à la demande expresse du ministère de l’agriculture, a révélé la cellule d’investigation de Radio France quelques heures avant l’annonce de la suspension. « Un choix d’autant plus singulier qu’il intervient quelques jours seulement après la publication, dans la très sérieuse revue scientifique The Lancet, d’un appel signé par une quarantaine de chercheurs internationaux. Ces derniers y détaillent les effets délétères des produits ultra-transformés (obésité, diabète, dépression) et exhortent les pouvoirs publics à mettre en place, d’urgence, des mesures de régulation du secteur pour protéger la santé », souligne le média de service public.
« Le gouvernement joue la montre, qui est exactement le jeu des industriels pour diluer les débats sur leur responsabilité dans le boom des maladies non-transmissibles liées à l’alimentation.Il est inadmissible de perdre ainsi un temps fou alors que le problème de santé publique est d’ores et déjà là », s’insurge Audrey Morice, chargée de campagne chez Foodwatch France.
Foodwatch dénonce les reculs sur les interdictions réglementaires concernant la publicité
L’association, qui prend régulièrement la parole sur les dérives du système agro-alimentaire, déplore également le « rétropédalage » du gouvernement concernant l’exposition des enfants au marketing et aux publicités agressives. Au lieu des interdictions réglementaires strictes prévues dans la version initiale, le texte présenté la semaine dernière mentionne des incitations et encouragements volontaires des marques et annonceurs. « En cas d’insuffisance des dispositions volontaires, une mesure réglementaire d’encadrement du marketing alimentaire dans les médias sera envisagée », peut-on lire dans le document.
« Pourquoi attendre ? Le gouvernement continue de miser sur la pseudo bonne volonté des entreprises et à ignorer les recommandations de Santé publique France ou de l’Organisation mondiale de la santé », dénonce Foodwatch, considérant cette disposition comme une « timide menace à l’égard des industriels de la malbouffe qui ont ainsi encore de beaux jours devant eux ».
La réduction de la consommation de la viande, un point de tension difficile à faire accepter
« Les raisons précises de ce blocage restent inconnues, mais pourraient être liées à l’un des volets les plus structurants de la stratégie : l’objectif de réduction de la consommation de viande et de charcuterie », avance de son côté le Réseau action climat. En septembre, la publication de la Snanc avait en effet déjà été repoussée, après que François Bayrou, alors Premier ministre, ait tranché pour le retrait de cette mention au profit du terme de « consommation équilibrée ». Une décision qui avait provoqué des contestations de la part du ministère de la santé et du ministère de la transition écologique.
Alors que les filières de l’élevage s’opposent toujours à un appel à réduire la consommation de viande dans la Snanc, la dernière version prévoyait finalement de « limiter la consommation de viande et de charcuterie ».
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« Les institutions scientifiques convergent sur les mesures prioritaires à mettre en œuvre : réduction de la consommation de viande, régulation stricte de la publicité pour les aliments ultra-transformés destinés aux enfants et adolescents, amélioration de l’accès à une alimentation saine pour les ménages les plus précaires… Ignorer ces recommandations, ou empêcher leur traduction dans une stratégie nationale, revient à céder aux pressions de certains lobbies agro-industriels au détriment de l’intérêt général », dénonce le Réseau action climat.
Élisabeth Crépin-Leblond 