Travailleurs handicapés en Esat : les nouveautés de la loi pour le plein emploi
Avec la loi pour le plein emploi entrée en vigueur au 1ᵉʳ janvier, le gouvernement affiche son choix de favoriser l’orientation des personnes handicapées vers le « milieu ordinaire » plutôt que vers des structures spécialisées. Il accorde également de nouveaux droits aux travailleurs handicapés des Esat sans leur reconnaître le statut de salarié.
On dit que pour se sentir intégré à la société il faut travailler. Par son volet handicap, la loi pour le plein emploi, entrée en vigueur au 1ᵉʳ janvier, poursuit l'objectif d'inclusion des personnes handicapées dans la société via le travail. Le texte s’inscrit dans la continuité des réformes engagées lors du précédent quinquennat.
En France, 120 000 personnes en situation de handicap travaillent en Esat. Ces structures financées par l’État permettent à des personnes pour lesquelles il est difficile de travailler en entreprise, d’exercer une activité professionnelle tout en bénéficiant d’un soutien médico-social.
Ces établissements ne sont pas des entreprises au sens juridique du terme. Leurs travailleurs ne sont pas des « salariés », au sens du Code du travail, mais des « usagers du médico-social », au sens du Code de l’action sociale et des familles.
L’orientation en milieu ordinaire avant tout ?
Avec cette loi, l’orientation professionnelle des personnes qui ont reçu une reconnaissance de qualité de travailleur handicapé (RQTH) par une maison départementale des personnes handicapées (MDPH), se fera désormais sur la base d’une préconisation de France Travail. Les MDPH ne pourront donc plus orienter d'emblée la personne handicapée en recherche d’emploi vers une structure protégée tel un Esat.
« C’est la mesure la plus importante, la plus transformatrice », affirmait le ministre du Travail, Olivier Dussopt, lors du lancement de la 27ᵉ Semaine européenne de l’emploi des personnes handicapées, en novembre dernier. L’objectif est de remédier à la situation actuelle : selon Olivier Dussopt, trop de personnes sont orientées en Esat alors que cela n’est pas nécessaire. Il souhaite désormais que le milieu ordinaire soit privilégié « à chaque fois que cela est possible ».
Toutefois, Axelle Pruvot, directrice exécutive de l’association nationale des directeurs et cadres d'Esat (Andicat) exprime des inquiétudes quant à la capacité des agents administratifs de France Travail, non spécialisés, d’orienter de façon adéquate les personnes handicapées. La directrice parle même d’une « réticence très probable du nouvel opérateur à orienter vers les Esat des personnes qui en auraient besoin ».
Quoi qu’il en soit, la MDPH gardera le dernier mot dans ce processus d’orientation.
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Deuxième difficulté : orientées vers le milieu ordinaire, ces personnes pourraient se heurter à la réticence des employeurs. Encore 67 % des recruteurs considèrent que l’embauche des personnes en situation de handicap est difficile, selon le baromètre Agefiph-Ifop de 2022.
« Si l’on veut désengorger les Esat et favoriser l’emploi en milieu ordinaire, il faut adapter ce dernier aux personnes handicapées » affirme Carole Saleres, conseillère nationale emploi au sein d’APF France handicap, association française de défense et de représentation des personnes en situation de handicap.
Des droits alignés sur le droit commun en Esat
Droit de retrait, adhésion à un syndicat, remboursement des frais de transports, titres-restaurant, droit de grève, couverture complémentaire santé collective… Autant de droits basiques qui n'étaient pas reconnus aux travailleurs en Esat. La loi pour le Plein emploi leur accorde ces droits à compter du 1ᵉʳ janvier.
Il s’agit d'une « petite victoire pour les travailleurs handicapés », estime Thibault Petit, journaliste et auteur d’un livre enquête, Handicap à vendre (éd. Les Arènes, 2022). Petite mais historique tout de même, car « ces droits sont réclamés depuis longtemps ».
Au fond, « Les travailleurs en Esat fournissent une prestation de travail, ils sont aux 35h, ils sont soumis à des impératifs de productivité », explique le journaliste.
Bref, ils « ont un vrai métier ; il n’y a pas de raison à ce qu'ils n'aient pas les mêmes droits que des travailleurs ordinaires. »
Thibault Petit, journaliste indépendant.
Une différence de traitement qui avait d’ailleurs été pointée par l’Organisation des nations unies (ONU), dans un rapport de 2021, lui attribuant le terme de « ségrégation des personnes en situation de handicap ».
Du côté des directeurs des Esat, « la principale inquiétude concerne le financement de ces nouveaux droits », indique Axelle Pruvot, la directrice exécutive du réseau Andicat. D’autant plus que ces nouveaux frais arrivent « dans un contexte économique tendu ». Alors qu’un tiers des Esat sont aujourd’hui en déficit, elle regrette que « le gouvernement n’accompagne pas assez les acteurs de l’engagement ».
Un alignement excluant le salaire
Malgré la réforme, les travailleurs des Esat n’accèdent pas au statut de salarié. De ce fait, ils ne perçoivent toujours pas de salaire.
Aujourd’hui, leur rémunération se décompose de la façon suivante : l’Esat finance le poste en moyenne à hauteur de 10 % du Smic. S’y ajoute l’« aide au poste » versée par l’État, qui correspond à 50 % du Smic.
En bref, « pour son travail à l’Esat, le travailleur handicapé est payé 60 % du Smic », nous explique Thibaut Petit. Leur revenu total peut atteindre le Smic grâce à l’allocation aux adultes handicapés (AAH) qu’ils perçoivent par ailleurs, mais ces sommes n’entrent pas en compte dans le calcul des cotisations retraite ou chômage. Une limite dans les droits de ces travailleurs. En fin de carrière, la plupart ne toucheront que le minimum vieillesse, soit 1012 euros par mois.
Une mission est actuellement conduite par l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et l'Inspection générale des finances (IGF) afin de réfléchir à l’évolution du mode de rémunération des travailleurs en Esat et la question de son financement.
Vers le statut de salarié ?
« On sent bien que le statut d’usager du Code de l’action sociale et des familles a atteint ses limites », nous confie la direction d’Andicat, qui prône la recherche d’une « troisième voie » entre le salariat et leur statut actuel.
« Cette voie hybride permettrait de s’assurer que les travailleurs aient des droits alignés et cohérents sur ce qu’on leur demande de faire, tout en prenant en considération leur particularité » Axelle Pruvot, direction d'Andicat.
Aujourd’hui, les Esat constatent une évolution des profils de leurs travailleurs. De moins en moins de personnes porteuses de handicaps lourds et de plus en plus de personnes qui proviennent du milieu ordinaire travaillent dans ces établissements, pourtant pensés pour intégrer des personnes très éloignées de l’emploi. Selon Thibault Petit, « les Esat sont désormais en concurrence directe avec des entreprises ordinaires et astreignent leurs travailleurs à des exigences comparables ».
Ce tournant appelle à une réflexion autour de l’évolution de leur statut. D’autant plus que, sur les 120 000 travailleurs en Esat, moins de 2 % intègrent le milieu ordinaire chaque année, démontrant les limites des Esat à être des tremplins vers les entreprises privées.
Le Comité des droits des personnes handicapées (CDPH) des Nations unies prône une voie différente : il faudrait « éliminer progressivement et rapidement les emplois ségrégués, notamment les ateliers protégés » (formulation qui fait référence aux Esat). Une voie dans laquelle ne s’engage pas la loi pour le plein emploi.
Félicité Dussel