TRIBUNE - Entreprises régénératives : utopie naïve ou unique levier de croissance pérenne ?
Pendant des années, la responsabilité d’une entreprise s’est définie par sa capacité à respecter des normes. Être responsable, c’était appliquer les réglementations environnementales, faire un peu de RSE, publier un rapport annuel avec quelques engagements de compensation. Ce modèle a eu son utilité, en structurant les premières démarches. Mais il est aujourd’hui dépassé, estime Coline Bertrand, cofondatrice et PDG de La Rosée, dans cette tribune.
Le monde change trop vite. Les ressources naturelles s’épuisent. Le climat se dérègle. Les attentes des consommateurs et des jeunes générations évoluent à grande vitesse. Beaucoup choisissent encore de s'en moquer, de tourner en dérision les discours de responsabilité sociétale des entreprises (RSE), ou de ne pas voir.
Mais l'autruche n'est pas un modèle de gestion. La question aujourd’hui n’est plus de savoir comment limiter ses impacts négatifs, ou compenser ici ce qu’on dégrade là. Il faut changer de paradigme. L’entreprise ne peut plus se penser comme un corps étranger dans un environnement qu’elle exploite. Elle doit se voir comme un élément vivant, intimement lié à l’écosystème dont elle dépend. Toutes ses ressources, structures et débouchés dépendent du monde qui l’entoure, et impactent ce dernier.
Le modèle régénératif : révolutionner la RSE, créer des usages
C’est ce qu’on appelle le modèle régénératif. Un modèle qui dépasse la responsabilité pour entrer dans une logique de contribution. En résumé, agir comme un acteur fertile de son environnement. Il ne s’agit pas simplement de réparer un déséquilibre, mais d’agir concrètement pour restaurer des cycles naturels, revitaliser des filières, réparer des usages abîmés. Cela vaut pour les ressources naturelles, mais aussi pour les relations humaines, la santé des consommateurs, le sens donné au travail.
Il ne s’agit pas simplement de réparer un déséquilibre, mais d’agir concrètement pour restaurer des cycles naturels, revitaliser des filières, réparer des usages abîmés. »
Et c’est une démarche qui engage toute l'entreprise, depuis la fabrication jusqu’à la distribution. Elle suppose d'inventer des gestes et usages nouveaux que les consommateurs peuvent s'approprier. Le réemploi par exemple ne fonctionne que si les clients suivent. Mettre en place des gammes de produits qui imposent le vrac, le réemploi, la consigne ou la recharge peuvent se heurter à la réticence des consommateurs dans un premier temps, mais permettent de réellement modifier les modes de consommation. Cela fonctionne si on considère les consommateurs comme de véritables parties prenantes du projet. C’est la première manière de régénérer : créer des usages qui réparent.
À lire aussi : L'ANTISÈCHE - Au fait, c'est quoi une entreprise régénérative ? 
Une stratégie économique lucide et nécessaire
Devenir une entreprise à visée régénérative n’est pas une tendance. C’est une stratégie économique robuste et lucide, qui aligne pérennité, agilité et ambition. Elle permet de résister aux crises d’approvisionnement, d’anticiper les transitions réglementaires, de renforcer l’attractivité de la marque employeur, et de répondre aux attentes des consommateurs comme des investisseurs. En investissant dans la santé des écosystèmes qui la nourrissent — humains, naturels ou économiques — l’entreprise renforce sa propre capacité à durer.
En investissant dans la santé des écosystèmes qui la nourrissent — humains, naturels ou économiques — l’entreprise renforce sa propre capacité à durer. »
Cette refonte du fonctionnement de l’entreprise peut en effrayer plus d’un. Ne produire que l’essentiel, apprendre à renoncer, mettre le vivant au centre de chaque décision, peuvent être perçus comme des sacrifices inutiles. Alors qu’ils sont un investissement stratégique. Comme le concept d'innovation ouverte a renouvelé les processus de création, la régénération ouvre une voie inédite de transformation. Demain, les entreprises qui n’auront pas pris ce tournant perdront des consommateurs, mais aussi des investisseurs, des salariés, des partenaires. Certaines disparaîtront par leur dépendance à un modèle obsolète.
Nous ne pouvons pas être des entreprises parfaites, mais nous devons choisir de faire partie du vivant et de nous inscrire dans une dynamique de transformation et de résilience. Cela suppose d’expliquer, d'innover, de changer, c’est vrai. Mais le temps des engagements de façade est terminé !
Par Coline Bertrand, cofondatrice et PDG de La Rosée