L'ANTISÈCHE - Au fait, c'est quoi une entreprise régénérative ?
L'entreprise dite régénérative a un impact positif sur l'environnement et la société, en contribuant à régénérer aussi bien les écosystèmes naturels que les liens sociaux. Un modèle exigeant, qui va bien plus loin que la responsabilité sociale de l'entreprise (RSE). De plus en plus d'entreprises souhaitent s'engager vers cet idéal, même s'il reste difficile à atteindre.

On entend de plus en plus parler du modèle d'« entreprise régénérative » : un modèle d'entreprise qui ne se contente pas de réduire ses impacts négatifs sur l'environnement ou la société - comme l'y incite la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) -, mais qui en outre se donne pour ambition d'avoir un impact global positif, en contribuant à régénérer, revitaliser et développer le vivant, qu'il s'agisse des écosystèmes naturels ou de la société. Il peut s'agir par exemple de mener des actions pour restaurer les milieux naturels, mais aussi d'actions visant à favoriser l'inclusion sociale.
Les onze principes de l’entreprise régénérative
Pour le think tank Lumia, l’entreprise régénérative doit respecter onze principes, définis dans son étude de 2023, « L'entreprise à visée régénérative » :
- 1. Créer une valeur étendue positive nette pour ses parties prenantes, les écosystèmes et la société : l'entreprise régénérative vise à produire des impacts positifs nets pour les écosystèmes et les communautés humaines dont elle dépend et sur lesquels elle agit.
- 2. Adopter une vision systémique : l'entreprise reconnaît la nature intrinsèquement complexe du réel et adapte ses modes de fonctionnement en conséquence.
- 3. Être capable de se limiter, selon le principe qu'« une croissance infinie dans un monde fini relève d’une impossibilité physique », comme le soulignait le rapport Meadows dès 1972.
- 4. Renforcer les services écosytémiques, en particulier de soutien et de régulation. Ainsi « l’entreprise régénérative est attentive à favoriser le renouvellement des ressources qu’elle utilise, à favoriser la régénération des écosystèmes dont elle dépend et sur lesquelles elle agit. Il s’agit ici par exemple d’extraire les ressources renouvelables à un rythme compatible avec leur vitesse de régénération », indique Lumia. Les services écosystémiques de soutien et de régulation sont ceux qui permettent de réguler le fonctionnement des écosystèmes. Lumia donne l'exemple de la pollinisation, qui permet la fécondation des plantes à fleurs et donc le maintien et la diversification des populations.
- 5. Partager la valeur monétaire avec les parties prenantes et pour l'intérêt général : il s'agit de rémunérer de manière juste ceux qui contribuent à créer de la valeur (notamment les salariés), mais aussi de réinvestir prioritairement les bénéfices dans l'entreprise plutôt que de les redistribuer, afin d’accélérer la redirection écologique et sociale des activités, et enfin d'orienter une partie des bénéfices de l'entreprise vers le soutien à la régénération des ressources ou à des causes d’intérêt général.
- 6. Chercher un équilibre entre performance et robustesse : la recherche de performance de l'entreprise ne doit pas se faire au détriment des grands équilibres écologiques et sociaux.
- 7. Créer des relations vivifiantes : l'entreprise régénérative cherche à créer les conditions propices à des relations stimulantes et énergisantes entre ses différentes parties prenantes humaines et non humaines, et à permettre à chacun d'exprimer ses talents et sa singularité.
- 8. Créer des relations réciproques et co-évolutives basées sur la coopération avec chacune de ses parties prenantes.
- 9. Utiliser des molécules bio-assimilables et non toxiques pour les écosystèmes.
- 10. Être circulaire par design : l'entreprise régénérative ne produit pas de déchets, mais des ressources qu’elle peut valoriser ou qui peuvent être valorisées par d’autres.
- 11. Être ancrée dans le local, pour favoriser la sobriété et la multifonctionnalité.
Quelques exemples d'entreprises régénératives
Autant de critères très exigeants, donc, qui rendent le modèle difficilement atteignable. Pour autant existe-t-il déjà des entreprises qui peuvent être qualifiées de régénératives ?
Même si elles ne sont pas forcément parfaites sur tous les points, certaines tendent en tout cas vers cet idéal. On peut ainsi évoquer :
- Patagonia : souvent citée comme pionnière dans ce domaine, Patagonia est une entreprise d'habillement outdoor qui utilise des matières recyclées ou biologiques, encourage le recyclage et la réparation de vêtements usagés, travaille avec des fournisseurs agricoles dont les pratiques s'inspirent de l'agriculture régénératrice, etc. En outre, en 2022, son fondateur, l'Américain Yvon Chouinard, a donné la totalité de ses parts de l'entreprise à deux entités philanthropiques, qui ont pour mission d’utiliser « chaque dollar reçu de la part de Patagonia [soit environ 100 milliards de dollars par an] pour protéger la nature et la biodiversité, soutenir des communautés en développement et lutter contre la crise environnementale » (voir la lettre ouverte dans laquelle il explique sa démarche).
- Pocheco : il s'agit d'une entreprise française spécialisée dans la production d’enveloppes, de sachets et de pochettes écologiques. Pocheco travaille autour de la notion d'« écolonomie », qui consiste à vouloir créer un impact positif sur l'environnement, le sociétal et l'économie. Elle « a largement modifié son système de production, ses infrastructures et ses chaînes d’approvisionnement. Substitution des encres et colles à solvant par des alternatives végétales, désartificialisation des sols, végétalisation des toitures, récupération d’eau de pluie, climatisation adiabatique mimant les structures alvéolaires des ruches d’abeille, mise en œuvre d’une forêt et d’un jardin nourricier sur site, phytoépuration, approvisionnement de papier via les plus hauts standards en matière de forêts durablement gérées… sont autant de pratiques régénératives vertueuses qui s’avèrent être économiquement rentables pour l’entreprise (ROI et payback après 7 ans seulement) », indique Christophe Sempels, directeur général de Lumia, sur le site de la Convention des entreprises pour le climat (CEC).
- Ecover : cette entreprise commercialise des produits de nettoyage, en cherchant à réduire les déchets et l'impact environnemental de ses produits grâce à des méthodes d'économie circulaire.
- Interface, industriel fabricant de dalles de moquettes, qui « s’efforce de développer et déployer le concept de factory as a forest, ou usine forêt, en mimant le fonctionnement de ces écosystèmes particulièrement riches et diversifiés pour une application industrielle », selon Christophe Sempels.
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« Rendre irrésistible la bascule de l’économie extractive vers l’économie régénérative »
Par ailleurs, la Convention des entreprises sur le climat (CEC) revendique d'accompagner les dirigeants d'entreprises à aller vers des modèles régénératifs. L'association CEC a même défini sa raison d'être de la manière suivante : « rendre irrésistible la bascule de l’économie extractive vers l’économie régénérative ».
A l'issue des parcours CEC, les participants sont tenus d'élaborer des feuilles de route visant à permettre à leur entreprise de tendre vers ce modèle. C'est ainsi que des entreprises comme Mustela, les brasseries Pietra, Rossignol ou Renault Trucks ont profondément revu leur manière de fonctionner à l'issue de leur participation à la CEC, afin de contribuer à régénérer le vivant.
En avril 2025, l'association lancera, avec les autres membres de l'écosystème « regen » français, l'Alliance internationale pour l'économie régénérative (Air), qui vise à faire de l'entreprise régénérative la nouvelle norme de l'économie.
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Attention au « regen-washing »
Pour autant, prévient Elisabeth Laville, fondatrice du cabinet Utopies, le concept d'entreprise régénérative a été galvaudé par un certain nombre d'entreprises qui l'ont utilisé de manière abusive dans une optique de communication.
Attention, donc, souligne-t-elle, à utiliser la notion à bon escient, et de ne pas tomber dans le « regen-washing » qui, sur le modèle du greenwashing, consisterait à vouloir intentionnellement donner une image trompeuse d'entreprise régénérative, sans que cela soit suivi d'une réelle volonté d'aller vers ce modèle exigeant.
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Camille Dorival