Biodiversité : pourquoi toutes les entreprises doivent s’engager
La Cop 16 sur la biodiversité, qui a lieu du 21 octobre au 1er novembre à Cali (Colombie), pose la question de la mobilisation des entreprises de toutes les tailles et de tous les secteurs pour réduire les pressions sur la biodiversité.
« Nous reconnaissons les risques réels que l’érosion de la biodiversité a déjà et va continuer à avoir sur les entreprises et les moyens de subsistance », affirment plus de 200 entreprises dans l’appel Business for nature publié à l’occasion de la Cop 15 sur la biodiversité et renouvelé pour la Cop 16 qui a lieu cette année. Il faut notamment des régulations afin de « s’assurer que les acteurs économiques et les acteurs financiers protègent la nature et restaurent les écosystèmes dégradés », poursuivent les signataires, dont Danone, Decathlon ou Veolia.
La 16e Conférence des parties sur la Convention des Nations unies sur la biodiversité s’est ouverte le 21 octobre en Colombie. Elle pose la question de la responsabilité de toutes les entreprises, pas seulement des plus grandes ou de celles évoluant dans les secteurs les plus extracteurs de ressources, comme l’énergie ou l’agroalimentaire.
« 72 % des entreprises européennes dépendent de manière “critique” des services écosystémiques et connaîtraient des problèmes économiques significatifs en cas de dégradation des écosystèmes », alerte la Banque centrale européenne dans une publication datant de septembre. Or, le vivant s’effondre déjà : les populations de vertébrés sauvages ont ainsi diminué de 73 % depuis 1970, selon le WWF.
Des pressions sur la biodiversité
Les « services écosystémiques » sont ceux rendus par la biodiversité aux activités humaines, dont les activités économiques des entreprises. Ils sont nombreux, mais il est possible de les rassembler en catégories. On peut ainsi distinguer les services d’approvisionnement, comme la fourniture d’eau douce ou de matières premières, et les services de régulation, comme la purification de l’air. Les écosystèmes rendent également des services culturels : l’utilisation de la biodiversité à des fins récréatives par exemple.
« Toute entreprise est concernée, parce que même à petite échelle, l’entreprise utilise directement ou indirectement la nature », indique Aurélie Pontal, directrice des relations entreprise et du mécénat pour le WWF France. « Il est important de regarder l’ensemble de sa chaîne de valeur. Une PME travaillant dans l’informatique peut se dire qu’elle n’a pas de lien avec le vivant, mais elle dépend de l’extraction de minerais rares. Cela a un rapport avec l’artificialisation et la surexploitation des ressources », illustre Sylvie Gillet, directrice du développement d’Orée, un réseau associatif multi-acteurs dédié à l’environnement.
Toutes les entreprises ont besoin de la biodiversité et en conséquence, toutes la dégradent, à des échelles différentes. La plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), identifie cinq facteurs de pressions sur la biodiversité liés aux activités humaines : le changement d’utilisation des terres et des mers (notamment l’artificialisation des milieux naturels ou la déforestation), la surexploitation des ressources, le changement climatique, les pollutions et les espèces exotiques envahissantes.
Des impératifs légaux
Quand bien même une entreprise ne serait pas convaincue de l’importance de la biodiversité pour son activité, elle peut être contrainte par la loi. La réglementation française comporte un certain nombre d’obligations, y compris pour les petites entreprises. Le cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal, signé à la Cop 15 biodiversité en 2022, exige des États qu’ils « [prennent] des mesures juridiques, administratives ou de politique générale visant à inciter les entreprises à agir et à leur donner les moyens de le faire ». Ils doivent veiller à ce que les grandes entreprises « contrôlent, évaluent et communiquent régulièrement et de manière transparente leurs risques, dépendances et incidences sur la biodiversité », mais aussi qu’elles « informent les consommateurs ». La cible 18 du même texte requiert une élimination progressive ou une modification des « subventions préjudiciables à la biodiversité ». Celle-ci concernera in fine au moins une partie des entreprises.
La corporate sustainability reporting directive (CSRD), directive européenne majeure, requiert des entreprises qu’elles rendent compte de l’impact de leur activité sur la biodiversité. Les grandes entreprises cotées sont d’abord concernées, mais les PME cotées le seront également en 2026.
Une autre directive, la corporate sustainability due diligence directive (CS3D) exige des entreprises de plus de 1 000 salariés qu’elles rendent comptent et limitent autant que possible les atteintes à l’environnement sur l’ensemble de leur chaîne de valeur. « Les fournisseurs des grands groupes vont être obligés de se transformer et de répondre à des questionnaires ESG [portant sur les données environnementales, sociales et de gouvernance] », affirme Sylvie Gillet. « La PME doit convaincre ses acheteurs, les grands groupes, de ses engagements. Ce sont des vases communicants », abonde Aurélie Pontal.
L’accord de Kunming-Montréal prévoit aussi de mobiliser des financements privés en faveur de la biodiversité, notamment en « [encourageant] le secteur privé à investir dans la biodiversité », via les fonds à impact par exemple. Une partie des investisseurs cherchent en effet à financer des activités vertueuses sur le plan environnemental et s’intéressent donc à ce sujet. La vigilance des assureurs quant aux risques environnementaux peut aussi faire monter la pression.
L’entreprise fait aussi partie de la solution
La prise en compte de la biodiversité permet aux entreprises de sécuriser leur modèle économique face aux risques de dégradation des écosystèmes et d’anticiper ou de se conformer à la législation. Mais elles peuvent aussi en tirer d’autres avantages. « Il y a un public de plus en plus sensible qui fait ses choix en fonction de la biodiversité », observe Aurélie Pontal. 77 % des consommateurs interrogés dans le baromètre Greenflex-Ademe 2024, par exemple, ont changé certaines de leurs pratiques, voire « font tout [leur] possible » pour réduire l’impact de leur consommation. Et ces consommateurs sensibilisés sont vigilants. « Les controverses flambent très vite aujourd’hui, avec la force de frappe des réseaux sociaux », prévient Sylvie Gillet.
« On ne peut plus rester inertes, affirme-t-elle encore. Il faut prendre le train et se mettre à l’heure. D’autres personnes sont déjà parties ! Mais il faut prendre part à des actions qui font la différence et arrêter les actions cosmétiques », ajoute-t-elle. Les entreprises doivent commencer par un état des lieux sur leurs impacts et dépendances à la biodiversité. « La partie constat est très importante pour agir en priorité sur le cœur d’activité de l’entreprise », souligne Aurélie Pontal.
Il y a un public de plus en plus sensible qui fait ses choix en fonction de la biodiversité »
Aurélie Pontal, directrice des relations entreprise et du mécénat pour WWF France
Orée a lancé récemment la plateforme Entreprises et Biodiversité, avec le soutien de l’OFB et d’un comité technique de 24 experts, destinée à fournir des ressources et une « boîte à outils » aux entreprises. L’idée est de comprendre les liens entre économie et biodiversité, puis de trouver des moyens d’agir adaptés à sa taille et à son secteur. WWF développe des partenariats avec des entreprises souhaitant réduire leurs impacts et financer des projets de préservation et restauration des écosystèmes. Elle dispose aussi d’un club d’entreprises, Entreprendre pour la planète, dédié aux plus petites structures. « L’entreprise est à la fois un problème par ses activités et l’impact qu’elle a, et une source de solutions », résume Aurélie Pontal.
Célia Szymczak