Isabelle Giordano (Fondation BNP Paribas) : « La philanthropie est une forme d'innovation qui va permettre à l'engagement d’exprimer toute sa force »
Un an après le début de son mandat, Isabelle Giordano, responsable du mécénat du groupe BNP Paribas et déléguée générale de la Fondation répond à nos questions. L’occasion d’échanger sur les enjeux de la philanthropie à l’heure où de nouvelles formes d’engagement émergent.
- Vous êtes arrivée il y a un an à la Fondation BNP Paribas. Comment passe-t-on du journalisme et du cinéma à la philanthropie ?
Après la crise du covid et maintenant la guerre en Ukraine, dans un contexte général d'incertitudes, de crise de la démocratie et de montée des extrémismes, être dans une fondation est un moyen d’agir sur la société et d’avoir un impact réel. J’ai l'impression d’être au bon endroit, au bon moment.
C’est aussi la suite de mon engagement de longue date dans le secteur associatif. J’ai toujours eu un parcours engagé, en tant que journaliste, citoyenne ou même parent. C’est dans la continuité de tout ce que j'ai pu faire auparavant y compris dans les émissions de cinéma, où il s’agissait d’alerter, d'informer et réfléchir. Avec le mécénat, j’ajoute une dimension d’impact et d’action qui me semble primordiale aujourd'hui.
- Comment s’est traduite votre prise de fonction ?
Une de mes premières actions a été la mise en œuvre du plan jeunesse avec une aide de 500 000 euros adressée à 14 associations. Une manière d’engager la fondation sur les problématiques de la jeunesse à tous les niveaux : la formation, l’insertion professionnelle et le bien-être.
Nous avons été à l’écoute des jeunes notamment à la rentrée scolaire de 2021 très difficile pour nombre d'entre eux. Et celle de 2022 ne sera pas meilleure, surtout pour les deux catégories de personnes qui ont le plus souffert du covid, les jeunes et les femmes. Nous sommes mobilisés aussi bien pour l’innovation que dans un souci d'impact.
- Quel regard vous portez sur le secteur de la philanthropie ?
Je trouve que le milieu de la philanthropie est en pleine révolution. Une jeune génération émerge, avec de nouveaux médiateurs et des journalistes engagés comme Hugo Décrypte, Alice Barbe, etc.
Le secteur de la philanthropie s’interroge beaucoup. Après la période du covid, c’est normal de faire son bilan. Il y a aussi la réflexion sur le changement systémique porté par Ashoka et d’autres fondations. C’est très intéressant d’être au cœur d’une vivacité intellectuelle dans ce secteur.
- Que voulez-vous dire par un secteur qui s’interroge ?
J’ai eu la chance de travailler au sein d’instances traditionnelles, comme Admical, d’être élue au Centre Français des Fondations et fonds de dotation. Aujourd'hui, il y a une jeune génération qui fait bouger les lignes. Abdelaali El Badaoui de Banlieue Santé vient d’annoncer vouloir lever un milliard d’euros pour la philanthropie. Ce sont de nouvelles formes de philanthropie qui apparaissent. Il y a aussi l’arrivée de personnalités comme Cécile Duflot chez Oxfam, Benoît Hamon chez Singa Global, ou Damien Baldin à La France s’engage. De nouvelles associations apparaissent, comme le Collège citoyen de France ou l’Académie des Futurs Leaders d’Alice Barbe.
Il y a cinq ans, j’étais ambassadrice à la Epic Foundation d’Alexandre Mars, une philanthropie anglo-saxonne qui, à l'époque, était très novatrice. Aujourd'hui, les cartes sont en train d’être redistribuées.
Dans ce contexte, je tiens à ce que la Fondation BNP Paribas, qui est une des plus anciennes et importantes fondations d’entreprise, joue un rôle dans ce mouvement de la philanthropie qui se dessine avec plus d’impact et d’innovation y compris au niveau européen.
- Quelles sont les particularités du mécénat de la fondation sur lesquelles vous misez ?
Nous avons trois thématiques historiques très fortes. La solidarité représente 50 % du budget, l'environnement 30 % et la culture 20 %. La fondation a toujours été identifiée comme un partenaire reconnu pour deux qualités importantes : la pérennité de ses engagements, le fait d’accompagner et faire grandir. Et également pour son audace.
La fondation a été une des premières à avoir mécéné un secteur peu aidé, comme la danse contemporaine. Elle a fait des choix pionniers, comme soutenir la biodiversité, qui, il y a dix ans, était moins connue que le sujet du dérèglement climatique ; investir 18 millions d’euros dans des bourses d’une trentaine de chercheur.e.s., c’était très innovant. Les choix d’innovations éducatives et sociales l’étaient aussi, comme soutenir l’Afev, il y a 20 ans, c'était assez audacieux.
Aujourd’hui, j’ai envie de parier sur l'existant, l’innovation et l’esprit pionnier de la fondation ; et le fait d’avoir cette puissance européenne avec dix fondations, c’est une vraie force comme le programme Dream’Up qui existe dans 30 pays européens.
- Comment travaillez-vous au sein de la direction de l'engagement du groupe ?
La fondation, un des bras armés de la direction de l'engagement du groupe, a pour vocation d’œuvrer à la transformation de l’entreprise et d’avoir un impact sur la société. Nous portons un certain nombre de valeurs du groupe, à notre manière. Antoine Sire l’explique très bien. Pour lui, la philanthropie est un levier et un accélérateur de transitions, c’est rendre possible, l'impossible. C’est être capable de prendre des risques, qui est la définition même de l’innovation. Et la philanthropie est une forme d'innovation, et dans les temps incertains dont je parlais, cela me parait être un élément déterminant qui va permettre à l'engagement d’exprimer toute sa force.
C’est une des premières directions de l'engagement à être entrée au Comex d’un grand groupe. Travailler au sein d’une grande direction de l’engagement permet d’être en étroite collaboration avec le service volontariat, et ces 500 mentors, avec le service des RH et du mécénat de compétences. Regardons ce que fait Moussa Camara avec son association Les Déterminés. Il a réussi à changer d’échelle grâce au soutien du mécénat de compétences du groupe. La fondation est ouverte sur tous métiers et toutes les entités. Nous travaillons aussi beaucoup avec la communication interne, avec la RSE qui s’intéresse au travail de nos chercheurs, c’est très complémentaire.
- Quels sont les projets à venir ?
Ils sont nombreux. Développer la nouvelle entité, « transmission culturelle », qui fait le pont entre la solidarité et la culture. Nous ne pouvons pas penser la culture sans l’accès à la culture. Il ne devrait pas y avoir un jeune hors de l’accès au savoir ou à la culture. La France est d’ailleurs une des sociétés les plus inégalitaires parmi les autres pays européens. C’est contre cela que la fondation se bat au quotidien.
Nous venons de fêter les 15 ans du projet Banlieue qui a démontré comment un écosystème d'associations peut maintenir un quartier ou une ville. Il faut continuer à valoriser ce souffle vivant que sont les associations, ces héros anonymes comme les infirmiers dont on a beaucoup parlé pendant la crise du covid.
Enfin, j’ai un projet qui me tient particulièrement à cœur, c’est d’organiser un conseil de la jeunesse. Je vais m’entourer d’un board constitué uniquement de jeunes. Entre ceux que j’ai connus à l’Institut de l'engagement ou au moment d’initier le pass culture ou dans d’autres combats plus environnementaux avec des jeunes duos d’anonymes et d’entrepreneurs sociaux. Ils ont énormément d’idées.
Christina Diego