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Par Chroniques philanthropiques par Francis Charhon - Publié le 1 mars 2022 - 18:09 - Mise à jour le 1 mars 2022 - 18:09
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Charles-Benoît Heidsieck : « Le territoire est un lieu d’expérimentation idéal qui favorise l’innovation sociale »

Charles-Benoît Heidsieck, président du RAMEAU, développe dans cette interview l’important travail fait par son laboratoire pour réfléchir aux éléments qui fondent les alliances de territoires. Le sujet complexe y est traité en profondeur. De nombreux liens peuvent aider à la compréhension.

Charles-Benoît Heidsieck, président du RAMEAU : « Le territoire est un lieu d’expérimentation idéal qui favorise l’innovation sociale ». Crédit photo : DR.
Charles-Benoît Heidsieck, président du RAMEAU : « Le territoire est un lieu d’expérimentation idéal qui favorise l’innovation sociale ». Crédit photo : DR.
  • Charles-Benoît Heidsieck, vous avez créé en 2006 l’association Le RAMEAU qui est devenue une référence pour ses analyses et études. Pouvez-vous nous présenter Le RAMEAU ?

 

Dès son origine, Le RAMEAU s’est positionné comme un laboratoire de recherche empirique sur la co-construction du bien commun. La conviction initiale est que les organisations publiques et privées développent une capacité à faire alliance au service de défis communs dont elles n’ont pas nécessairement conscience, parce que nous n’avons pas la culture de l’alliance en France. En observant les pratiques des organisations, nous allions ainsi pouvoir identifier des forces à mobiliser pour répondre à l’ampleur des défis auxquels le pays fait face. Nous avions décidé que nos recherches se feraient sur un minimum de 7 ans pour pouvoir vérifier la pertinence de nos constats empiriques sur le temps long. 

Des alliances pour gérer des cas complexes : L’expérimentation

  • Pour vous la question est donc celle du bien commun, et pour y répondre les alliances apportent les moyens ?

 

L’un des moyens passe par des alliances, notamment lorsque l’ampleur des problématiques dépasse la capacité de chacun des acteurs seul à proposer une réponse. Il ne s’agit donc pas d’un moyen universel, mais plutôt du moyen qui permet de gérer les cas complexes. 

Nos intuitions ont été confirmées dès 2008 en observant les premières organisations avec lesquelles nous avons été en partenariat.  Côté associations, il s’agissait par exemple de l’AFM Téléthon, de la Croix-Rouge ou de petites associations comme J’accede.com, et pour les entreprises, le Groupe La Poste, AG2R La Mondiale, ou des PME comme Néova spécialisée dans la propreté. À l’époque, les associations et les entreprises étaient les acteurs les plus éloignés les uns des autres, mais ayant une expérience de terrain favorisant la réconciliation entre l’intérêt général et l’économie. De telles rencontres permettent d’inventer ce que ni les uns ni les autres ne peuvent faire seuls. Très vite, nos expérimentations vont souligner qu’il est aussi nécessaire d’adjoindre à ces acteurs les collectivités territoriales.  

Ainsi en 2008, 18 mois après notre création, nous faisions trois constats qui ont structuré nos travaux depuis : 

Le premier point est que cette relation entre les acteurs de l‘intérêt général et les acteurs économique n’était pas seulement une question de solidarité ou de bonnes pratiques, mais avant tout une question d’innovation sociétale.

Le deuxième est que la diversité des partenariats est une richesse.  Elle permet de toucher tous les acteurs, quels que soient leurs objectifs, leurs moyens, leur maturité et également leur envie.  En effet il n’y aurait pas un ordre de hiérarchie à établir entre le mécénat l’innovation sociétale, la coopération économique ou les pratiques responsables. Chacun de ces modèles sera détaillé deux ans plus tard dans « La typologie des partenariats associations, entreprises », en veillant à utiliser une sémantique empreinte de réalité qui soient à la fois audibles par les acteurs de l’intérêt général et ceux de l’entreprise.  La pertinence de cette typologie s’est confirmée depuis. 

Le troisième enseignement que nous avons tiré en 2008 est que le territoire joue un rôle absolument essentiel parce qu’il offre un lieu d’interconnaissance à taille humaine. C’est un lieu d’expérimentation idéal qui favorise l’innovation sociétale. 

C’est aussi à ce moment-là que nous nous sommes rapprochés du Centre Français des Fonds et Fondations, en considérant que les fondations pouvaient jouer un rôle de facilitateur et de catalyseur de cette relation entre acteurs qui ne se limitent pas à une relation bilatérale (donnant/donnant) pour partager des solutions.

Coopérer plutôt que collaborer, les leviers de la recherche 

  • Votre vision de l’alliance est de construire des collaborations sur des projets. 

 

Absolument, c’est dans l’action concrète que se traduit l’alliance.  Il y a pour nous une différence entre collaborer et coopérer

Quand on collabore chacun accomplit sa tâche individuellement, on les assemble ensuite pour déboucher sur une solution. C’est le modèle français depuis toujours. Coopérer ce n’est pas la même chose, c’est agir ensemble, inventer ensemble. La tendance actuelle est de passer de la collaboration à la coopération. Cette intuition a été validée lors de la signature en 2015 des Objectifs de Développement Durable, quand les pays du Sud ont exigé des pays du Nord qu’il y ait un 17e objectif, celui du partenariat pour réaliser les 16 autres objectifs. C’est cette tendance structurelle que nous modélisons dès 2008 autour d’une vision systémique qui invite à prendre en compte tous les acteurs, dans tous les domaines, sur tous les territoires. Autrement dit, il s’agit de dépasser le simple cadre de l’action de chacun pour valoriser aussi les interactions entre tous. 

 

  • Comment  votre travail a-t-il avancé ?

 

Nous avons commencé par mettre en place trois leviers de recherche : 

  • Premier levier : les Recherches-Actions, pour expérimenter, et essayer des voies de collaboration. Nous avons ainsi conduit plus de 500 dialogues de gouvernance avec une diversité de profils d’acteurs publics et privés ; 
  • Deuxième levier : Nous avions bien conscience que dans nos recherches -actions, nous trouverions des partenaires  « pionniers » déjà très matures. Il nous fallait donc pouvoir mesurer par ailleurs la maturité collective des différents profils d’acteurs. Dès 2008 nous avons créé, avec la Caisse des Dépôts, l’Observatoire des Partenariats pour questionner régulièrement les citoyens, les élus locaux, les dirigeants d’entreprise, les dirigeants associatifs, les syndicats, les acteurs académiques. Qu’est-ce que le « jouer collectif » pour eux ? Sur quelle fragilité faut-il l’activer en priorité ? Quelles sont les pratiques de chacun ? 
  • Troisième levier : à la croisée entre les deux premiers leviers, nous avons ensuite défini comment capitaliser, modéliser et mettre à la disposition de l’ensemble des acteurs, le fruit de l’expérimentation des pionniers, non pas comme une boîte à outils universelle, mais pour aider les acteurs à aller plus vite dans leur propre acquisition du sujet.

Enfin il restait à inventer le mode de restitution de nos travaux.  Nous l’avons appelée la « méthode des 3R » : 

- Commencer, par Relire notre histoire en allant chercher très loin dans nos racines les raisons de la situation actuelle

- La Relier à nos enjeux d’aujourd’hui : qu’est ce qui fait qu’aujourd’hui il est nécessaire de changer, et quels sont les défis d’avenir

- Pour Réinventer ensemble les modèles de demain, en se situant dans son écosystème en complémentarité avec les autres acteurs. 

C’est ce qui a permis de faire émerger différents dispositifs : l’Observatoire des Partenariats en 2008, ensuite en 2014, l’Association de Développement de l’Accompagnement à la Stratégie et à l’Innovation (ADASI), et le Réseau des Pionniers des Agences en territoire, puis en 2016, la Fondation pour la co-construction du bien commun. En 2018, nous avons proposé de créer la Fondation des Territoires. En 2020, nous avons créé l’espace d’articulation des ingénieries nationales et territoriales dans le cadre d’une démarche d’anticipation de sortie de crise que nous avions organisée avec le Médiateur des entreprises, et enfin en 2020, ce fut la création du Fonds ODD 17 pour financer l’ingénierie d’alliances d’intérêt général. 

Accélérer les alliances collectives

  • Quel est le lien avec la mission ministérielle que le Secrétaire d’État Gabriel Attal a confié à la députée Cathy Racon-Bouzon et à vous ? 

 

Il faut remonter à l’été 2018 où Le RAMEAU a été reçu par le Cabinet du Président de la République pour connaitre nos travaux et savoir quels leviers actionner pour accélérer les alliances stratégiques d’intérêt général en France. Nous avons mis en valeur trois enjeux complémentaires : 

  1. Outiller les organisations et les Territoires : Nous avons présenté la plateforme pédagogique « l’innovation territoriale en actions ! » qui a été créée avec la Banque des Territoires, le CGET et le Groupe La Poste pour partager les méthodes des démarches   « agir ensemble en territoire »
  2. Créer un espace de dialogue entre les acteurs publics et privés à l’écoute des territoires : nous avons proposé d’initier le projet de Fondation des Territoires
  3. Créer un cadre juridique adapté : Il est apparu un point de blocage extrêmement important en France. Le droit français protège la personne, qu’elle soit physique ou morale. Dans le droit français l’alliance est suspecte. C’est ainsi la raison pour laquelle on ne peut faire alliance en France aujourd’hui juridiquement. En tout cas, on ne peut pas prendre ce risque, à la hauteur des expériences innovantes dont ont besoin les territoires. 

C’est dans ce cadre que nous avons engagé la mission ministérielle. Pour notre rapport, nous avons mobilisé plus de 100 acteurs publics et privés nationaux et territoriaux afin de construire une feuille de route autour de quatre chantiers et vingt et une mesures. Le jour de la remise du rapport le 20 novembre 2020 au ministre Gabriel Attal, nous avons fait un sondage auprès des Français  :  81 % disaient qu’il était urgent de jouer collectif, pas seulement pour sortir de la crise de Covid, aussi pour anticiper les changements structurels. Le ministre s’est montré très intéressé par cette feuille de route et nous lui apportions deux éléments de garantie : premièrement, en qualité de laboratoire de recherche nous avons proposé de nous mettre aux côtés de ses services pour contribuer à copiloter ces 21 mesures ministérielles. Deuxièmement, nous avons créé le Fonds ODD 17 pour soutenir l’ingénierie d’alliance d’intérêt général. Doté de deux millions d’euros, son objectif est de démontrer l’effet de levier très important que l’ingénierie territoriale peut avoir sur l’accélération des alliances en France. 

La députée a déposé une proposition de loi en février 2021 qui définit ce qu’est une alliance d’intérêt général et les raisons pour lesquelles collectivités, associations, entreprise ne peuvent pas expérimenter sur leur territoire sans les dérogations à mettre en place dans le cadre des alliances d’intérêt général.  Elle propose que soient ajoutés deux mots qui n’apparaissent dans le Code de l’éducation « coopération » et « intérêt général ». 

Organiser les alliances sur le terrain, le rôle de l’État

  • J’ai lu dans le rapport, qui est incroyablement riche et touffu, que les pouvoirs publics sont les catalyseurs de l’alliance, les facilitateurs et chefs d’orchestre. J’ai trouvé cela un peu étrange qu’ils fassent tout.

 

Non, au contraire, nous disons que chacun a sa juste place selon les territoires, parce qu’à Lille, Marseille, Langres et Bressuire ce n’est pas la même réalité. En fonction des réalités locales, la place de l’acteur public peut être différente. En revanche ce que nous définissons très clairement, c’est que pour que cela fonctionne sur un territoire il faut qu’il y ait trois ingénieries qui s’articulent :

- l’ingénierie de gestion publique de territoire : la co-construction des politiques publiques

- le management de projets transversaux : ce sont les acteurs du le territoire qui inventent la solution la plus pertinente au regard des besoins et des fragilités locales

- la catalyse territoriale : aller à la rencontre des acteurs qui sont loin et ne sont pas mobilisés dans l’ingénierie 2, favoriser les interconnaissances, faciliter les expérimentations entre acteurs de « mondes différents ». 

D’un territoire à l’autre, la collectivité territoriale peut avoir un rôle différent sur ces trois ingénieries. En revanche, elle ne peut être à la fois, juge, parti, animateur, stratège… Il faut donc qu’elle choisisse son camp selon les réalités locales. 

 

  • Dans votre note de synthèse du rapport de l’Assemblée, il est stipulé que « les pouvoirs publics facilitent et orchestrent la démarche partenariale, encouragent l’émergence d’alliances, accompagnent son organisation en l’outillant, financent son ingénierie… ». C’est une vision assez étatique ?

 

Chacun doit jouer sa « juste place », et celle de l’État n’est pas moindre. Au-delà de ce que la lettre dit, il est important de s’attacher à l’esprit de la lettre. Il convient de sortir d’une vision normative du rôle de l’État pour s’attacher à la valorisation de l’action. Cela me fait penser au rapport 2002 du MEDEF qui a bloqué tout dialogue entre le secteur associatif et les entreprises entre 2002 et 2010. Il y avait en réalité une phrase problématique sur un rapport de plus de 300 pages ! C’est le sens de l’Action qui importe aujourd’hui, et non la formulation des rapports. 

Le pari de la confiance

  • Dans votre rapport, l’État joue un rôle législatif pour autoriser les alliances, pour outiller, mais il n’est en aucun cas le chef de file. Les chefs de file se créent-t-ils opportunément ?

 

Absolument, d’un territoire à l’autre, la collectivité territoriale n’a pas le même rôle. On m’a souvent posé la question : qui est légitime pour être le catalyseur ? J’ai répondu qu’il s’agit de celui qui prend l’initiative de le faire. Jacqueline Gourault a une expression que j’aime beaucoup ; elle parle de « l’État Jardinier ». Pour moi l’État jardinier, c’est comment j’aide les territoires à être féconds, et ensuite les jardiniers font leur œuvre. C’est à eux de planter les plants de vigne. L’État jardinier est un facilitateur, ce n’est pas à la fois l’ordonnanceur, le stratège. Il donne un cap qui me semble être aujourd’hui celui des Objectifs de Développement Durable qu’il a signés en 2015. Après, il est législateur à travers le Parlement, et ensuite il doit être facilitateur dans le sens de l’État jardinier pour aider à faire grandir les projets.  Pour ce faire, il doit faire le « pari de la confiance » auprès des acteurs de terrain qui savent comment faire grandir les projets en cohérence avec le cadre global.

 

  • Ne pensez-vous pas qu’une difficulté est que l’État soit multiple, et donc que les appropriations par chaque ministère, dont la vision peut être très diverse, amènent à des réticentes. Doit-on passer d’un État qui est le gérant de l’intérêt général à ce qu’il en soit le garant ? Doit-il lâcher prise sur un certain nombre de sujets dans une relation « partenariale », une relation dans laquelle tous les acteurs sont égaux ?

 

Nous sommes complètement en phase sur le fait que l’État soit devenu le gérant de l’intérêt général, en passant du rôle d’arbitre à celui de partie. Les conséquences ont été dramatiques. On a transformé des citoyens en usagers, et donc comme tout usager, jamais contents. On a perdu la notion de projet pour aller vers la notion de produit. Or, l’État n’a pas à être gestionnaire de produits, il doit être garant de l’intérêt général. 

Je reviens au travail sur l’intérêt général que nous avions initié avec une petite vingtaine d’acteurs très divers en 2014, et qui a conduit au colloque de janvier 2018 « Intérêt général : dès aujourd’hui l’affaire de tous ? » qui a réuni plus de 300 décideurs publics et privés. Nous qualifions trois leviers d’activation de l’intérêt général : la vision partagée, la gestion régulatrice et l’action collective transformatrice.  

La vision partagée aujourd’hui nous semble être celle des ODD. C’est la seule approche systémique que l’on puisse aujourd’hui poser parce que nous sommes dans un moment très compliqué où poser une vision partagée est très complexe. 

La gestion régulatrice est trop bien connu en France au point où la planche à lois a actuellement sur la démocratie exactement les mêmes effets que la planche à billets a eu sur l’économie. La France a tellement légiféré ces trente dernières années que l’État s’est transformé en gestionnaire de normes et de process. Nous sommes loin de la sécurisation de l’intérêt général et c’est là où le troisième levier : 

L’action collective transformatrice peut jouer un rôle important : celui d’être une forme de R&D sociétale, autrement dit un levier d’innovation au service de nos défis communs. 

L’expérimentation pour modèle

  • On le voit bien par exemple avec la loi Hamon sur l’ESS. Ce n’est plus une loi, c’est un mode d’emploi.

 

Comme le constate lui-même le Conseil d’État en 2016, nous n’avons plus un droit de qualité parce qu’il n’est plus lisible ni applicable. Il recommande donc de passer par l’expérimentation avant toute législation. En 2019, il argumente cette nécessité d’expérimenter avant de légiférer. C’est l’un des arguments qui milite pour l’expérimentation du droit d’alliance d’intérêt général. 

Je voudrais ajouter que pour ce qui concerne l’action collective transformatrice, il serait quand même temps que l’État reconnaisse et valorise l’action de terrain. L’étude qu’a réalisée à notre demande le politologue Stéphane Rozès explique très bien qu’il nous faut aller vers un récit partagé au plan national… mais que les conditions restent à remplir pour mobiliser nos élites.

 

  • Ce qui est intéressant, c’est que ce type de démarche est différente pour chaque situation. On ne taille pas le même costume pour tout le monde. Ne peut-on pas regretter qu’aujourd’hui l’État créée des dispositifs, mais qu'il n’est pas capable de les mettre en œuvre ? C’est un peu comme un alambic qu’on remplit avec de grandes quantités de produit et dont il ne sort que quelques gouttes d’extrait.

 

En effet, il est difficile d’être à la fois un bon concepteur d’usine et celui qui va en réaliser les fignolages. Il faut à la fois avoir un cadre commun et un arbitre qui soit capable superviser. Pour moi, aujourd’hui, le seul cadre commun crédible et celui des ODD. Pour que cela fonctionne, il faut ensuite  que la mise en œuvre soit conduite par les territoires. C’est là où le rôle des collectivités territoriales est fondamental. Elles doivent pouvoir s’appuyer sur des alliances entre associations, entreprises, collectivités territoriales, acteurs de l’État, acteurs académiques… Le rôle des fondations pour favoriser cette logique est primordial. Nous avons publié une fiche repère sur l’engagement des fondations, comme sur l’engagement des collectivités territoriales, l’engagement des entreprises, l’engagement des associations. Toutes ces publications sont  à retrouver sur la plateforme odd17.org, et l’actualité à suivre toutes les semaines dans « les Jeudis de l’ODD 17 ». 

Il s’agit avant tout de promouvoir l’intérêt général, et c’est d’ailleurs pour cette raison que je fais la distinction entre les associations d’intérêt général et d’utilité sociale. Aux côtés des associations de terrain, je tiens aussi à souligner l’importance des fondations qui ont longtemps été les grandes méconnues de notre capacité d’action collective transformatrice.  J’ai travaillé pendant 12 ans à la Fondation pour l’enfance, dont cinq ans en qualité de Secrétaire général adjoint, et je suis absolument convaincu du rôle et de la place structurante des fondations. La question n’est pas seulement de rapprocher les fondations et des associations, mais aussi que les fondations puissent jouer réellement un rôle de catalyseur. Les 350 catalyseurs territoriaux dont j’ai parlé sont en train de prendre corps et font apparaître le concept de fondations territoriales. Alors que les associations sont actrices, les fondations peuvent jouer un rôle de médiatrices.

La fondation des territoires un concept en émergence.

  • La Fondation des Territoires est un concept ?

 

Pas du tout, ce n’est pas un concept, c’est une démarche apprenante de préfiguration que nous avons menée avec le ministère de la Cohésion des territoires à l’écoute des besoins des territoires. 

 

  • Quand je dis que c’est un concept, je veux dire que la Fondation n’existe pas, elle est encore en construction, c’est une association de préfiguration.

 

Elle est en co-construction depuis 2018. C’est un lieu de réflexion entre acteurs publics et acteurs économiques à l’écoute des dynamiques de co-construction territoriale. 

Dans une première étape, dix entreprises autour de la ministre ont pris le temps pendant neuf mois d’écouter autour de cinq ateliers la diversité des démarches de co-construction territoriales. Il y a eu ensuite une deuxième phase où quinze expérimentations territoriales ont été menées pour pouvoir connaître et qualifier les besoins qui ont été pré-identifiés dans cette démarche. Fort des résultats, un conseil de création a été mis en place pour définir les modalités de lancement de la Fondation. Il est présidé par Jean-Paul Delevoye. En 2021, la Fondation des Territoires a animé un groupe de travail avec la Fondation de Lille sur les liens entre les fondations et les territoires. De plus, elle a piloté une démarche de co-construction d’une, Charte du Faire Alliance. 

La Fondation est en lien avec les 350 « catalyseurs territoriaux » qui ont émergé depuis une décennie. Ces acteurs animent les interactions sur leur territoire entre les associations, entreprises, collectivités. Les acteurs locaux créent des solutions adaptées à leurs besoins. 

Pour donner un exemple très concret, j’étais récemment à Chambéry avec la fondation Agisens sous l’égide de la Fondation Caritas, qui organisait la 6e édition de leur Campus Passeurs d’Avenir. Plus de 100 jeunes du territoire ont co-construit durant une journée des solutions de bien commun pour leur territoire. Ce type d’action est très ancrée localement, et il convient de les valoriser, de les capitaliser d’en partager les innovations.

 

  • La Fondation des Territoires est-elle un nouveau type de fondation ou une fondation normale où les acteurs ayant projets viendraient pour être aidés en termes de main d’œuvre, d’idées, d’alliances, etc. ?

 

Le rôle de la Fondation des Territoires est de détecter des initiatives innovantes, c’est un lieu de dialogue. Après 15 ans, mon constat est que toutes les solutions existent, mais les mondes ne se rencontrent pas. 

 

  • Mais le fait de faire une fondation territoriale, n’est-ce pas encore une forme de concentration de « pouvoir » avec pour conséquence de créer un goulot d’étranglement ? Pour clarifier le propos, voulez-vous créer une fondation qui est la fondation nationale du territoire ?

 

Non, pour moi, les fondations territoriales sont territoriales. La question de l’échelle est très claire, c’est l’échelle pertinente pour les projets locaux sans se focaliser sur la dimension administrative. La notion de territoire est avant tout une notion de projet qui ne se fait pas de la même manière dans un environnement de montagne, de littoral, en territoire rural ou urbain et surtout dans un contexte de culture ou d’histoire différent. Ce sont les acteurs qui doivent déterminer quelle est la bonne taille culturelle et géographique. À titre d’exemple, au travers le Fonds ODD 17, nous avons été le premier partenaire financier de la création territoriale de la Fondation de Loire-Atlantique. Ce sont les acteurs de Loire-Atlantique qui créent leur propre modèle d’alliance territoriale… et il est différent de la Fondation Agisens à Chambéry. C’est en cela qu’il est utile d’écouter les territoires et leur manière de diversifier les réponses, telle que s'est donné pour objectif la Fondation des Territoires.

 

  • Ces fondations devront-elles passer par le biais du statut en créant une fondation ?  

 

Pas nécessairement ! Quand nous parlons de fondations en France, nous pensons avant tout à des fondations redistributrices, comme investisseur sociétal. Leur rôle peut être multiple. En pratique, ce sont souvent des fondations abritées, mais si elles veulent un statut RUP elle le peuvent comme la Fondation de Lille qui a été la première à créer une Fondation territoriale en France. La durée du projet de territoire n’est pas limitée, il se renouvelle. L’ANPP (Association Nationale des Pôles d’équilibre territoriaux et ruraux et des Pays) l’explique très bien dans son Vademecum, un projet de territoire se construit sur 30 ans. C’est en cela qu’une fondation est adaptée pour accompagner dans la durée une transformation nécessairement longue. Nous devons retrouver la capacité à co-construire sur le temps long. 

 

  • En fait c’est le Plan…

 

Oui, mais c’est le plan territorialisé en fonction des spécificités de chaque territoire, pas un plan qui descend de Paris. La Fondation Territoriale n’est qu’un outil, d’autres peuvent choisir d’autres outils, certains vont préférer un outil plus économique, par exemple les PTCE. Peu importe l’outil, l’important est qu’il y ait un projet de territoire, qu’il soit sur une temporalité longue et porté par chaque contributeur. Dans ce cadre-là, nous sommes exactement dans le cœur du rapport ministériel que nous avons rendu. Les élus qui témoignaient au Congrès de l’ANPP auquel je participais en décembre montrent que ceux qui vont le plus loin dans la co-construction sont ceux qui ont commencé il y a 30 ans. On ne peut pas demander à ceux qui commencent aujourd’hui d’aller aussi vite. Il ne peut y avoir une exigence d’une uniformité de la façon de le faire.  

Innovation, Performance, Confiance

  • Voulez-vous ajouter quelque chose ?

 

Je voulais aborder un dernier point qui me paraît important. Ce sont les trois impacts de la co-construction territoriale : Innovation, Performance, Confiance. 

- L’innovation : au-delà d’un contrat-échange, le contrat-alliance, c'est vraiment de pouvoir inventer ensemble et innover ensemble. C’est parce que les profils d’acteurs sont différents qu’ils peuvent concevoir ensemble ce qu’aucun ne peut imaginer seul.

- la performance : quand deux acteurs au moins commencent à cheminer ensemble et à travailler sur les modèles économiques d’intérêt général, chacun va y puiser ses propres enseignements. En acceptant cette démarche apprenante, on se rend compte qu’elle est transformatrice pour soi-même, parce que la rencontre de l’autre différent va améliorer sa propre performance. Il ne s’agit donc pas que d’une question d’innovation pour tous, c’est aussi une question de performance pour chacun. 

- la confiance : élément que nous avons découvert progressivement, c’est que la capacité à faire ensemble est un moteur de confiance. La logique de confiance collective revient à ce que nous avons dit sur alliances et territoires : se faire confiance permet de construire ensemble, et donne confiance dans un avenir commun. Les études réalisées auprès des Français en 2019 et 2020 ont montré très clairement qu’ils avaient plus confiance dans l’action que dans les normes et les discours. Aujourd’hui, seule la réalité de l’action compte. L’engagement collectif par des alliances entre associations, fondations, entreprises, collectivités sur des projets renforcent la confiance et devient un moteur au niveau local. 

 

  • On sait que ces alliances ne sont pas évidentes… On l’a dit pour l’État, mais c’est pareil pour tous les acteurs, chacun doit être capable de faire du renoncement.

 

Effectivement, c’est tout sauf tranquille ! Et la critique constructive que j’ai faite sur l’État, je peux aussi la faire sur les collectivités territoriales, sur les associations, sur les entreprises : chacun par rapport à son propre profil est percuté par cette question d’alliance. C’est pour cela qu’il ne faut pas confondre co-construction et co-gestion. Pour moi c’est très important. Nous ne sommes pas sur une question de gouvernance, de qui décide ; nous sommes sur la question de qui agit. Ce n’est pas la même notion et j’insiste parce que pour co-gérer il vaut mieux avoir des valeurs communes, alors que pour co-agir on peut être très différent. Quand on est dans un sous-bois la question n’est pas de savoir si l’humus, le champignon ou le grand arbre est le plus important. Il n’y a tout simplement pas de sous-bois sans ces trois éléments. C’est cela un écosystème, c’est l’intérêt général. C’est ne pas choisir son voisin, c’est définir comment on fait ensemble. On a donc tout à fait le droit de ne pas vouloir co-gérer, mais de vouloir co-construire. 

Le chemin ne nous est pas commun, mais le problème nous est commun. L’alliance n’est pas la solution universelle, c’est la solution dans les cas les plus complexes où aucun d’entre nous ne peut dire qu’il a la solution. Cela vient donc en subsidiarité par rapport à la capacité d’action de chacun. Et c’est en cela que l’on peut accepter à ce moment-là de dire que l’on va faire ensemble, dans la mesure où l’on se respecte mutuellement dans ce que l’on est et ce que l’on fait.

 

Propos recueillis par Francis Charhon.

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