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Par Chroniques philanthropiques par Francis Charhon - Publié le 2 juin 2022 - 18:02 - Mise à jour le 2 juin 2022 - 18:02
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[HISTOIRE] La loi Aillagon par le père de cette loi qui a modernisé le mécénat en France

20 ans après la promulgation de la loi Aillagon sur le mécénat, Francis Charhon échange avec son auteur, Jean-Jacques Aillagon. Quelle est la genèse de ce texte ? Quels obstacles a-t-il rencontrés ? Retour sur ce dispositif qui a permis le développement de la philanthropie en France.

[HISTOIRE] La loi Aillagon par le père de cette loi qui a modernisé le mécénat en France. Crédit photo : DR.
[HISTOIRE] La loi Aillagon par le père de cette loi qui a modernisé le mécénat en France. Crédit photo : DR.
  • Lorsque vous étiez ministre de la Culture, vous avez structuré le mécénat moderne en France. Il paraît important de retracer l’histoire de cette loi, dite loi Aillagon, tout à fait fondamentale. Je voudrais d’abord savoir dans quelle condition vous avez été nommé ministre de la Culture de Jacques Chirac.

 

J’ai été nommé ministre de la Culture le 7 mai 2002, à la suite de l’élection présidentielle qui avait vu Jacques Chirac opposé à Jean-Marie Le Pen. Je succédais donc à Catherine Tasca qui fut d’ailleurs ma ministre puisque je venais de présider le Centre Pompidou de 1996 à 2002. 

Objectif mécénat

  • Quand vous êtes arrivé au ministère, dans le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, était il prévu de faire une loi sur le mécénat ? Qui en a eu l’idée ?

 

Il se trouve que j’avais participé à l’élaboration du programme culturel de Jacques Chirac pour sa deuxième mandature et qu’avec tous ceux qui avaient pris part à ce travail, nous avions pris soin de réfléchir à ce que pourrait être l’amélioration du régime juridique et de la pratique du mécénat dans notre pays. Il s’agissait en effet de promouvoir une société plus responsable et d’affirmer qu’à côté de l’engagement irremplaçable des collectivités publiques en faveur de l’intérêt général, il y avait place également pour les initiatives des particuliers et des entreprises. Dès mon installation rue de Valois j’ai eu, de ce fait, à cœur de mettre en œuvre un projet de loi sur le mécénat et les fondations en m’appuyant sur la bonne connaissance de ce sujet par mon cabinet, notamment mon directeur de cabinet, Guillaume Cerutti, et son collègue, inspecteur des finances également, Eric Garandeau. C’est parce que nous avons travaillé rapidement et efficacement, qu’un an à peine après notre arrivée au ministère, le projet de loi était examiné par le Parlement.

 

  • À cette époque, le concept de mécénat était assez éloigné de la préoccupation du monde politique et les fondations totalement inconnues.

 

Vous êtes bien placé pour savoir qu’il a fallu surmonter la vieille méfiance de l’État à l’égard des « corps intermédiaires » et, dans le fond, de tout ce qui peut émaner spontanément du corps social. Dans notre pays, l’État, à force de beaucoup faire, a fini par s’imaginer que lui seul pouvait faire. Ce n’est que progressivement qu’il a su marquer de la confiance à la vitalité du corps social. À cet égard, la loi de 1901 sur les associations a été un immense progrès, tout comme les lois successives de décentralisation par lesquelles l’État manifestait sa confiance dans la prise de responsabilités d’autres collectivités que celle, éminente, qu’il constitue. Je me souviens, s’agissant du mécénat, qu’au début des années 1980, alors que j’étais administrateur du Musée National d’Art moderne, il y avait eu, au conseil d’orientation du Centre Pompidou un débat sur la question de savoir s’il était légitime pour un établissement public de recourir au mécénat des entreprises. Le président du Centre de l’époque, Jean Maheu, soutenait naturellement une approche positive et dynamique de la question alors que beaucoup marquaient encore de la réticence à l’égard de la collaboration entre une entité publique et des entreprises. Je crois que la loi de 2003 a contribué à surmonter ces réticences de façon décisive.

 

  • Je suppose qu’ayant dirigé le Centre Pompidou, vous aviez des convictions notamment en comparaison de vos collègues étrangers qui trouvaient des financements privés pour leurs institutions. 

 

En effet, ayant dirigé des établissements culturels dont le Centre Pompidou, j’avais pu mesurer à quel point la pratique du mécénat était entravée à la fois par l’état d’esprit d’une partie de la société, mais aussi par le caractère timoré et peu incitatif des textes. La comparaison avec la situation d’institutions étrangères, notamment anglo-saxonne, montrait en effet l’ampleur du chemin à parcourir. C’est sans doute parce que, que devenant ministre, j’avais l’expérience des établissements publics que je me suis attaché avec autant de conviction à promouvoir une loi sur le mécénat.

 

  • Le projet initial était-il de traiter le mécénat de la culture pour votre ministère ou de façon plus globale ?

 

J’avais en effet le vif souci de tout faire pour favoriser le mécénat culturel mais je savais également que pour imposer à l’ensemble du Gouvernement un projet de loi sur cette question, il fallait veiller à ce qu’elle vise au développement de toutes les causes d’intérêt général que l’objet en soit culturel, éducatif, scientifique, sportif, philanthropique, etc. Il fallait, pour qu’il passe, que ce projet de loi devienne le projet de tout le Gouvernement et non seulement celui du ministère de la Culture, même si c’est le ministre de la Culture qui le portait.

 

  • Est-ce que cela a été compliqué de convaincre votre Premier ministre ? 

 

Non, bien au contraire. Jean-Pierre Raffarin, avait fait de la promotion d’une société de la responsabilité partagée, l’un des objectifs de son gouvernement. Cette loi s’inscrivait parfaitement dans cette perspective. La loi a donc bénéficié du soutien convaincu de l’Élysée et de Matignon à la fois.

Un travail collaboratif et de conviction

  • Comment le processus s’est il engagé et comment avez-vous pu convaincre tous les ministères, notamment Bercy ?

 

Il va de soi qu’une loi comportant des dispositions fiscales, notamment des mesures de réduction d'impôt, ne pouvait franchir toutes les étapes de l’inter-ministérialité qu’avec l’appui du ministère du Budget. Cet appui ne m’a pas fait défaut. Alain Lambert qui était alors ministre du Budget m’a soutenu avec enthousiasme. On peut même dire que le projet de loi a été, pas à pas, co-construit avec Bercy et cela d’autant plus que les directeurs de cabinet des deux ministres que nous étions étaient, eux aussi, extrêmement proches sur ce sujet. Il s’agissait d’Augustin de Romanet pour le Budget et Guillaume Cerutti pour la Culture.

 

  • Quels ont été les obstacles les plus difficiles à surmonter ?

 

Les obstacles ont été ceux, classiques, du débat parlementaire. Mon souci était en effet que cette loi soit bien perçue comme une loi d’intérêt général et non comme une loi animée par des partis-pris présumés de droite visant à une possible libéralisation et marchandisation de l’intérêt général et plus particulièrement la culture. C’est la raison pour laquelle, au cours du débat, je n’ai cessé de rappeler mon attachement foncier au service public de la culture, ma conviction qu’il appartenait aux collectivités publiques de la soutenir par des moyens conséquents tout en souhaitant que des initiatives privées puissent venir en enrichir l’offre. S’agissant de la culture, je n’ai cessé de clamer que la question n’était pas l’action publique ou l’initiative privée mais bien l’action publique ET l’initiative privée. Par ailleurs, j’ai insisté sur le fait que la portée de la loi dépassait les seuls intérêts de la culture, mais concernait bien tous les engagements possibles en faveur de toutes les causes d’intérêt général. Je tiens à souligner que je n’ai eu qu’à me louer de la qualité des débats et de l’engagement des rapporteurs, Yann Gaillard et Philippe Nachbar au Sénat et Laurent Hénart à l’Assemblée Nationale. 

 

  • Quel a été le processus de travail avec les différentes parties prenantes ?

 

Il était nécessaire que l’élaboration de la loi soit précédée d’un vaste travail de consultation du monde des fondations et des associations, notamment philanthropiques. Je pense plus particulièrement à la Fondation de France qui a joué un rôle pionnier dans ce domaine et à une association comme l'Admical alors présidée par Jacques Rigaud. Comme toujours, la création de la loi s’appuie sur l’histoire dont elle est issue. C’est la raison pour laquelle je me suis souvent réclamé de deux précédentes loi, même si insuffisantes : la loi Léotard de 1987 et la loi Lang sur les fondations d’entreprises de 1990. Aujourd’hui, à chaque fois que certaines dispositions de ma loi sont menacées d’être écornées par des amputations de leurs dispositions fiscales, j’observe avec satisfaction que ce sont justement les fondations ou les associations qui montent au créneau pour résister.

 

  • Dès votre arrivée, vous avez aussi mis en place des dispositifs importants pour les musées et le patrimoine.

 

La loi sur le mécénat comporte en effet des dispositions spécifiques en faveur des musées et du patrimoine. La plus importante concerne l’extension du dispositif de la loi Musée de 2002 en faveur des « trésors nationaux » à toutes les œuvres d’intérêt patrimonial majeur, même si elles ne sont pas soumises à une procédure d’exportation ou même si elles ne sont pas présentées sur le marché étranger. C’est également au même moment qu’a été prise une décision importante, celle d’affecter à la Fondation du Patrimoine une part significative des successions en déshérence. Je crois pouvoir dire que c’est cette mesure qui a assuré le véritable décollage de cette fondation qui occupe aujourd’hui une place si importante dans le paysage de la préservation du patrimoine.

Pour un crédit d’impôt

  • Vous avez depuis eu une activité importante dans la culture. Quel regard portez-vous sur la loi après 20 ans ? Et si vous deviez reprendre l’ouvrage, pensez-vous que des éléments devraient être ajoutés ?

 

Ce que je trouve très satisfaisant, c’est ce que cette loi a été définitivement adoptée par la société française et qu’elle a souvent servi de référence dans d’autres pays européens. Ce qui me réjouit également, c’est que progressivement on a cessé de penser et de dire que cette loi aurait créé des niches fiscales. En effet, si la pratique du mécénat permet de bénéficier de réductions de l’impôt, ce n’est pas dans le but d’enrichir ceux qui le pratiquent, mais d’apporter des moyens supplémentaires à des action utiles à tous. La loi crée donc — et c’est sans doute sa contribution principale à la manière de fonctionner de la société française — le droit pour les contribuables d’affecter une part de l’impôt dû à une action de leur choix tout en y rajoutant une part de « don gratuit », une sorte d’impôt supplémentaire et volontaire. Si les choses étaient à reprendre aujourd’hui, je ferais sans doute plus et mieux en instaurant par exemple pour chaque non imposable au titre de l’impôt sur le revenu un petit crédit d’impôt qui permettrait à chaque personne de devenir également un contributeur à une cause d’intérêt général de son choix. À côté du dispositif qui permet aux entreprises d’acheter des œuvres d’intérêt patrimonial majeur pour les collections publiques avec une réduction d’impôt de 90 %, j’instituerais une disposition identique pour des monuments d’intérêt patrimonial ou historique majeur de façon à renforcer les moyens du patrimoine. Ce sont quelques idées auxquelles pourraient s’ajouter beaucoup d’autres.

Reconnaitre le travail de la société civile

  • Vous parlez d’autre initiatives. Pouvez-vous en citer quelques-unes et nous donner votre avis sur le rôle des acteurs de la philanthropie (associations, fondations, bénévoles et donateurs) dans une société moderne ? Pensez-vous que ce secteur soit assez reconnu dans son rôle d’acteur social essentiel pour le maintien du lien social et dans les réponses qu’il apporte en complément des dispositifs d’État ?

 

Les crises que nous traversons, crise sanitaire de la Covid, crise internationale dont celle de la guerre en Ukraine et la solidarité qu’appelle la situation désespérée de tant de personnes jetées sur les chemins de l’exil ont une nouvelle fois mis en valeur le rôle essentiel que peuvent jouer aux côtés naturellement des acteurs publics, ceux de la philanthropie. C'est, de surcroît, au sein des fondations et associations que se sont développées les initiatives les plus généreuses et les plus innovantes. Il faut que l’État sache mieux reconnaitre la capacité de la société dite civile à contribuer au développement de l’intérêt général. Cela concerne notamment la considération, y compris fiscale, qui devrait être plus portée au travail des centaines de milliers de bénévoles qui font en sorte que notre société est plus fraternelle, plus amicale, plus bienveillante, plus juste. Là aussi, il s’agit d’avoir une vision dynamique de la vie sociale et d’admettre qu’à côté de l’immense engagement des collectivités publiques, il y a place pour celui des particuliers et des entreprises. N’est-ce pas d’ailleurs pour cela qu’on a forgé le concept « de responsabilité sociale et environnementale des entreprises » ? 

 

  • Vous présidez l’association des amis du Festival d’Automne. Est-ce qu’un tel festival qui se développe année après année pourrait vivre sans le mécénat ?

 

 

Le Festival d’Automne, créé par Michel Guy, avant qu’il devienne ministre de la Culture, a joué et joue toujours sur la scène culturelle française un rôle incontournable. C’est un festival de prospection de la création dans tous les domaines de son expression, la musique, les arts de la scène, les arts plastiques notamment. Ce festival bénéficie du soutien historique du ministère de la Culture ainsi que de celui de la Ville de Paris et plus récemment de la région Île-de-France. Le mécénat des particuliers et des entreprises a cependant été appelé, au cours des dernières décennies, à prendre une place de plus en plus importante dans le plan de financement de la programmation. Mes deux prédécesseurs à la présidence des Amis du Festival, Guy de Wouters puis Pierre Bergé, ont suscité et stabilisé cette base de financement privé dont le festival a réellement besoin. Aujourd’hui c’est un objectif de mécénat d'un million d’euros par an qu’il faut se fixer pour donner au festival que dirige avec grand talent Emmanuel Demarcy Mota toute sa capacité de production et de diffusion. Le festival bénéficie de la compétence d’une remarquable responsable du mécénat, Clémence Atallah. J’aimerais que ceux qui lieront ces quelques lignes éprouvent le désir de soutenir eux aussi cette belle et grande manifestation.

 

  • À travers votre expérience, pouvez-vous nous dire si le mécénat en France vous paraît maintenant à niveau satisfaisant ?

 

On a bien avancé mais on peut faire beaucoup mieux — et du côté des particuliers et du côté des entreprises, grandes et petites. Pour cela, il est indispensable que les pouvoirs publics manifestent sans aucune ambiguïté leur total soutien à la prise de responsabilités de la société tout entière à l’égard des actions d’intérêt général. J’ai noté avec beaucoup de satisfaction que la nouvelle Ministre de la Culture, Rima Abdul-Malak, avait, à l’occasion de la passation de pouvoir, pris soin, dans ses remerciements, d’évoquer également les mécènes du ministère de la Culture.

 

Propos recueillis par Francis Charhon.

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