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Par Chroniques philanthropiques par Francis Charhon - Publié le 15 décembre 2022 - 08:31 - Mise à jour le 25 janvier 2023 - 23:22
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[INTERVIEW] Benjamin Bellegy, WINGS : la philanthropie internationale, une grande ambition

Que fait l'organisation mondiale WINGS ? Comment influence-t-elle la philanthropie au niveau international ? Quelles sont ses actions de plaidoyer ? Quel est son regard sur l'organisation de la philanthropie en France et en Europe ? Les réponses de Benjamin Bellegy, directeur de WINGS.

[INTERVIEW] Benjamin Bellegy, WINGS : la philanthropie internationale, une grande ambition. Crédit photo : DR.
[INTERVIEW] Benjamin Bellegy, WINGS : la philanthropie internationale, une grande ambition. Crédit photo : DR.

Agir dans le monde

  • Benjamin Bellegy, vous êtes le directeur d’une organisation qui s’appelle WINGS et qui est assez peu connue en France. Pouvez-vous nous la présenter ?

 

WINGS est une organisation mondiale. Nous jouons un rôle de réseau et de plateforme globale pour renforcer le secteur de la philanthropie dans le monde, augmenter les ressources philanthropiques existantes et les rendre plus efficaces. Notre association regroupe aujourd’hui 203 membres dans 60 pays. Ces organisations sont pour une bonne partie elles-mêmes des réseaux, des structures qui appuient le secteur de la philanthropie au niveau national, au niveau régional ou sur une thématique spécifique. WINGS les aide à être mieux équipées dans leurs différents axes de travail. Nous ne sommes pas simplement une association qui apporte des services à ses réseaux et ses associations nous essayons aussi de travailler avec eux comme un catalyseur qui influence directement le changement dans le secteur de la philanthropie.

WINGS a été créé en 2000. Il y a eu différentes phases. De 2000 à 2011 la structure est restée très informelle avec deux personnes au secrétariat assez focalisée autour de notre conférence internationale, « WINGSForum ». J’en profite pour envoyer une invitation à toute la communauté à rejoindre le « WINGSForum » à Nairobi, en octobre dans un an exactement. Pendant onze ans l’activité s’est focalisée sur le « WINGSForum » et le renforcement des réseaux de fondations à l’époque. À partir de 2012 la structure est devenue une association avec des membres plus diversifié. Depuis un peu plus de 5 ans, nous avons beaucoup évolué et grandi. Notre rôle a également changé car nous ne nous positionnons plus comme strictement une association de membres mais comme une plateforme qui veut développer le secteur avec nos membres. Notre vision est plus programmatique et plus stratégique, au service du secteur, avec nos membres.

Nous travaillons sur trois axes. 

Le premier c’est d’influencer la philanthropie elle-même. Elle comble les trous laissés par les gouvernements ou par les marchés. C’est aujourd’hui absolument nécessaire dans le contexte global de crises profondes et multiples, qu’elles soient climatiques, dues aux inégalités, aux crises de la démocraties… Nous voulons aider les acteurs à promouvoir des pratiques qui sont à même d’apporter un changement systémique, plus structurel, dans la société pour aller au-delà d’un rôle de filet de sécurité. Notre positionnement est de dire qu’il faut que les acteurs de la philanthropie se positionnent comme des « catalyseurs » du changement à un niveau plus systématique, plus systémique. Nous essayons donc d’influencer de différentes manières ces pratiques-là.

Le deuxième axe de travail est davantage lié au plaidoyer et à l’influence d’autres acteurs, notamment gouvernementaux ou multilatéraux, pour essayer de créer au niveau mondial un environnement légal, un environnement de partenariat qui permettent à la philanthropie  de pleinement jouer son rôle. En effet dans de nombreux pays et régions dans le monde, il existe des contraintes, des restrictions parfois démesurées avec un environnement qui ne favorise pas la création de fondations. 

Et enfin le troisième axe est de transformer la philanthropie, pour disposer d’une infrastructure, d’un écosystème d’acteurs indispensable pour stimuler et soutenir le secteur, tels les réseaux, les plateformes de dons, les structures qui peuvent faciliter le plaidoyer ou encore la collaboration avec d’autres secteurs. Ces écosystèmes d’appui doivent être forts et bien interconnectés, un peu comme vous essayez de le faire en France avec la plateforme Générosités. C’est vraiment cette idée de rassembler les différentes composantes de l’écosystème et de les soutenir. Pour cela les interventions de WINGS peuvent être localisées. Nous travaillons sur deux projet en Afrique de l’Ouest de l’Est et également en Amérique Latine qui visent à rassembler des acteurs pour qu’ils travaillent de concert afin d’augmenter les financements dont elles ont besoin pour jouer leur rôle. 

Développer les centres de philanthropie

  • Est-ce que cela signifie aider les acteurs à monter un centre local de philanthropie en rassemblant des organisations, pour avoir un plaidoyer commun ?

 

C’est cela. Nous ne venons pas avec une recette prédéterminée en disant : voilà c’est cela l’infrastructure qu’il faut mettre en place partout dans le monde. Nous venons plutôt comme un rassembleur qui va réunir les différents acteurs pour les aider à définir eux-mêmes leurs priorités et comment ils peuvent travailler ensemble.

 

  • Est-ce que vous prenez pour exemple les États-Unis où il existe déjà beaucoup d’initiatives comme le Centre des fondations, le Centre des petites fondations… ?

 

Oui, c’est un exemple intéressant. Aux Etats-Unis, il y a effectivement une offre d’infrastructures qui est très importante. Il y a plus de 250 organisations d’infrastructures philanthropiques dans le pays, mais on rencontre des problèmes de duplication, de travail en silos, cet écosystème-là pourrait être plus efficient. Dans ce contexte, la question ne sera pas tant de savoir s’il faut encore créer une infrastructure mais portera plus sur les synergies et voir comment les financeurs qui sont derrière ces différents acteurs peuvent mieux se coordonner pour avoir davantage d’impact collectivement. Partout  il y a un besoin de travailler ensemble soit pour augmenter les investissements et les collaborations entre les différents acteurs de l’écosystème.

Et la France

  • Vu de votre position internationale, puisque vous êtes présents dans de nombreux pays, quel regard portez-vous sur la France ? Pensez vous que la France est sous-équipée ?

 

Non plutôt le contraire ! Je trouve que la France a une relativement bonne infrastructure philanthropique, notamment à travers l’action de la Fondation de France et d’autres acteurs qui ont joué un rôle d’organisateurs de cet écosystème depuis 25 ans. C’est quelque chose que l’on ne voit pas forcément dans tous les pays et c’est assez intéressant. Il y a aussi des acteurs qui à ma connaissance n’existent pas dans d’autres pays, comme France générosités qui est aussi un modèle de syndicat unique. Vous avez mis en place des organisations pour partager les bonnes pratiques, pour créer du collectif. Des progrès sont encore à faire pour coordonner la parole du secteur non lucratif car les moyens mis sur la table sont insuffisants pour qu’il  joue pleinement son rôle. Un certain nombre de tentatives vont dans ce sens pour faire travailler plus les acteurs ensembles. Je sais que par exemple le Centre Français des Fondations qui est la tête de pont du secteur de la philanthropie institutionnelle n’a pas les ressources suffisantes pour faire efficacement ce travail de plaidoyer afin de créer cet environnement favorable au niveau des politiques et des régulations. C’est très difficile de faire financer ce genre de travail. C’est un des sujets sur lesquels il faut avancer en France et ailleurs. 

 

  • Si l’on revient sur le deuxième axe sur le développement de conditions favorables. Il y a un grand nombre de pays où il n’y a pas de pratiques, des empêchements ou pas de connaissance, j’imagine donc que cela fait partie d’un travail important que vous faites en allant dans des endroits où rien ne se fait pour aider la prise d’initiative. 

 

Tout à fait, c’est bien cela l’idée. Nous voyons notre rôle à deux niveaux sur cette question-là. Comme nous sommes une association de membres, notre rôle est de le soutenir. Nous essayons de mettre à disposition dans différents pays, en particulier dans les pays où ils sont peu soutenus et peu nombreux, des outils, des formations, des opportunités d’échanges entre pairs, entre régions et entre pays. Nous avons par exemple un groupe de travail « Environnement favorable » qui réunit près de 70 membres de WINGS qui régulièrement se rencontrent pour échanger des idées et des échanger des pratiques autour du plaidoyer. Nous avons également un partenariat avec l’Union Européenne amené à grandir l’année prochaine qui nous permet de faciliter ce genre de travail. Nous avons aussi mis en place un fonds de subventions pour nos membres. WINGS joue un rôle d’intermédiaire avec des fonds européens que l’on redistribue à nos membres dans les pays du Sud pour les aider sur leur stratégie de plaidoyer.

Les financements

  • Recevez-vous beaucoup de financement de l’Europe sur ces questions-là ?

 

Nous sommes en train de terminer le premier partenariat qui prendra fin en juin de l’année prochaine. C’était un partenariat de deux ans pour lequel nous avons reçu un million d’euros. Pour le prochain partenariat nous serons sur un montant plus important et sur quatre ans. Ce projet sera plus large et permettra de travailler sur l’ensemble de nos trois axes de travail. 

 

  • Vous recevez aussi de l’argent de USAID ?

 

Nous espérons en recevoir et sommes en discussion régulière avec eux. Ils participent à nos événements, notamment sur les questions de localisation, mais aujourd’hui nous ne recevons pas encore de financement.

 

  • Vous parlez de l’Union Européenne. Recevez-vous des financements d’organisations internationales, telles que l’ONU ou autres, ou devez-vous fonctionner uniquement avec les fonds de fondations qui vous soutiennent ? 

 

L’essentiel reste encore le financement des fondations qui nous soutiennent, surtout des fondations américaines, mais nous avons quand même quelques acteurs comme la Fondation de France, ou la Fondation Daniel et Nina Carasso sur le climat, qui ne sont pas aux États-Unis et qui appuient WINGS. La part du financement européen à partir du prochain partenariat sera pratiquement la moitié de nos revenus. À cela il faut aussi ajouter les revenus des cotisations des membres qui représentent environ 15 % de nos ressources.

Notre budget pour 2023 est proche de trois millions d’euros et nous espérons continuer à nous développer pour pouvoir pleinement jouer notre rôle.  C’est ambitieux, mais il y a énormément de besoins. Nous avons donc encore une marge de développement. 

Un impératif : s’organiser partout pour avoir une parole collective

  • Si je comprends bien avec le soutien de vos membres et de votre conseil d’administration qui représente des têtes de réseaux dans tous les pays, vous devrez avoir une part d’activité pour le soutien des organisations, qui vous est déléguée, en matière de lobbying, de plaidoyer...

 

Pas vraiment déléguée. La plupart de nos membres qui sont déjà actifs sur ces questions-là sont très focalisés sur leur échelon régional ou national. À l’exception du réseau européen Philea, et du Council on Foundations aux États-Unis, les autres réseaux ne se sont pas positionnés sur une dimension plus globale du problème. La grande majorité des politiques sont définies et mises en œuvre au niveau national. Cela nous amène à beaucoup focaliser notre travail en appui à ce que font nos membres au niveau national. Mais il y a aussi des politiques et des principes de lutte contre le blanchissement des États et des banques au niveau international qui ont une influence sur le secteur. Il faut par exemple pouvoir négocier avec la Financial Action Task Force. Philea, comme il en avait la capacité, a joué un rôle important ces dernières années sur ce sujet en représentant la philanthropie globale avec un mandat de WINGS. Avec le prochain partenariat avec l’Union Européenne, nous disposerons de plus de moyens pour venir soutenir des stratégies spécifiques de nos membres et les appuyer plus de façon individualisée. Tout cela est nouveau et ce n’est pas un rôle que jouait WINGS auparavant. 

Le secteur philanthropique paradoxalement, alors qu’il représente des montants très importants, ne s’était jamais organisé au niveau mondial pour avoir une voix collective et promouvoir ses propres intérêts. Même si on manque de données, on sait que les fondations ont des dotations qui représentent au minimum de 1500 milliard de dollars   (selon le rapport Harvard HSBC de 2018). Si on le prend sous l’angle d’une industrie, c’est peut-être la seule industrie de cette dimension-là qui ne s’est jamais organisée collectivement au niveau global. WINGS a donc commencé à jouer ce rôle, mais il faut du temps pour comprendre, y compris pour les fondations, que c’est très important d’investir dans ces actions. C’est pour cela que paradoxalement nous avons du chercher des fonds européens pour le faire. 

 

  • Nous avons le même problème en France, car les organisations philanthropiques ont du mal à comprendre l’intérêt du travail collectif. Dans votre premier axe de travail qui est d’influencer la philanthropie dans la pratique, comment cela se traduit-il ?

 

C’est le plus nouveau de nos axes. Nous sommes concentrés autour de deux initiatives principales : la première qui est en cours de préparation, est « la transformation de la philanthropie ». Nous travaillons avec tout le réseau pour étudier quelles sont les réflexions critiques sur les tendances, sur les pratiques, sur les valeurs qui guident l’action philanthropique. L’objectif est de parvenir à synthétiser cette intelligence, cette sagesse collectives et d’en tirer des principes qui pourront influencer des acteurs philanthropiques divers et variés. Des principes d’actions que nous allons aussi illustrer par des pratiques concrètes en provenance de diverses régions du monde. Il s’agit autour de cela de créer des discussions, des événements, et de travailler avec notre réseau pour que chacun engage ses membres à son échelle sur ces sujets-là.

Le type de principe dont nous parlons sont toutes les grandes questions actuelles, autour de la transparence, de la redevabilité auprès des différentes parties prenantes y compris les bénéficiaires des fondations par exemple. C’est aussi la question de la collaboration et comment la philanthropie peut jouer un rôle d’entrainement avec les capitaux dont elle dispose, comment elle peut prendre des risques, jouer un rôle complémentaire des marchés ou des États. On va aussi toucher aux questions d’impact collectif versus impact individuel, ou encore réfléchir aux dynamiques de pouvoir. De tout ce qui, selon nos membres, permettrait ainsi à la philanthropie d’avoir un impact plus transformateur. 

Agir pour le climat

  • Quand vous parlez de la philanthropie, pensez-vous aux fondations ?

 

Sur cette initiative spécifique, notre cible principale sont les acteurs philanthropiques organisés ou institutionnels, tels que les fondations. Mais en général à WINGS, notre définition de la philanthropie est plus large et inclusive. Elle inclut l’ensemble des ressources privées pour le bien commun. Notre réseau reflète cette diversité avec certains membres travaillant sur les donations individuelles des classes moyennes, d’autres sur la philanthropie communautaire et territoriale, d’autres encore, sur la philanthropie d’entreprises ou des grandes fortunes. 

L’autre projet sur lequel nous travaillons avec l’idée d’influencer le secteur est autour du climat. La France avec le Centre Français des Fondations est l’un des pays européens qui a lancé une coalition des fondations pour le climat et un manifeste déjà signe par près de 150 fondations françaises. Avec WINGS nous avons décidé de soutenir ce travail et de le porter au niveau international. Pour que les acteurs philanthropiques embrassent les enjeux du 21e siècle, il faut qu’ils intègrent la question du climat dans leur travail, dans leur stratégie, dans leurs opérations, quelles que soient leurs missions propres. Cela permet aux fondations de jouer leur rôle vis-à-vis des générations futures tout en adoptant des approches plus holistiques qui augmenteront leur impact sur leur cœur de mission (éducation, culture, sante, ou autre). Nous jouons ce rôle d’orchestrateur, de facilitateur d’un mouvement international avec nos membres. 

 

  • Vous êtes la main invisible…

 

Un peu plus visible sur ce projet parce que la configuration de cette initiative est originale. C’est-à-dire qu’il y a des pays où une association a lancé un engagement national comme en France, dans ce cas-là ils sont directement en lien avec les membres. Mais pour les pays qui n’ont pas de coalition nationale, les fondations sont invitées à signer directement la version internationale portée par WINGS. Nous travaillons aussi sur des campagnes et actions de visibilité au niveau global qui nous rendent plus visibles auprès des fondations elles-mêmes. Mais l’essentiel de notre contribution reste effectivement moins visible extérieurement, dans l’articulation des efforts des réseaux dans les différents pays. Ce mouvement international regroupe plus de quarante réseaux et associations philanthropiques dans un plaidoyer conjoint, c’est une première. 

 

  • On le trouve sur votre site internet cet engagement ?

 

Oui, nous avons un site WINGS ,mais nous avons un site spécifique pour cette initiative qui montre tous les signataires, avec à la fois des engagements nationaux et également au niveau international. Nous avons emmené une délégation de nos membres à la COP27 en Égypte où nous avons annoncé 600 signatures d’engagements nationaux et international. C’est un beau mouvement. À ma connaissance, il n’y a jamais eu jusqu’ici d’initiatives globales comme celle-ci qui cherchent à faire bouger les lignes dans le secteur de façon collaborative avec différents réseaux. 

 

  • Qui en sont les initiateurs ?

 

L’initiative a démarré au Royaume-Uni avec ACF tout d’abord puis elle a été reprise dans d’autres pays d’Europe avec le soutien de Philae et la Fondation Carasso à la manœuvre pour cette réplication et  le soutien a l’effort global. Philea a joué aussi un rôle important aussi pour essaimer en Europe et appuyer WINGS pour le lancer au niveau plus global. Pour nous c’est une sorte de laboratoire pour savoir comment orchestrer des mouvements philanthropiques nouveaux.

 

  • Des mouvements thématiques…

 

Oui, thématiques, mais nous essayons dans ce cas-là de le « dé-thématiser », dans le sens où il faut arrêter de voir le climat comme un sujet séparé, territoire des fondations écologiques. Il faut l’intégrer transversalement, quelle que soit notre mission, si l’on veut vraiment pouvoir continuer à agir dans le futur.

 

  • J’ai vu que vous aviez apporté de votre soutien à la localisation, sujet inscrit dans l’agenda du Forum Humanitaire de 2016, le Great Bargain. On s’aperçoit que pour la localisation, vous faites face à des complexités qui sont inhérentes à la nature des pays que vous rencontrez.

 

Ce sujet de la localisation est en train de devenir quelque chose d’assez central dans notre travail et c’est désormais l’ombrelle pour notre partenariat avec l’Union Européenne. La proposition de WINGS sur ce sujet-là est d’aller au-delà d’une nécessaire réallocation des fonds internationaux vers les acteurs locaux et nationaux, et de voir comment développer les ressources locales pour que la société civile locale soit soutenue de l’intérieur de façon pérenne et ne soit pas entièrement dépendante de fonds internationaux. Nous apportons donc cet angle qui est nouveau et reçoit un bon accueil de la part de l’USAID et de tous ces acteurs multilatéraux et qui trouvent cette approche intéressante. 

Lutter contre les contraintes ou les restrictions 

Les transfert de fonds

  • Parmi les obstacles que l’on rencontre, on le voit  bien pour l’aide humanitaire, la question des transferts de fonds est très compliquée. La fiabilisation des acteurs sur le terrain par rapport à des listes anti-terroristes qui sont faites constitue un obstacle et le deuxième obstacle c’est aussi l’espace de liberté de la société civile dans nombre de pays.

 

Oui absolument. Il y a un certain nombre d’obstacles et l’espace civique tend à se restreindre dans le monde. Comment essayer d’aider à développer des acteurs qui sont des intermédiaires proches du terrain et proches des communautés et non pas des intermédiaires basés à Washington ou à Genève. Le soutien à la philanthropie locale répond à ces enjeux-là. Il faut s’appuyer sur ces acteurs qui ont une très bonne connaissance des communautés et réalités locales. En structurant ces intermédiaires et réseaux locaux, on permet d’accroître les ressources locales et l’on surmonte certains de ces obstacles. Nous avons écrit un article sur le rôle de la philanthropie dans la localisation où l’on parle de ces différents éléments. Nous essayons ainsi d’augmenter les investissements des acteurs multilatéraux et autres. Nous avons déjà commencé ces discussions depuis quelques années avec les Nations-Unies et d’autres acteurs multi et bilatéraux. C’est beaucoup plus récemment que nous avons commencé à en parler directement avec les fondations elles-mêmes, notamment dans les pays du Nord. Nous avons un double message : « Si vous voulez faire du bon travail dans vos pays d’intervention extérieurs, il faut construire la philanthropie locale, comme la Fondation de France a commencé à le faire dans différents pays. » Il faut aussi transférer plus de fonds aux ONG locales pour qu’elles se structurent.

Nous avons ouvert le débat avec le Council of Foundations à New-York et nous voulons lancer une forme de campagne en partenariat avec nos membres, pour faire avancer les pratiques. Aux États-Unis, les données montrent que de tous leurs fonds qui sont dédiés aux pays du sud, seulement 13 % transitent par des ONG nationales ou locales. Tout le reste transite par des acteurs internationaux (World Vision, UNICEF, Croix Rouge, etc.). Il y a donc un vrai sujet pour les fondations sur la manière dont elles allouent leurs ressources.

 

  • La question de la capacité de transfert de fonds est un sujet quasiment contradictoire avec la localisation. On demande plus de localisation et il y a plus de réglementation pour surveiller les transferts de fonds. Les lois anti-terroristes compliquent beaucoup la tâche.  

 

Bien sûr, mais nous traitons cette question à travers le travail sur l’environnement favorable et en particulier notre présence via Philea dans les instances de la FATF. Nous soutenons aussi nos membres par des formations et échanges sur ces sujets. Les deux approches vont ensemble quand nous faisons notre plaidoyer et quand nous participons à des discussions avec des gouvernements ou d’autres, nous lions systématiquement les deux sujets. 

Les libertés civiles

  • La question de la liberté associative ou la liberté de la société civile ne bride-t-elle pas beaucoup le développement de la philanthropie ? Pensez-vous que l’espace se réduit ? Pensez-vous que vous rencontrez de plus en plus d’obstacles ?

 

Oui, il est clair qu’il y a une tendance à la fermeture de l’espace de la société civile depuis au moins dix ans. C’est documenté par un des membres de WINGS, l’lnternational Center for Non Profit Law (ICNL), qui étudie les lois et les réglementations dans le monde et fournit des statistiques. Il y a aussi le rapport du Lilly School of Philanthropy qui réalise un « Global philanthropy environnement index » tous les deux ans. À travers ce type de recherche, il est très clair qu’il y a un rétrécissement. Mais il y a également des améliorations dans certains pays. Même si la tendance générale est plutôt à la fermeture de l’espace, il y a des réalités différentes à l’intérieur des pays. On a vu dans certains pays des lois et des réglementations très défavorables aux fonds étrangers réduisant la possibilité de de recevoir des financements, mais à l’inverse ils ont mis en place des lois très favorables à la philanthropie nationale. 

 

  • Vous pensez à la Hongrie par exemple ?

 

La Hongrie est effectivement un cas d’école de fermeture du pays aux dons en provenance de fondations étrangères, mais je ne suis pas certain que le pays cherche activement à développer la philanthropie locale. Sur cet aspect, je pense surtout à la Chine et à l’Inde. Les politiques récentes favorisent le développement d’une philanthropie locale, mais seulement sur des sujets très consensuels, l’éducation par exemple. Elles ne concerneront évidemment pas les sujets plus sensibles de droits humains, etc. On est donc sur des réalités complexes avec parfois un environnement qui grandit et davantage de fonds qui se développent localement mais ne vont pas forcément toucher les organisations locales, les sujets les plus sensibles et parfois les plus urgents. C’est une réalité complexe mais l’on est dans un contexte global plutôt défavorable qui nécessite que tous les acteurs se mobilisent et s'organisent aux différents échelons locaux, régionaux, nationaux, et globaux pour se soutenir.

Une philanthropie Africaine en croissance

  • La philanthropie est-elle toujours principalement en provenance des USA et de l’Europe ?

 

Il est certain  que la philanthropie institutionnelle est beaucoup plus développée encore en Europe et en Amérique du Nord par rapport à d’autres régions, mais elle se diversifie très vite notamment en Asie où elle commence à devenir importante. Ceci est encore plus vrai si on regarde la philanthropie communautaire et des classes moyennes, très forte et en croissance en Afrique par exemple. C’est dans les pays émergeants que nous voulons focaliser notre soutien aux écosystèmes d’appui.  Il y a un énorme potentiel pour faire croître la philanthropie dans ces régions mais il est sous-exploité à cause du manque d’investissements dans l’écosystème. 

 

  • Qu’est ce que la Conférence Philanthropique Africaine ? 

 

Il y a eu récemment une conférence qui n’est qu’un des éléments du projet de renforcement et cartographie de l’écosystème d’appui à la philanthropie en Afrique de l’Ouest, il y aura le même projet en Afrique de l’Est. 

Nous intervenons comme soutien d’un partenaire local qui dirige les opérations, avec toujours dans cette même idée de rassembler autour de la même table les différents acteurs qui existent déjà et ont déjà engagé des actions pour aider tout type de philanthropie : par exemple avoir des plateformes de dons en ligne, ce qui aide à ce que des fonds de la diaspora ou de donateurs du monde entier puissent arriver localement, ou des plateformes d’ONG ou des réseaux de fondations quand ils existent. Il y a une grande diversité d’acteurs dans cette région. Nous rassemblons aussi les parties prenantes qui ont un intérêt à ce que la philanthropie et les donations grandissent. Nous leur donnons l’occasion de réfléchir de façon structurée avec des méthodes pour mieux comprendre qui fait quoi, se mettre d’accord sur une vison idéale.  Qu’est ce qui pourrait grandir ? Qu’est-ce qui est sous-exploité ? Et au regard de ces constats : que pourrait-on mieux faire, pourrait-on créer de nouveaux partenariats, de nouveaux investissements pour le secteur ?

 

  • Y a-t-il beaucoup de grosses fondations en Afrique ?

 

Non, il n’y a pas beaucoup de grosses fondations. Il y en a quelques-unes bien connues telle que Tony Elumelu Foundation, la Fondation Mo Ibrahim. Ensuite il y a tout un ensemble de fondations familiales, d’entreprises et aussi des Family offices qui gèrent de la philanthropie de familles. Il y a tout un secteur de la philanthropie individuelle dynamique qui reflète la tradition philanthropique africaine très ancienne. Souvent tous ces acteurs ne se connaissent pas, ne se parlent pas et n’ont pas de structure pour se rassembler, s’organiser et échanger. Depuis mon expérience avec la Fondation de France en Haïti, nous avions quand même été positivement surpris quand nous avions fait des rencontres du mécénat. Nous nous étions rendu compte que sur une petite île très pauvre, il existait déjà beaucoup de fondations et d’entreprises qui menaient des actions de philanthropie localement. Cela veut dire que quel que soit le lieu, il y a du potentiel, mais il s’agit de faire apparaître cette philanthropie et permettre la rencontre de ces acteurs pour la faire grandir.

 

  • Cette expérience de la Fondation de France a donc été une expérience utile pour vous à WINGS…

 

Tout à fait ! Ce que je fais avec WINGS est complètement en lien avec beaucoup des thématiques sur lesquelles j’ai travaillé avec la Fondation de France, y compris celle de soutenir la société civile locale qui était un gros sujet à la Fondation, particulièrement en période d’urgence. J’ai beaucoup appris et j’essaie de l’incorporer dans mes approches dans un nouveau contexte avec WINGS.

 

Propos recueillis par Francis Charhon.

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