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Par Chroniques philanthropiques par Francis Charhon - Publié le 20 février 2023 - 18:57 - Mise à jour le 22 février 2023 - 10:27
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[INTERVIEW] Bernard Devert (Habitat et Humanisme) : « Si nous voulons que notre société soit plus ouverte, il faut un passage de l’entre-soi à l’autre-soi »

Prêtre, entrepreneur et profondément humain : l’histoire de Bernard Devert est celle d’un homme qui lutte obstinément contre le drame du mal-logement. C’est l’engagement d’Habitat et Humanisme, l'association qu'il a créée.

[INTERVIEW] Bernard Devert (Habitat et Humanisme). Crédit photo : DR.
[INTERVIEW] Bernard Devert (Habitat et Humanisme). Crédit photo : DR.

Une création originale, hardie et fraternelle

  • Bernard Devert, vous avez un parcours très particulier, vous avez travaillé dans l’immobilier, puis avez changé votre vocation en restant dans l’immobilier en créant Habitat et Humanisme il y a trente-huit ans. Pouvez-vous nous dire ce qui a présidé à cette création ?  

 

Ce qui a présidé à la création d’Habitat et Humanisme est une rencontre m’a fait profondément bouger. J’avais une société de promotion classique toutefois un peu originale, car elle avait la mission de faire surgir de la mixité. C’est alors que la Ville de Lyon me demande de gérer un immeuble occupé par des personnes du quart-monde sur lequel il y avait un arrêté de péril. Pour permettre à ces personnes de retrouver un logement, il fallait reconstruire en un immeuble à caractère social. Une résidente âgée de cet immeuble en situation de mobilité réduite, seule, sans enfant et sans moyens, fait une tentative de suicide. Ses voisins m’en informent, je vais alors la voir à l’hôpital.  Je me souviens encore de ses premiers mots : « Vous allez me trouver un logement où certes il y a tout le confort et qui est adapté à ma situation de mobilité, mais dans un quartier qui est éloigné de ce lieu où j’habite depuis 70 ans. Avec votre fric, vous pouvez vous permettre de déplacer les gens, mais vous allez me mettre en situation de rupture par rapport à des personnes avec qui nous sommes heureux de vivre dans ce quartier. » En sortant de l’hôpital, je me suis dit que c’était cette femme qui avait raison : l’important était de prendre soin des personnes par-delà le logement. J’ai alors pensé que l’activité que j’exerçais pourrait être non seulement de construire des immeubles mais de bâtir des lieux au sein desquels se créeraient des liens rendant possibles des vies plus ouvertes. Cela m’a conduit à vendre ma société de promotion.  J’ai donc investi l’argent récolté au sein d’Habitat et Humanisme, association que j’ai lancée pour bâtir de la fraternité et favoriser l’égalité des chances. Nous voyons bien aujourd’hui combien cette égalité des chances est en situation de rupture dramatique. D’un côté il y a ceux qui ont la chance d’avoir un habitat. De l’autre, très nombreux sont ceux qui ne se contentent que de machines à loger, pour reprendre le mot de Le Corbusier, et il y a aussi des personnes qui n’ont qu’un abri. Entre l’habitat, le logement et l’abri, les différences sont extrêmement importantes. En matière d’égalité des chances, des quartiers sont perdus pour la République, avec des hommes et des femmes qui se disent que cette société ne sera jamais la leur, qu’ils sont discriminés et à part. Tout notre travail est de tenter de faire en sorte qu’il y ait moins de quartiers paupérisés et de voir comment des quartiers socialement équilibrés peuvent ouvrir des portes à ceux qui les voient jusque-là fermées. 

La bataille pour la mixité sociale

  • Votre souhait était de maintenir une mixité sociale inclusive pour éviter que les classes moyennes disparaissent et qu'on évite une polarisation entre les très pauvres et les très riches ailleurs en créant des lieux pour chacun. 

 

Cette mixité sociale inclusive devient aujourd’hui très difficile, mais c’est relativement récent, en raison du coût du foncier et des charges foncières qui deviennent extrêmement importants. La loi Solidarité et Renouvellement Urbain (loi SRU), pour laquelle Habitat et Humanisme s’est battu, devient paradoxalement, et je dis cela avec beaucoup d’inquiétude, une loi qui est en train de desservir les classes moyennes. Les populations aisées ont la chance de pouvoir se porter facilement acquéreur d’un logement dans les métropoles. Pour les populations fragilisées, il y a des logements aidés avec des financements très particuliers, comme le cas type à usage social où les classes moyennes ne trouvent pas leur place. Si l’on a la volonté de travailler sur une mixité, il faut absolument que les classes moyennes trouvent leur place. Dans le Monde, une journaliste soulignait récemment le travail d’accompagnement d’Habitat et Humanisme. Elle présentait le cas d’une famille qui habitait un quartier très pauvre. Il s’agissait d’une jeune femme musulmane qui avait changé de religion et se trouvait harassée par beaucoup de difficultés. Nous avons pu la loger dans un immeuble parisien, dans un quartier équilibré du 11e arrondissement. Cette personne témoigne de son bonheur : « Quelle chance pour mes trois enfants qui vont aller à l’école, cela va leur faire gagner beaucoup sur le plan de l’égalité des chances, mais j’ai bien compris que moi je n’aurai pas ma place dans cet immeuble et que je ne peux attendre qu’une acceptation polie de ma présence. » Je trouve qu’il y a là quelque chose de tout à fait dramatique qui montre bien que lorsque les classes moyennes ne sont pas présentes, cela entraine des situations de rupture extrêmement graves, des chocs culturels que les classes moyennes apaisent beaucoup. 

 

  • Depuis votre premier immeuble, vous avez mis beaucoup de dispositifs en place : des résidences intergénérationnelles, des maisons pour nos aînés, des petits collectifs, des tiers-lieux solidaires, et j’en oublie certainement.

 

Tout à fait, mais pourquoi diversifier cette activité ? Parce que la société se construit en silos, et notre démarche est d’essayer de travailler sur une transversalité des relations. Il y a les maisons pour les personnes âgées, pour les étudiants, pour les résidences sociales… Mais finalement chacun se retrouve dans un entre-soi. Si nous voulons que notre société soit plus ouverte, il faut un passage de l’entre-soi à l’autre-soi. L’acte de construction peut largement contribuer et même être une dynamique de cet autre-soi, à partir de la création de logements qui accueillent des publics très différents, à des âges très différents, avec des cultures et des ressources très différentes. C’est là tout le travail d’Habitat et Humanisme. Ce travail ouvre des perspectives pour qu’il y ait plus de cohésion sociale car celle-ci est aujourd’hui extrêmement lézardée, elle est même blessée, fracturée. Et là où il y a des fractures, on fait appel naturellement à des actes presque chirurgicaux, des soins sont souvent lourds. L’acte de construction doit devenir cet acte de soin. 

 

  • Entre ces différentes populations, il y a aussi des questions d’équité, avec des gens qui font partie des classes moyennes qui considèrent qu'ils sont finalement moins bien traités que d’autres. 

 

Tout à fait, il y a ce sentiment d’être rejeté sans rien pour eux. Cela amène à des risques de rupture du lien social et politique tout à fait importants si on devait continuer dans cette voie. On dit que les classes moyennes ne veulent pas vivre dans des collectifs, qu’elles recherchent un habitat sous forme de maison individuelle. C’est partiellement vrai. Pourtant, il va bien falloir limiter ces logements individuels, parce que sinon l’espace va être complètement émietté. 

 

  • Vous avez mis en place un système tout à fait original pour proposer des appartements à des prix accessibles. 

 

Effectivement, il ne s’agit pas simplement d’avoir des discours, il faut pouvoir élever les murs pour que notre société soit plus humanisée. Il fallait chercher des moyens financiers et nous nous sommes dit que que notre démarche à impact social fort était susceptible de trouver de l’intérêt. Nous avons donc créé la première foncière solidaire en France et sommes des pionniers de l’économie solidaire. Monsieur Attali parle de l’économie positive. 

Habitat et Humanisme existe depuis bientôt 38 ans déjà. Nous avions créé une SCI qui s’appelait « 1515 » parce que le premier immeuble se trouvait rue de Marignan. Cette appellation était aussi un signe que nous allions livrer des batailles. Nous n’avons pas gagné la guerre cela se saurait, mais constamment Habitat et Humanisme livre des batailles pour dire que nous n’acceptons plus cet acte de construction qui isole les gens. Ce travail pour une économie solidaire porte aujourd’hui des fruits. 

Organiser le financement du logement social

  • Je crois qu’il faut un peu rentrer dans la technique pour comprendre votre organisation.

 

Nous avions d’abord une SCI, mais les actionnaires, les porteurs de parts sont indéfiniment responsables des dettes de la société. Cela induisait aussi des risques pour sécuriser les porteurs de parts. Nous avons donc créé une foncière. C’est une société anonyme en commandite par actions, dans laquelle les actionnaires ne sont responsables qu’à concurrence du montant de leurs actions. C’est donc une responsabilité très largement maîtrisée. Nous ne faisons pas courir de risques à nos actionnaires, car nous ne construisons pas dans les quartiers fragilisés, vulnérables. Nous nous retrouvons dans des quartiers plutôt aisés situés essentiellement au sein des métropoles où les valeurs foncières ont explosé. Il y a pour les actionnaires un actif immobilier qui se valorise avec le temps. Par leur engagement solidaire, les actionnaires qui prennent des parts de notre foncière n’attendent pas de revenus directs annuels. Mais quand ils revendront leurs parts, elles seront au niveau de la valeur actualisée des prix de l’habitat. 

 

  • Est-ce que l’on peut prendre un exemple précis pour comprendre comment vous faites votre montage financier ?

 

Oui, chaque fois que nous voulons investir, le projet doit être retenu par la Caisse des Dépôts. Il est alors possible d’obtenir des subventions des collectivités locales, conseils départementaux, voire régions. Pour sa part, la foncière investit entre 25 et 30 %, voire parfois plus. Avec les fonds propres, selon le type de logement, lorsque nous mettons 30 ou 40 000 euros sur un logement, cela entraîne donc aujourd’hui une possibilité d’obtenir des financements complémentaires sur 35 à 40 ans. Ce sont ces durées très longues qui nous permettent de faire des investissements lourds. Ce montage donne la possibilité de loger des personnes avec des loyers très faibles.  Si l’on ajoute le prêt locatif aidé d’insertion, le loyer est à peine de 6 euros le m2 de surface habitable... Les locataires ont aussi droit aux APL. Cela permet de solvabiliser les personnes aux ressources limitées et de bénéficier de logements qu’elles ne pouvaient espérer au sein des agglomérations. 

 

  • En est-il de même pour les EHPAD, pour les logements étudiants ou est-ce un système différent ? 

 

C’est effectivement plus ou moins le même montage. Pour nos établissements médico-sociaux, nous travaillons sur l’EHPAD hors les murs, pour éviter l’enfermement. Dans une de nos prochaines maisons d’aînés (EHPAD) à Moulins, par exemple, il y aura bien sûr des chambres pour des personnes qui sont en situation de dépendance, mais aussi des logements pour des personnes de tous âges, pour favoriser la mixité. Cette mixité est non seulement sociale, mais aussi générationnelle pour créer une dynamique dans les territoires. 

 

  • Vous avez aussi mis en place aussi un dispositif original qui est la location solidaire. 

 

Il y a des personnes qui n’investissent pas au sein de la foncière, mais qui disposent d’un certain patrimoine immobilier, parfois deux ou trois logements. Ils sont disposés à nous les confier, à condition que le loyer s’apparente au loyer très social (entre 5,80 et 6,50 euros par m2). Nous prenons l’engagement auprès des propriétaires que le locataire soit accompagné, que s’il ne paie pas son loyer, l’association Habitat et Humanisme se portera garante. Même si les loyers sont bas ,le système est attractif pour le propriétaire : il mène une action sociale et bénéficie d’un avantage fiscal, car une grande partie des loyers échappe à l’impôt sur les revenus. Les pouvoirs publics contribuent ainsi à ouvrir des portes qui traitent de la vacance des logements. C’est un serpent de mer, mais il faudra bien qu’un jour on s’y intéresse davantage puisque, de l’aveu même du ministère du Logement, on sait que 300 000 logements sont aujourd’hui vacants dans les métropoles. 

L’accompagnement, un pivot essentiel du dispositif 

  • Vous avez dès le début décidé de ne pas vous limiter à la construction et mis en place tout un accompagnement.

 

Oui, pour nous, l’accompagnement est central. Une fois obtenu un logement de qualité dans un quartier de qualité, la personne va retrouver de l’estime d’elle-même. L’accompagnement permet de révéler des talents et lui donner de comprendre qu’elle a des possibilités. Lamartine a dit : « Le réel est étroit, le possible est immense. » Notre travail est précisément de susciter ce possible. Nous voyons ainsi des personnes, des familles, qui vont se reconstruire. C’est aussi une invitation à leur dire : vous avez bénéficié pendant un certain temps d’une aide, aujourd’hui vous avez réussi un parcours, ce parcours doit vous permettre d’accéder à d’autres logements moins aidés sur le plan social et vous allez à votre tour jouer une solidarité. Cela ne marche pas toutes les fois, mais nous nous apercevons que cette démarche est intéressante, car la personne se reconnaît non pas comme la personne qui a toujours été aidée, mais qui devient aussi une personne aidante.

 

  • C’est le fameux chemin du logement où l’on passe de l’abri à l’accueil, de l’accueil au logement, du logement aidé à un logement moins aidé… Tout cela fonctionne si tout le train avance. Mais n’y a-t-il pas un blocage à l’avant de ce train, puisqu’il n’y a plus de construction en nombre suffisant. Le foncier n’est-il pas trop cher ?

 

Le foncier est beaucoup trop cher, cela entraîne un blocage. Devant cette situation il faut chercher de nouvelles propositions, elles existent. Le rôle d’une association n’est pas de tout faire, mais c’est de faire le nécessaire pour déverrouiller des situations bloquées et d’inspirer des solutions nouvelles. Nous travaillons donc sur la question du démembrement de la propriété. On peut créer une foncière qui porte simplement le foncier et qui loue le terrain sur lequel on construit pour parvenir à proposer des prix qui soient raisonnables. 

 

  • Cela réduit-il le prix significativement ?

 

Oui, parce qu’aujourd’hui, nous sommes confrontés à des situations où les terrains sont plus chers que la construction. 

Couvrir le territoire

  • Comment êtes-vous représentés sur le territoire français ? 

 

Nous sommes présents dans 87 départements à travers 58 associations. Notre travail se veut de proximité, avec des gens qui connaissent bien le territoire, qui ont des réseaux de solidarité. Ces 58 associations sont aujourd’hui réunies dans la fédération d’Habitat et Humanisme, qui n’est pas une structure pyramidale, mais plutôt un mouvement. Chacune de ces associations, à partir de ses approches sur un plan local, est appelée à imaginer, à innover. C’est ce partage de l’innovation qui confère à la fédération Habitat et Humanisme une forte dynamique. 

 

  • Ces associations qui sont indépendantes, qu’est ce qui les relie ? 

 

Il y a une charte commune, mais c’est aussi la fédération qui est toujours présente pour soutenir une de ces associations si elle en a besoin. Il est important de maintenir cette unité entre les associations qui constituent la fédération. 

 

  • Est-ce à dire que vous êtes présents dans les conseils d’administration ?

 

Oui, la fédération de tous temps est présente dans les conseils d’administration. Et, depuis bientôt 40 ans, on voit qu’une unité s’est créée grâce à cette solidarité entre chacune des associations. La fédération gère les outils financiers de la mutualisation et constitue l’épine dorsale de cette finance solidaire. 

 

  • C’est-à-dire que la fédération monte les projets immobiliers et ce sont les associations locales qui gèrent l’accompagnement ?

 

Ce sont les associations qui cherchent les opérations, qui nous demandent de structurer le montage sur les plans juridique et financier. Le rôle de l’association est ensuite d’accompagner les résidents. 

 

  • Quand vous dites que votre réseau comprend 58 associations qui sont innovantes, dynamiques, ne vous présentent-elles pas des projets qui vont au-delà de vos capacités financières ? Comment organisez-vous le système ? 

 

Effectivement, nous ne pouvons pas répondre à toutes les opérations qui nous sont présentées. Nous avons un comité d’engagements de la Fédération avec des élus des différentes associations. L’arbitrage est assuré par le comité d’investissement qui lui-même est élu par les différentes associations. 

Le bénévolat : une humanité pivot de l’organisation

  • Vous avez mentionné 1800 salariés. N’êtes-vous pas aussi soutenus par des bénévoles ? 

 

Oui, c’est tout à fait cela, vous faites bien de souligner l’importance des bénévoles. Si demain il n’y avait plus de bénévoles, il n’y aurait plus d’Habitat et Humanisme. L’accompagnement est essentiellement assuré par du bénévolat, mais aussi par des associations avec des travailleurs sociaux. Il faut trouver non pas des gens qui ont des certitudes, mais qui ont des convictions, persuadés que la personne qu’il vont rencontrer a des talents qu’il faudrait lui faire découvrir. C’est aussi soi-même accepter que la personne accompagnée puisse aider à changer. Au fil des années à Habitat et Humanisme un grand nombre des personnes venues en soutien ont changé de regard sur la société et sur eux-mêmes. Il y a parfois des gens qui savent ou croient savoir, et à partir de la rencontre avec l’autre, ils deviennent moins absolus dans leurs analyses qui enferment. Habitat et Humanisme est une école d’ouverture et, par là-même, cela devient une école de la fraternité.

 

  • Vous parlez de 5 000 bénévoles ? 

 

Oui, mais notre problème aujourd’hui est le manque de bénévoles et nous devons être vigilants. Il est plus facile de trouver de l’argent que de trouver des bénévoles. Les profils ont beaucoup évolué. Au début, il y a 35 ou 40 ans, nous trouvions de jeunes retraités qui avaient des fonctions intéressantes dans des entreprises et qui bénéficiaient parfois d’une pré-retraite à 58 ans par exemple, ceci n’est plus vrai aujourd’hui. En quarante ans, les structures familiales ont aussi changé. Beaucoup des grands-parents jouent un rôle de parents, ils ont donc bien moins de disponibilités pour le travail d’accompagnement. 

D'autres ne sont prêts à s’investir que sur des projets dont l’impact est une transformation sociale. Si le projet fait évoluer la société, alors on trouve des bénévoles. Les gens ne viennent pas vers Habitat et Humanisme pour ouvrir des logements, mais demandent de voir comment ces logements vont changer les relations sociales. 

Je pense à une opération qui est une première sur un campus universitaire et pour nous aussi dans un lieu où nous n’intervenions pas. On nous a demandé de créer des liens avec l’hôpital voisin où passent aux urgence 35 000 personnes par an. Après les soins, des personnes qui ne peuvent pas assurer leurs soins d’hospitalisation à domicile parce que leur logement est indécent ou parce qu’elles sont seules se trouvent sans solution. Nous avons donc construit 130 logements, 100 logements pour les étudiants et 30 pour les personnes qui sortent malades de cet hôpital. On nous avait dit que ce n’était pas possible, que nous nous mettrions dans des situations difficiles parce que nous ne trouverions pas les accompagnements. Nous avons trouvé des accompagnements, des médecins, et on sait combien leur tâche est rude aujourd’hui, pour accepter aussi de donner un peu de leur temps bénévolement et accompagner les malades. L’Agence Régionale de Santé nous a  fait savoir que nous ne pouvions pas mener cette action, car nous étions en train de créer un établissement de soin sans solliciter un agrément. Nous ne faisions que permettre l’hospitalisation à domicile.

La ministre du Logement a rencontré les personnes soignées, les étudiants, les accompagnants. Elle a exprimé son constat de la façon suivante : « Je ne sais pas s’il vous faut un agrément. Ce que je vois ici c’est que les personnes accueillies ne sont pas à la rue et c’est cela qui m’importe. » Puis, elle nous a invités à développer ce type de projet. Nous sommes dans une mixité intergénérationnelle et des activités.  Des professeurs de cette université se sont aussi investis. Nous avons nommé ce lieu « Hospitel ».

 

  • Dans votre travail d’habitat social, d’autres organisations travaillent comme vous, ou dans le même secteur. Je pense à la Fondation Abbé Pierre. Avez-vous des contacts avec ces organisations ? Disposez-vous de réseaux inter-associatifs qui vous permettent de vous entraider quand il y a un besoin ou restez-vous chacun dans votre couloir ?

 

Nous ne restons pas dans notre couloir parce que nous n’irions pas très loin ! Heureusement qu’il y a cette solidarité qui existe notamment avec la Fondation Abbé Pierre, avec Emmaüs, avec ATD Quart Monde. Ces derniers nous aident beaucoup sur la question de l’accompagnement de la personne en très grande difficulté. Cette solidarité est essentielle ! Nous avons même une structure commune avec la Fondation Abbé Pierre sur le logement participatif. 

L’habitat participatif

  • Pouvez-vous nous dire ce qu’est l’habitat participatif ? 

 

Ce sont des sociétés coopératives avec des logements pour des personnes qui, après des difficultés, ont trouvé leur place dans la société, souhaitent se porter acquéreur. Elles imaginent un logement qui va permettre de garder une interaction et des relations avec d’autres. C’est un type d’habitat qui commence un peu à se développer.  Au départ, il a concerné des populations fragilisées, mais aujourd’hui intéresse des populations plus aisées, parfois, d’un certain âge. Elles se posent la question de savoir comment, à travers des liens d’amitié, elles vont préparer ce bien vieillir chez soi. Elles ne construisent pas un EHPAD, mais un lieu où elles sont propriétaires de leur appartement et installent des relations entre elles.

Le mécénat, moteur de l’innovation

  • Quelle est l’importance des dons pour vous ? 

 

Nous avons utilisé les dons pour des projets très novateurs, coûteux, sans rentabilité immédiate. Les donateurs ont confiance en notre action et trouvent que cela vaut la peine de nous accompagner pour aller de l’avant. Naturellement, nous les tenons très informés sur les résultats et sur l’impact social que permet leur geste de solidarité. Nous avons aussi des relations avec des entreprises qui nous accompagnent sur des projets lourds que nous ne pourrions faire seuls.

 

  • Un mot encore pour terminer : vous présidez le Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées. Est-ce que cela vous aide à développer les dispositifs qui vous paraissent utiles ? Comment envisagez-vous l’avenir ? Seulement comme une duplication de ce que vous faites ou vers des évolutions ?  

 

Depuis bientôt 40 ans, nous travaillons sur la question de la mixité dans la ville, dans les cœurs de ville, dans les métropoles. Dans le même temps, il y a ces quartiers perdus pour la République dans lesquels nous sommes absents, dramatiquement absents, dirais-je. Le sujet aujourd’hui est de monter un pôle au sein du mouvement Habitat et Humanisme sur l’introduction de la mixité dans des quartiers qui n’en ont pas. Il y a un enjeu sociétal absolument majeur que nous aborderons à partir de la question du soin. Pourquoi le soin ? On voit que dans ces quartiers, des personnes sont venues il y a 50 ans travailler en France, sont restées sans retourner dans leur pays. Elles vivent souvent des situations de très grande solitude, avec des logements qui ne sont pas adaptés à la dépendance. Nous avons proposé à un certain nombre d’entre elles de venir dans les EHPAD, mais elles ne le souhaitent pas. Dans leur culture ces établissements sont trop fermés. Un des enjeux d’Habitat et Humanisme pour les deux à trois ans à venir est de savoir comment nous allons travailler avec eux sur la partie du soin, avec un projet novateur qui ne soit pas la répétition d’un EHPAD. 

Le soin comme objectif

  • Pour monter un tel projet, j’imagine qu’il y a toute une chaîne de compétences à mettre en mouvement pour avoir un projet véritablement transversal ?

 

Cela conduit effectivement à un travail pluridisciplinaire qui est mené au sein du mouvement Habitat et Humanisme. Nous avons un pôle de réflexion sur notre avenir et les types d’habitat qu’il faudrait réaliser. Il est important de souligner que la France a beaucoup travaillé sur la question du soin, mais peu sur la question de la santé. Les populations les plus fragilisées accèdent naturellement aux soins, mais n’accèdent pas à la prévention. Cela conduit à un résultat assez terrible, puisqu’à l’âge de 65 ans seulement 50 % de nos concitoyens sont en très bonne santé. Plus les populations sont défavorisées sur le plan social, plus elles sont en difficulté sur le plan de la santé. Comment le logement participe-t-il à la question de la santé ?  II faut trouver des solutions à cette question cruciale. 

Dépasser les lignes jaunes

  • C’est la santé au sens de l’environnement de la personne, la prévention, le logement, les conditions économiques. Vous cherchez à casser les silos pour parvenir à des transversalités qui permettent ce mouvement souvent contre-intuitif pour beaucoup d’administrations, parce que les systèmes ont été formatés de cette manière. C’est d’ailleurs un des rôles des associations et des fondations que de pouvoir créer ces transversalités qui créent de l’innovation. 

 

Lorsque nous avons réalisé une opération qui s’appelle l’Hospitalité de Béthanie, pour des personnes au sortir de l’hôpital qui n’avaient pas de logement, il a été très difficile de trouver des financements. Le préfet, dont la compétence n’était pas d’intervenir sur le plan médical, avait prévu un financement sur le volet très social. Il m’a dit : « Écoutez Devert, le champ des associations n’a d’intérêt que si vous dépassez la ligne jaune !» Il m’avait rappelé quelques jours après pour me dire : « Faites attention quand même de ne pas trop la dépasser… »

 

  • En réalité c’est votre force que de la franchir et créer des modèles !  

 

Effectivement, et c’est là que le monde associatif doit trouver aujourd’hui sa raison d’être et sa raison de vivre. Par rapport à la crise du logement, nous sommes incapables de répondre à l’ampleur de ces besoins. Par contre, précisément pour cette raison, nous devons faire le nécessaire pour trouver des perspectives nouvelles. 

Merci à vous, j’ai été heureux de faire cette interview et d’ouvrir des perspectives, parce que nous avons besoin de faire connaître et reconnaître ces démarches innovantes pour que des hommes et des femmes puissent nous rejoindre.

 

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