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Par Chroniques philanthropiques par Francis Charhon - Publié le 6 février 2022 - 17:59 - Mise à jour le 6 février 2022 - 17:59
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Appel à une politique philanthropique ambitieuse pour les acteurs du secteur non lucratif

Au moment où les candidats à l’élection présidentielle présentent des programmes d’action pour le prochain quinquennat on assiste à une mobilisation du secteur non lucratif pour une prise en compte de l’actions des associations et fondations. Pour aider à comprendre ce qui se joue, Francis Charhon publie une tribune sur son blog : « Appel à une politique philanthropique ambitieuse pour les acteurs du secteur non lucratif ».

Appel à une politique philanthropique ambitieuse pour les acteurs du secteur non lucratif. Crédit photo : julief514
Appel à une politique philanthropique ambitieuse pour les acteurs du secteur non lucratif. Crédit photo : julief514

Une France engagée

La philanthropie représente la forme moderne de l’engagement, elle est devenue une composante majeure de la société française. C’est un écosystème reposant sur trois piliers indissociables : les acteurs de terrain, associations et fondations ; les donateurs ainsi que les bénévoles. 

Quelques chiffres montrent la réalité :

  • 20 millions de bénévoles, 2 millions de salariés, 104 000 entreprises mécènes 
  • 8,5 milliards d'euros de dons provenant de 5 millions de donateurs individuels ou d’entreprises
  • 1,5 million d’associations, plus de 4 600 fondations et fonds de dotations.

 

Un ensemble d’acteurs portés par une grande générosité et une puissante volonté d’engagement, par la confiance des Français, œuvrant pour le bien commun au service d'une société plus juste, plus solidaire, plus respectueuse de l’avenir climatique par des engagements individuels et collectifs forts porteurs de sens.  

Une France innovante

Au-delà des chiffres, la valeur qualitative est inestimable par la proximité de la relation avec les bénéficiaires au niveau le plus fin, par le rôle dans le maintien de la cohésion sociale, le renforcement de la vie démocratique, par la participation des récipiendaires aux projets, par d’immenses capacités d’innovation. 

La crise du Covid a montré la réaction rapide et l’adaptation du secteur partout sur le territoire (aide alimentaire, assistance aux personnes isolées…). Par ailleurs, n'est-ce pas l'action du monde associatif qui, grâce à sa liberté d’action, a fait évoluer la pensée sur l'environnement ou le droit des femmes par exemple et obligé les entreprises à des changements de pratiques ?  

Parce qu’elles agissent au plus près du terrain, les associations et les fondations sont souvent les premières à identifier des besoins sociaux émergeants. Leur mobilisation agit d’abord comme lanceur d’alerte révélant des « angles morts » de l’action publique. Leur agilité leur permet de tester des solutions qui constituent de véritables laboratoires des politiques publiques sur tout le territoire et à l’international.

La générosité fonctionne alors comme un « incubateur d’avenir », pour mettre au point des dispositifs ensuite éventuellement pris en charge par l’État. Ces acteurs de la philanthropie ne se contentent pas de réparer les fractures du monde moderne, ils inventent un avenir.

Un secteur à maturité

Membre de la famille de l’économie sociale, les associations et fondations ont la spécificité d’être l’unique secteur non lucratif. Il s’est développé avec vigueur ces trente dernières années pour arriver à maturité. 

  • Des progrès immenses ont été faits par la mise en place d’outils et d’organisations collectives assurant le contrôle et la transparence des pratiques afin d’élever le niveau de confiance. 
  • L’évaluation est entrée dans les habitudes montrant la création de valeur des actions menées. 
  • Beaucoup de recherches, d’analyses et d’études ont permis de progresser, dans la connaissance des projets menés, sur les zones de renforcements nécessaires et sur la relation avec les donateurs par des communications justes, agiles et sincères. 
  • Des coordinations ont été créées assurant le partage de compétences et la mise en place d’alliances entre les acteurs pour rendre plus efficient le travail de terrain et les pratiques communes.
  • Des politiques de partenariat ne cessent de se multiplier avec des collectivités locales, des entreprises et l’État
  • Les associations et fondations viennent de se regrouper dans une Coalition Générosité pour faire appel aux candidats à la présidence afin qu’ils reconnaissent formellement l’engagement et humain et financier comme essentiel à notre société.

Une gouvernance à rendre plus simple et plus lisible

Malgré sa contribution essentielle, ce secteur important est encore trop peu pris en compte par les élus et la sphère publique dans la définition des politiques publiques.

Ce qui frappe aujourd'hui, c'est une gouvernance de la philanthropie confuse et complexe avec une multitude d’interlocuteurs : ministère de l’Intérieur et/ou ministères de tutelles pour les fondations spécialisées ; ministère de l’intérieur et Conseil d’État pour l’appréciation de l’utilité publique, préfectures pour les fonds de dotation, ministère de la Culture pour le mécénat, ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse pour le secteur associatif, ministère des Finances pour les questions de fiscalité et la définition de l’intérêt général, HCVA… Cela rend difficile le dialogue avec les pouvoirs publics et entraine un manque de cohérence dans les décisions à prendre. Cela s’est vu par la multiplication des déductions fiscales, par la création de nombreux statuts de fondations par exemple.

Un rapport récent de la Cour des comptes vient d’ailleurs de pointer l'absence de stratégie à long terme de l’État sur le secteur des associations et l’appelle à un soutien modernisé

L’État agit de façon souvent paradoxale face au secteur non lucratif qui lui est nécessaire mais introduit en permanence des normes et des réglementations qui complexifient ses relations avec ce secteur. 

Il se crée un encadrement progressif réduisant la liberté associative au sens de la loi de 1901, souvent du fait des administrations qui imposent des normes sans fondement juridique, mais aussi du législateur comme l’inscription dans la loi du nouveau « contrat d’engagement républicain » qui porte atteint à la liberté associative.

La tendance, sous prétexte de simplification à travers des appels d’offre pour donner des subventions, induit une transformation progressive du secteur non lucratif en un prestataire de service altérant ainsi le projet associatif. Un rapport sur la philanthropie à la française réalisé par les députées Sarah El Haïry et Naïma Moutchou, après une large consultation, est resté lettre morte. 

Bien sûr l’État demeure le financeur principal à travers les subventions et les déductions fiscales, mais il n’a jamais clairement fait connaître l’objectif global de sa politique d’aides. Il est difficile de comprendre la logique de ses choix lors de réductions ou d’apports de subventions ou lors de modifications du statut fiscal. Ces mesures relèvent d’un objectif budgétaire sans prise en compte des conséquences sociales. 

Enfin, l’État collecte des dons pour de nombreux établissements publics sans s’appliquer les contraintes imposées associations et fondations ce qui laisse à penser qu’il est aussi tributaire des dons privés. 

Une ambition pour demain : la reconnaissance formelle de ce secteur et de son rôle 

Faire de la philanthropie non une dépense de « guichet », mais l’inscrire dans une véritable politique publique. Pour définir collectivement une vision de l’engagement et de la générosité, les acteurs du secteur et les représentants de la puissance publique devraient bénéficier de temps d’échange avec l’ensemble des parties prenantes sous le patronage du Premier ministre. 

Il ne s’agit pas d’opposer deux systèmes mais de prendre acte que ce secteur est un élément majeur du « vivre ensemble » indispensable à notre démocratie. Il se pose comme un rempart puissant face au délitement du lien social qui mine notre nation. De fait, il agit en partenariat, en complémentarité, avec les acteurs étatiques dans toutes ses politiques qu’elles soient sociales, scientifiques, environnementales ou culturelles.

Avoir une politique ambitieuse et assumée, avec des objectifs clairs permettrait de comprendre le sens des mesures qui sont régulièrement prises et de valoriser les acteurs engagés. Il deviendrait possible d’anticiper un coût en amont, plutôt que de prendre des mesures fiscales morcelées sans en peser les conséquences pour les récipiendaires et éviter d‘avancer ou reculer au gré des influences politiques.

Il faudrait que l‘État accepte de reconnaître le secteur non lucratif comme un secteur économique à part entière, comme le sont l’agriculture, l’industrie, les entreprises, l’artisanat…, sans vouloir en permanence réduire ses capacités d’intervention. L’État  prendrait acte qu’il ne peut tout faire seul pour apporter des réponses adaptées aussi bien au niveau national que local tant les besoins sont morcelés et complexes. 

Cela serait une véritable révolution culturelle avec un État garant de l’intérêt général et des acteurs gérants de ce même intérêt général. Cette révolution nécessite beaucoup de travail, du renoncement à des prérogatives, un lâcher pris de l’administration. Elle serait facilitée par une prise de position au sommet de l’État. 


Au moment où le nombre d’adhérents aux organisations représentatives modérées, qu’elles soient politiques, syndicales ou religieuses, se réduit, au moment où des pans entiers de la société se sentent abandonnés et écoutent les chants de sirènes dangereuses, au moment où les électeurs se détournent des urnes, cette démarche donnerait une couleur nouvelle et moderne à la démocratie. Beaucoup plus de citoyens se sentiraient impliqués dans les processus décisionnels, dans l’action de terrain et retrouveraient du sens à leur vie avec l’espoir qu’elle soit meilleure demain.

 

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