Plaidoyer pour une plateforme des enjeux communs du secteur non lucratif : associations et fondations
Pourquoi une plateforme des éléments communs du secteur non lucratif ? Il semble nécessaire de valoriser ce secteur dans sa globalité comme étant non seulement un acteur social essentiel à la société française par l'apport d'une valeur ajoutée de sens et de lien social mais aussi comme un acteur économique. Ce qui frappe aujourd'hui c'est le manque de cohérence des mesures prises envers les parties prenantes de ce grand secteur réunissant associations et fondations, leurs salariés, donateurs et bénévoles, qui ne s'inscrivent pas dans une vision globale. Un rapport récent de la Cour des comptes vient de pointer l'absence de stratégie à long terme de l’État sur le secteur des associations et appelle à un soutien modernisé. Cette absence de vision est encore démontrée par une mesure récente de défiscalisation du secteur cultuel de 75 % des dons limités à 546 euros, certes positive mais on peut s’interroger sur une telle mesure dont on ne comprend ni les tenants ni les aboutissants. Plaidoyer par Francis Charhon.
Dans quel but ?
Il devient urgent de partager une vision globale porteuse de sens qui prenne en compte, au-delà du seul domaine des associations, tous les acteurs de ce secteur. En effet, si chacune des entités qui le compose a des préoccupations sectorielles propres, un certain nombre d’éléments essentiels les unissent, principalement le pourquoi de leur action. Elles ont en commun par exemple d’être non lucratives, d’œuvrer pour le bien commun et d’être portées par des engagements individuels et collectifs extrêmement forts au service d'une société plus solidaire. Ce sont ces éléments communs à préciser dans une plateforme qui serait la base pour obtenir une reconnaissance formelle par l'État et la mise en place d'une politique ambitieuse.
Un webinaire organisé par le blog « Chroniques philanthropiques » en décembre 2020 réunissait les quatre grandes coordinations représentant, par leurs membres, une large représentation du secteur : Coordination Sud, France générosités, l’ADMICAL et le Centre Français des Fonds et Fondations. Il s'était terminé en considérant la nécessité de s’engager à créer une plateforme avant la campagne présidentielle. Il paraît nécessaire de poursuivre cette idée. Il est possible que certains trouvent cela inutile, trop ambitieux, trop compliqué pourtant le risque de s’engager dans une telle démarche est faible alors que le bénéfice pourrait être majeur.
Le moment de s’engager sur une telle plateforme est historiquement tout à fait opportun
Pour le secteur non lucratif
Durant ces vingt dernières années, des progrès immenses ont été faits dans le secteur par la mise en place d’outils et d’organisations collectives permettant d’assurer le contrôle et la transparence des pratiques afin d’élever le niveau de confiance. L’évaluation est entrée dans les habitudes montrant la création de valeur des actions menées. Beaucoup de recherches, d’analyses et d’études ont permis de progresser, dans la connaissance des projets menés, sur les zones de renforcements nécessaires et sur la relation avec les donateurs par des communications justes, agiles et sincères. Des coordinations ont été créées assurant le partage de compétences et la mise en place d’alliances entre les acteurs pour rendre plus efficient le travail de terrain et les pratiques communes. Des politiques de partenariat ont vu le jour avec des collectivité locales, des entreprises et l’État. Plus important encore, ces avancées ont permis de réduire pour partie les barrières conceptuelles qui ont existé pendant longtemps entre les associations et les fondations. Nombreux, maintenant, sont les responsables qui se connaissent et ont appris à travailler ensemble dans un climat de confiance.
L’heure semble venue de capitaliser sur tous ces progrès car ensemble on est plus fort. Il s'agit dans cette proposition, non pas de gommer toutes les différences ni de passer au-dessus des besoins de tel ou tel secteur, mais plutôt d'essayer de définir un certain nombre de points communs qui sont le sens et l’essence de ces organisations. Cette proposition n'a pas non plus pour vocation d'obtenir tel ou tel avantage fiscal ou telle facilité, que l'on soit dans le secteur culturel, scientifique, social. Elle viserait plutôt à monter d’un niveau pour faire reconnaître le secteur dans son ensemble comme une véritable entité sociale et économique dans notre pays. Les chiffres sont édifiants : plus d’1,5 million d’associations et fondations, 1,8 million de salariés, emplois non délocalisables irriguant tous les territoires, l’engagement puissant 22 millions de bénévoles qui viennent renforcer l’action, incarner le sens, ancrer les projets en proximité et contribuer aux modèles socio-économiques, un poids de 3,5 % du PIB. Au-delà des chiffres, la valeur qualitative est inestimable par la valeur ajoutée de la relation avec les bénéficiaires, par le rôle dans le maintien de la cohésion sociale, le renforcement de la vie démocratique par la participation des récipiendaires aux projets, par l’immense capacité d’innovation. N'est-ce pas l'action du monde associatif qui a fait évoluer la pensée sur l'environnement ou le droit des femmes par exemple, qui grâce à sa liberté d’action, notamment par ses composantes activistes, oblige les entreprises à des changements de pratiques ?
Lever les obstacles
Nous savons que ce milieu si différencié fait face à un certain nombre de problèmes par le regard que peuvent avoir les uns sur les autres. Sans rentrer dans une liste qui se voudrait exhaustive on peut pointer quelques sujets. Parfois les associations, face aux philanthropes, ne se retrouvent pas dans la façon dont les appels à projets sont faits, trop rigides ou avec des demandes d’impacts très quantitatives qui ne prennent pas suffisamment en compte la plus-value humaine non quantifiable et démocratique de l’action. Il existe aussi des présupposés idéologiques en ce qui concerne les fondations notamment sur les donateurs fortunés. Cela entraîne des comparaisons avec la philanthropie américaine, ce qui est un détournement de pensée, car les philanthropes en France n’ont ni la même volonté ni la capacité à s’imposer comme mettant en place leur propre politique, notre État reste régulateur et producteur de norme sociale. Il faut définitivement arrêter ces comparaisons pour s’attacher au « système français ». Plus simplement, regardons les fondations comme des acteurs positifs de l’évolution sociale grâce à leur souplesse d’action mais aussi par leurs méthodes d’intervention et les effets d’entraînement qu’elles peuvent avoir.
L’action de ce secteur se trouve aussi au centre d’une bataille idéologique entre les tenants du tout État et de ceux qui veulent un système plus ouvert de concertations et de partenariats.
Pour ma part, j’ai pu en 40 années de vie dans ce secteur, constater que beaucoup de points de divergences se résolvent avec le temps, tout en conservant la personnalité de chacun. Mais j’ai aussi constaté que, pour avancer, il faut savoir dépasser les intérêts sectoriels, prendre de la hauteur, donner une vision collective dans l’intérêt de tous. L’ambition doit porter les acteurs pour qu’ils s’unissent sur l’essentiel. La force d’un tel engagement permettrait au Gouvernement, aux parlementaires, aux collectivité locales de comprendre pourquoi une politique cohérente serait utile pour tous à un moment où le délitement du lien social, où le sentiment d’abandon de certaines catégories de populations devient un danger pour notre pays.
Pour une reconnaissance formelle par l’État
Il s’agit non pas d’opposer deux systèmes, mais de prendre acte que ce secteur est un élément majeur du vivre ensemble et indispensable de notre démocratie, car il se pose comme un puissant rempart face au délitement du lien social qui mine notre société. De fait, il agit en partenariat, en complémentarité, avec les acteurs étatiques dans toutes ses politiques qu’elles soient culturelles, sociales, scientifiques… Le caractère institutionnalisé de l’action publique lui permet de gérer de la masse, mais ne lui permet pas de susciter des transformations, sauf lorsque parfois elle s’engage, dans une logique d’expérimentation.
On ne peut que constater que l'État se trouve en porte-à faux par rapport au secteur non lucratif : il lui est nécessaire pour intervenir dans des lieux où il n'a plus les moyens de le faire, mais il introduit en permanence des normes et des réglementations qui complexifient ses relations avec ce secteur. Un encadrement progressif de la vie associative réduit la liberté associative au sens de la loi de 1901, souvent du fait des administrations qui imposent des normes sans fondement juridique, mais aussi du législateur avec le contrat d’engagement républicain. Bien sûr, il est le financeur principal à travers les subventions et les déductions fiscales, mais il n’a jamais été clair pour faire connaître l’objectif global de ces aides ni la logique de ses choix lors de réductions de subventions ou de modifications du statut fiscal dans les lois de finances. Il ne doit pas, à travers les subventions, transformer le secteur non lucratif en un prestataire de service en altérant le projet associatif. Il est aussi collecteur de dons pour de nombreux établissements publics sans s’appliquer les contraintes imposées associations et fondations.
L‘État devrait désormais accepter de reconnaître le rôle du secteur non lucratif comme celui d’un secteur économique à part entière, comme le sont l’agriculture, l’industrie, les entreprises, l’artisanat…, sans vouloir en permanence réduire ses capacités d’intervention.
Cela permettrait de mener une politique ambitieuse et assumée, avec des objectifs clairs à atteindre ; en anticiper le coût en amont, plutôt que de prendre des mesures fiscales morcelées sans en peser les conséquences pour les récipiendaires et éviter de sans cesse avancer ou reculer au gré des influences politiques.
Quelques pistes possibles parmi beaucoup d’autres
Le rapport « La philanthropie à la française » des députées Sarah El Hairi et Naïma Moutchou va dans ce sens avec la proposition de créer un organisme multi-acteurs et interministériel, sous le Haut Patronage du Premier Ministre. Un organisme indépendant serait à même de juger la bonne application des textes juridiques et fiscaux. Plus ambitieux, et vu l’ampleur du secteur, il serait logique qu’il existe un ministère dédié comme pour la culture, la recherche, les affaires sociales..., ce qui éviterait, comme c’est le cas, des lieux de décisions éclatés dans tous les ministères sans relations entre eux. Cela permettrait de reconsidérer la tutelle de Bercy qui définit l’intérêt général à travers le seul champ de la défiscalisation.
Oser une révolution culturelle
L’État prendrait acte qu’il ne peut tout faire seul pour apporter des réponses adaptées aussi bien au niveau national que local tant les besoins sont morcelés et complexes. Ceci serait une véritable révolution culturelle avec un État garant de l’intérêt général et des acteurs gérants de ce même intérêt général.
Cette révolution nécessite beaucoup de travail, du renoncement à des prérogatives, un lâcher prise de l’administration. Au moment où le nombre d’adhérents aux organisations représentatives modérées, qu’elles soient politiques, syndicales ou religieuses, se réduit, au moment où des pans entiers de la société se sentent abandonnés et écoutent les chants de sirènes dangereuses, au moment où les électeurs se détournent des urnes, cette démarche donnerait une couleur nouvelle et moderne à la démocratie. Beaucoup plus de citoyens se sentiraient impliqués dans les processus décisionnels, dans l’action de terrain et retrouveraient du sens à leur vie avec l’espoir qu’elle soit meilleure demain.
Francis Charhon