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Par Fidal Impact / Fidal « Mécénat & Fondations » - Publié le 7 mars 2023 - 10:21 - Mise à jour le 7 mars 2023 - 10:21
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Le Droit de (re)construire la Ville

À l’heure où, dans le département du Var, des communes ont décidé de suspendre la délivrance de permis de construire pour limiter les populations déjà trop importantes en rapport avec les ressources en eau des nappes phréatiques, il est évident que l’urbanisme et la construction de la ville sont intimement liés aux enjeux contemporains tels que la lutte contre le réchauffement climatique, la préservation de la biodiversité et de la ressource en eau, la fin de l’étalement urbain, la vacance des logements… La réflexion, la planification, la création et le renouvellement de la Ville doivent évoluer alors au travers d’un nouveau prisme qui pourrait être l’ « urbanisme circulaire ».

Le Droit de (re)construire la Ville. Crédit photo : iStock.
Le Droit de (re)construire la Ville. Crédit photo : iStock.

Constats

Étalement urbain

L’urbanisation de la France depuis le début du XXe siècle entraîne une forte consommation des terres. 

Entre 1936 et 2020, la part de la population française vivant en ville est passée de 53 % à 81 %. D'après un rapport du Sénat publié en mai 2021, les aires urbaines couvrent aujourd’hui 22 % du pays (contre 7 % en 1936).

Entre 2005 et 2013, 15 000 hectares sont consommés en moyenne chaque année en France par le bâti : 45,41 % par la construction en continuité de bâti, 41,45 % par le mitage (constructions dispersées) et 13,14 % par l’artificialisation de masse. Le littoral a subi une artificialisation de masse.

Selon une étude publiée en juillet 2019 par France Stratégie, au vu des tendances actuelles, 280 000 hectares de terres seraient artificialisés d’ici 2030, soit plus que la superficie du Luxembourg.

Ce phénomène a des conséquences lourdes en matière notamment d’alimentation, de biodiversité, d’inondations…

Diminution des terres agricoles

L’étalement urbain et l’artificialisation des sols interviennent majoritairement au détriment des terres agricoles pour un usage d’habitat (42 % des terres artificialisées), d'infrastructures de transports (28 %), de services et de loisirs (16 %) comme les zones commerciales.  

L’étalement urbain va donc à l’encontre de la recherche d’autonomie alimentaire de la France, laquelle devrait nécessairement impliquer une protection et une valorisation des terres agricoles ainsi qu’une évolution des méthodes d’agriculture.

Chute de la biodiversité

Selon le service public d’information sur la biodiversité, l’artificialisation des sols est la principale menace sur la biodiversité.

Les changements d’usage des sols exercent une pression majeure sur les espèces végétales et animales, notamment par un phénomène de mitage du territoire qui entraîne la destruction des habitats naturels et leur fragmentation : Non seulement la surface totale des espaces naturels diminue, mais ils sont de plus en plus morcelés.

Outre la destruction et la fragmentation des écosystèmes, il faut également tenir compte de l’impact de l’éclairage nocturne ou encore du bruit sur les espèces animales et végétales.

Imperméabilisation des sols

L’étalement urbain engendre inéluctablement une imperméabilisation des sols. Par définition, un sol imperméabilisé n’absorbe pas l’eau de pluie. En cas de fortes intempéries, les phénomènes de ruissèlement et d’inondation sont donc amplifiés. 

L’imperméabilisation et la compaction qui en résultent empêchent le sol d’effectuer ses fonctions naturelles telles que la production de biomasse, son rôle de réservoir de matière organique, le stockage d’eau ainsi que sa filtration.

Émissions de gaz à effet de serre

Le secteur du bâtiment représente 43 % des consommations énergétiques annuelles françaises et génère 23 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) français. Il s’agit du deuxième secteur d’activités le plus émetteur après celui des transports.

Ainsi, la lutte contre le réchauffement climatique passe par une adaptation du secteur du bâtiment en vue de le rendre moins émetteur et même neutre.

En l’état de ces constats, il incombe aux acteurs de la « fabrication de la ville » (État, collectivités, urbanistes, architectes, promoteurs, constructeurs, juristes…) de penser différemment la manière de construire et reconstruire la ville.

Étalement urbain et artificialisation des sols malgré tout

La lutte contre l’étalement urbain et l’artificialisation des sols n’est vraisemblablement pas un objectif nouveau. Dès les années 80, le code de l’urbanisme évoque en son article 110 la gestion économe des sols et la protection des milieux naturels.

Un certain nombre de textes sont intervenus depuis, réitérant notamment des objectifs de réduction de consommation des espaces, mais aussi incitant à la rénovation des bâtiments existants, promouvant le réemploi et la réutilisation des matériaux.

Ce n’est toutefois qu’en 2021 que le « ZAN » (zéro artificialisation nette) a fait son apparition officielle avec la loi Climat et Résilience du 22 août 2021 qui intègre expressément un objectif de « lutte contre l'artificialisation des sols, avec un objectif d'absence d'artificialisation nette à terme ».

Cependant, comme en témoignent les chiffres et constats évoqués ci-avant, l’évolution des textes jusqu’à l’avènement du ZAN n’a pas eu pour effet de freiner la consommation et l’artificialisation des terres.

En effet, l’association des maires de France a introduit un recours devant le Conseil d’État à l’encontre des décrets d’application de la loi Climat et Résilience adoptés le 29 avril 2022, l’un relatif « aux objectifs et aux règles générales en matière de gestion économe de l'espace et de lutte contre l'artificialisation des sols du SRADDET » et l’autre « à la nomenclature de l'artificialisation des sols », qui précisent les conditions d’application de la loi Climat sur la méthode de mise en œuvre de l’objectif ZAN. Par ailleurs, deux propositions de lois visant à accompagner les élus locaux dans la mise en œuvre du ZAN, respectivement et successivement déposées par les sénateurs et les députés, sont en cours de discussions au parlement.

Urbanisme circulaire

Sylvain Grisot, urbaniste fondateur de la société DIXIT.NET, « invite les acteurs de la ville à faire transition pour une ville frugale, proche, résiliente et inclusive ».

Il développe le concept d’« urbanisme circulaire » qui pourrait être selon nous le nouveau prisme conscientisé de la réalisation de la ville de manière frugale.

Comme l’auteur l’indique dans son ouvrage, « ce n’est pas la ville qui doit tourner en rond, mais bien l’urbanisme : son processus de fabrication ».

Ce concept repose sur celui de l’économie circulaire qui consiste à produire des biens et des services de manière durable en limitant la consommation et le gaspillage des ressources et la production des déchets, afin de passer d’une société du tout jetable à un modèle économique circulaire.

L’urbanisme circulaire vise à sortir du processus traditionnel de construction de la ville et à intégrer à chaque étape de celui-ci la logique de l’économie circulaire. Il s’agira, comme le décrit parfaitement Sylvain Grisot, d’intensifier les usages, de transformer l’existant et de recycler les espaces.

Bibliographie
  • - Sylvain Grisot, Manifeste pour un urbanisme circulaire, Pour des alternatives concrètes à l’étalement de la ville, Editions Apogée 2021

Planifier l’urbanisme circulaire

Il s’agit d’intégrer au sein des documents d’urbanisme (directives territoriales d'aménagement et de développement durables, SCOT, PLU, PLUi, …) les principes de l’urbanisme circulaire (intensification des usages, transformation de l’existant, recyclage des espaces).

À titre d’exemple, dans le cadre des discussions en cours autour de la troisième modification du Plan local d’urbanisme intercommunal de la Métropole Aix-Marseille Provence, la Ville de Marseille a inscrit 157 demandes qui semblent s’inscrire dans cette démarche :

  • intensification urbaine dans le centre-ville
  • opération de densification urbaine sur les zones en pleine déprise situées le long de l’extension du tramway vers le nord
  • facilitation des projets de réhabilitation en supprimant l'obligation de création de places de parking dans le centre
  • surélévation du bâti
  • anciennes zones à urbaniser transformées en zones naturelles ou agricoles.

La modification des documents d’urbanisme nécessite le respect de procédures plus ou moins complexes selon le document et le type de modification envisagés. En tout état de cause, l’évolution des documents d’urbanisme implique notamment une approche juridique sur le plan procédural, mais également en termes d’anticipation interprétative. 

Il s’agit ici d’envisager en amont les éventuelles interprétations, notamment par le juge administratif, qui seront faites quant aux nouvelles règles adoptées et leurs conséquences sur l’applicabilité des documents concernés.

Intensifier les usages

L’intensification des usages passe par une analyse précise de l’utilisation en cours des bâtiments et l’optimisation de cette utilisation. En effet, l’occupation d’un lieu intervient rarement à plein temps et de manière intégrale. Ainsi, une réflexion peut intervenir sur l’usage optimal qui peut être fait des bâtiments existants.

L’intérêt est de réduire la nécessité de créer de nouveaux bâtiments alors que d’autres sont déjà existants et susceptibles d’accueillir la ou les activités envisagées.

À Marseille, un grand tiers lieu de 6000 m² est en cours de réalisation au sein du quartier des Chutes-Lavie : coworking, restaurant solaire et agriculture urbaine, formations et ateliers. Ce projet est un exemple concret d’intensification.

Cette démarche amène à l’avènement de lieux hybrides qui vont recevoir différentes utilisations intercalées ou enchevêtrées (logements, hébergements, bureaux, culture…).

Elle pose la question de la destination urbanistique multiple de ces bâtiments. En effet, les articles R.151-27 et 151-28 du code de l’urbanisme listent les destinations et sous-destinations des constructions. Toutefois, l’hypothèse d’une destination multiple en fonction des utilisations effectives du bâtiment à différents moments n’est pas envisagée. 

Il en est de même de la question du changement d’usage, lequel est réglementé dans les communes de plus de 200 000 habitants et celles des départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, dans lesquelles il est soumis à autorisation préalable.

Outre la nécessité d’une évolution législative et règlementaire sur ces questions, il nous paraît évident que tout projet ayant vocation à intensifier l’utilisation d’un bâtiment au travers de différentes destinations et usages doit faire l’objet d’une réflexion juridique approfondie et préalable.

Transformer l’existant

Transformer l’existant peut se traduire par la valorisation des fonciers, l’utilisation des dents creuses, ou encore construire au fond des jardins, mais aussi surélever les bâtiments existants.

Il s’agit notamment de densification douce, ce qui est proposé par exemple par la société Villes vivantes au travers du BIMBY (Build in my backyard) qui a pour objet la densification des espaces résidentiels non utilisés en y réalisant de nouveaux logements. À Périgueux, 250 projets de nouveaux logements ont été aboutis en 5 ans.

Cette densification pose notamment la question juridique de la flexibilité des règles de distances figurant dans les règlements des PLU et PLUi. Elle implique une analyse attentive de la règlementation applicable au terrain, voire une proposition d’interprétation des règles au service instructeur.

Recycler les espaces

Le recyclage des espaces se traduit notamment par la requalification des friches au sein des territoires.

Selon Corine Vezzoni, architecte, « le 20e siècle nous a laissé les friches industrielles ; le 21e siècle nous laissera les friches commerciales ».

Ces friches industrielles, mais aussi agricoles existantes et les futures friches commerciales, doivent être considérées comme une opportunité. En 2020, la France comptait entre 90 000 et 150 000 hectares de friches industrielles, ce qui représente un vivier de foncier considérable pour construire sans empiéter sur les espaces naturels et agricoles.

Cette opportunité a été prise en compte dans le cadre de la loi Climat et Résilience du 22 août 2021 qui définit la notion de « friche » de la manière suivante : « tout bien ou droit immobilier, bâti ou non bâti, inutilisé et dont l'état, la configuration ou l'occupation totale ou partielle ne permet pas un réemploi sans un aménagement ou des travaux préalables ».

Le CEREMA a mis en place un inventaire national des friches, intégrant les connaissances locales. Certaines friches font d’ailleurs l’objet d’appels à projets sur lesquels les maîtres d’ouvrage peuvent se positionner.

Par ailleurs, un certificat de projet dédié aux friches a été instauré à titre expérimental pour 3 ans par la loi. Il est établi par le préfet à la demande du porteur d’un projet et a pour but d’éclairer le demandeur sur les régimes, décisions et procédures applicables à son projet.

Eu égard à la complexité des projets de reconversion de friches, les porteurs de projets auront intérêt à solliciter un accompagnement.

Fidal Impact

Nous pensons que chaque personne, physique ou morale, chaque organisation peut jouer un rôle dans la transition nécessaire face aux enjeux actuels parmi lesquels l’étalement urbain, l’artificialisation des sols, la perte de biodiversité…

Cela est d’autant plus vrai que le ZAN, à peine éclos, a vu son application retardée en l’état notamment des difficultés de mise en œuvre envisagées par les collectivités. Les grands enjeux de transition engendrent de longues et vives discussions nécessaires mais susceptibles de ralentir cette transition. Ces ralentissements ne doivent cependant pas décourager celles et ceux qui veulent agir.

En conjuguant droit et stratégie, Fidal Impact a pour objectif d’accompagner la mutation et l’action des entreprises, des collectivités et de tous les acteurs qui en ont la volonté.

En matière d’urbanisme, Fidal Impact accompagne des acteurs concernés (collectivités, urbanistes, promoteurs immobiliers, architectes, sociétés de construction…) en vue d’adapter et de mener leurs prises de décisions et leurs projets (documents d’urbanisme, promotion, réhabilitation, lieux hybrides…) au travers du prisme de l’urbanisme circulaire.

Adrien MOMPEYSSIN, Avocat – urbanisme-immobilier, membre de Fidal Impact

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