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Par Fidal Impact / Fidal « Mécénat & Fondations » - Publié le 20 novembre 2023 - 10:08 - Mise à jour le 22 novembre 2023 - 16:11
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La santé au travail, parent pauvre de la RSE : Où en est le droit ?

Le nombre d’entreprises ayant engagé des démarches RSE ne fait que croitre, ce qui pourrait être une bonne nouvelle pour la santé au travail qui en est un des piliers. Or, force est de constater que c’en est le parent pauvre, éclipsé par les engagements climatiques et grevé par le manque d’une approche globale de la santé physique et mentale des travailleurs. Dans un premier article, nous avons fait le point sur les pratiques en la matière. Notre second article aborde l’environnement juridique de la santé au travail.

Santé au travail, parent pauvre de la RSE : Où en est le droit ? - Crédit photo : DR.
Santé au travail, parent pauvre de la RSE : Où en est le droit ? - Crédit photo : DR.

 



La santé au travail, pilier essentiel de la RSE ?

C’est un fait observable : la question de la santé au travail n’est pas apparue, jusqu’à présent, comme un élément central des stratégies RSE des entreprises

Pierre angulaire du droit social, la santé au travail est essentiellement appréhendée au sein de nos organisations comme une thématique de sécurisation juridique du risque judiciaire. Pourtant, il est communément admis que les critères « sociaux » de la RSE (consacrée internationalement par la norme ISO 26000 adoptée en 2010) liés à l’amélioration durable des conditions de vie et de travail et qui regroupent les domaines tels que la lutte contre les discriminations, l’égalité professionnelle, l’amélioration de la couverture des risques sociaux, regroupent aussi la promotion de la santé et du bien-être au travail. Au sein même de ces critères sociaux, l’égalité professionnelle et la lutte contre les discriminations constituent des axes d’actions privilégiés des stratégies RSE.

La prise en compte de la santé au travail dans les stratégies RSE serait-elle au fond problématique ? L’existence de nombreuses normes dans ce domaine, considérées comme déjà suffisamment contraignantes, pourrait expliquer la faible promotion de la santé au travail dans les démarches RSE observées. On relèvera tout de même que ces contraintes normatives s’exercent tout autant, par exemple, sur la thématique de l’égalité femmes/hommes, sans que cela n’ait conduit à laisser de côté l’égalité professionnelle dans les démarches RSE des entreprises. L’objectif poursuivi est en effet dans ce cas d’obtenir un impact tangible en matière d’égalité réelle entre les femmes et les hommes, que la seule application des textes ne suffit pas (encore) à garantir. 

Or, l’état des lieux sur la santé psychologique ou le « bien-être » au travail des salariés montre que les objectifs ne semblent pas d’avantage atteints que l’égalité réelle (cf. Vincent Baud « sur la dégradation de tous les indicateurs de santé mentale, avec une multiplication par 25 en 10 ans des troubles psychiques reconnus d’origine professionnelle, ou encore un absentéisme record sur 2022 touchant un salarié sur deux avec pour première cause d’arrêts longs les troubles psychologiques liés au travail, qui ont triplé en trois ans. ») 

L’application des normes (« la compliance ») permet certes de corriger, rééquilibrer ou réparer les effets préjudiciables induits par l’activité de l’entreprise sur la santé, mais elle ne permet pas de répondre à tous les enjeux de responsabilité que se proposent d’atteindre les démarches RSE. L’intérêt de positionner la santé au travail comme axe essentiel de toute démarche RSE est donc réel si l’organisation souhaite rechercher un impact tangible et positif.

La RSE comme vecteur de progrès de la QVCT et de la santé au travail ?

Faute d’apparaître initialement comme un axe fort de la RSE, la santé au travail a pu donner l’impression (ou l’illusion ?) de se renforcer ces dernières années, tant au sein de notre corpus de règles qu’au sein des accords d’entreprise, grâce notamment au concept de qualité de vie au travail (QVT puis QVCT aujourd’hui). Mais pour quelle ambition ? Les organisations ont souhaité s’inscrire dans cette démarche d’une part, pour attirer les salariés, et d’autre part, pour accroître leurs performances économiques considérant que des salariés se « sentant bien » au travail sont plus efficaces.

La QVT est devenue un concept juridique défini, en premier lieu, par les partenaires sociaux à travers l’accord national interprofessionnel du 19 juin 2013, accord expérimental conclu pour trois ans, qui propose la définition suivante de la QVT : 

La notion de qualité de vie au travail renvoie à des éléments multiples, relatifs en partie à chacun des salariés mais également étroitement liés à des éléments objectifs qui structurent l'entreprise. Elle peut se concevoir comme un sentiment de bien-être au travail perçu collectivement et individuellement qui englobe l'ambiance, la culture de l'entreprise, l'intérêt du travail, les conditions de travail, le sentiment d'implication, le degré d'autonomie et de responsabilisation, l’égalité, un droit à l'erreur accordé à chacun, une reconnaissance et une valorisation du travail effectué. »

Il existe en outre d’autres définitions de la QVT comme celle donnée par l’ANACT qui peuvent aussi servir de référence : « La qualité de vie au travail peut se définir comme l’existence d’un cercle vertueux entre plusieurs dimensions directement ou indirectement liées à l’activité professionnelle : relations sociales et de travail, contenu du travail, environnement physique, organisation du travail, possibilité de réalisation et de développement personnel, conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle ».

Ainsi définie, la QVT pourrait être un des éléments constitutifs d'une démarche RSE assumée en y intégrant la santé au travail dans toutes ses dimensions (cf. Vincent Baud citant l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et l’Organisation Internationale du Travail (OIT) qui la définissent comme un état élevé de « bien-être physique, mental et social » dans une approche globale et indissociable de ces trois dimensions).

L’observation du droit positif (prenant en compte les normes légales et conventionnelles) amène néanmoins à formuler quelques réserves sur l’usage qui a été fait de ce concept : le droit n’impose pas d’aborder directement et globalement la thématique de la santé au travail dans le cadre de la QVT, qui demeure un concept encore « à la carte ».

Il faut en premier lieu souligner que, la loi Rebsamen du 17 août 2015 qui a rendu obligatoire pour toutes les entreprises d’au moins 50 salariés la négociation sur la qualité de vie au travail et l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans le cadre de la négociation annuelle, ne donne pas de définition de la QVT, mais seulement des thématiques en guise de références. En matière de QVT, la négociation doit notamment porter sur les thèmes suivants : Articulation vie personnelle / vie professionnelle, Lutte contre les discriminations, Insertion des travailleurs handicapés, Régimes de prévoyance et de complémentaire santé, Droit d’expression directe et collective des salariés, et à titre facultatif, la pénibilité… À ces thèmes, la loi Travail du 8 août 2016 a rajouté le droit à la déconnexion, mais pas la santé au travail en tant que telle.

Ensuite, les accords d’entreprise conclus sur cette thématique n’ont juridiquement pas l’obligation de reprendre la définition donnée par les partenaires sociaux dans l’ANI de 2013 qui a d’ailleurs cessé de produire ses effets. La notion de QVT recouvre ainsi dans le droit conventionnel une multitude de thèmes qui peuvent rendre sa définition variable d’une entreprise à l’autre, intégrant ou pas la santé au travail dans tout ou partie de ses dimensions. Si pour un certain nombre d’accords d’entreprise, les dispositifs ont pu être tournés vers la santé au travail ou la prévention des risques, parfois de manière innovante, pour beaucoup d’autres, la QVT aura pu se résumer à la question de l’articulation vie personnelle / vie professionnelle, au droit à la déconnexion ou à la reprise de dispositions légales déjà existantes.

Ces approches hétérogènes du concept nous montrent que, selon le cas, la QVT peut indéniablement se présenter comme un levier intéressant pour répondre aux enjeux de la santé au travail, à condition néanmoins de s’inscrire dans une véritable démarche RSE fixant notamment des indicateurs, des objectifs tangibles et mesurables pour en apprécier l’impact. À défaut, la QVT telle que prévue par les textes ne garantit pas une réponse à tous les enjeux ni à tous les objectifs d’impact liés à la santé au travail. L’intérêt de positionner la santé au travail comme axe essentiel de toute démarche RSE demeure donc toujours pertinent et même indispensable si l’on considère que chaque entreprise doit et devra être en capacité de fédérer ses forces vives pour négocier la mutation écologique de son business

Des évolutions législatives sur la santé au travail convergentes avec la RSE ?

À l’occasion de la signature de l'accord national interprofessionnel (ANI) du 9 décembre 2020 sur la santé au travail, les partenaires sociaux se sont mis d'accord pour que l'approche traditionnelle de la qualité de vie au travail (QVT), soit enrichie pour intégrer la qualité des conditions de travail afin de devenir la qualité de vie et des conditions de travail (QVCT). Transposant l'ANI du 9 décembre 2020, l'article 4 de la loi du 2 août 2021 a intégré cette modification dans les dispositions du Code du travail relatives à la négociation périodique obligatoire d'entreprise (qui ne s’impose donc qu’aux seules entreprises dotées de section(s) syndicale(s) de syndicat(s) représentatif(s).

Pour quelles conséquences ? La qualité de vie et des conditions de travail n’est pas véritablement « définie » par la partie II (article 2.2 et suivants) de l'ANI du 9 décembre 2020 comme elle l’était en 2013, mais une référence directe et nouvelle à « des aspects qui recoupent le domaine de santé et de la sécurité au travail » (art 2.2 § 3) y a été intégrée. Il semble aussi ressortir de ce texte ainsi que des débats parlementaires que cette notion intègre désormais un aspect « organisation du travail » et revête ainsi une approche plus collective que la loi Rebsamen.

Il ressort également du nouvel article L 2242-19-1 du Code du travail relatif à la négociation périodique obligatoire supplétive qu'elle englobe la santé, la sécurité et la prévention, conformément à la volonté des partenaires sociaux. Il reste toutefois difficile de mesurer, à ce stade, la portée contraignante de cette évolution des textes : véritable avancée de fond imposant une approche systématique de la QVCT par l’organisation du travail et la santé au travail ou simple changement terminologique ?

Cette modification fait écho à une autre évolution de la loi du 2 août 2021 qui pourrait orienter les organisations sur de nouvelles exigences. Jusqu’à présent, l'article L 4121-3, al. 1 du Code du travail imposait à l'employeur d'évaluer les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, y compris dans le choix des procédés de fabrication, des équipements de travail, des substances ou préparations chimiques, dans l'aménagement ou le réaménagement des lieux de travail ou des installations et dans la définition des postes de travail. La loi a complété cette obligation par l'évaluation des risques liés à l'organisation du travail (C. trav. art. L 4121-3, al. 1 modifié). Pour les parlementaires à l'origine de cette disposition, le constat a été fait que les modalités même d'organisation du travail sont à l'origine de nombreux risques psychosociaux.  Ils rappellent, en outre, que l'ANI du 9 décembre 2020 reconnaît lui-même que « l'organisation du travail peut susciter certains risques notamment quand elle change rapidement : modification des méthodes de travail, changement des techniques, modification des fonctions des managers » et appelle à « la prise en compte des exigences de sécurité et de santé dès la conception […] des organisations du travail ».

Ces évolutions appellent à renforcer la culture de la prévention et donc à définir une organisation du travail intégrant de façon primaire (dès sa conception) la prise en compte des exigences de sécurité et de santé. Suffisant pour répondre à l’ensemble des enjeux de santé au travail ? Il demeure encore difficile d’apprécier l’exacte valeur contraignante de cette évolution en l’absence de méthodologie donnée par les textes : aucune obligation n’est définie en termes de mesure d’impact ou de suivi d’indicateurs pour apprécier les effets de l’organisation du travail sur la santé des salariés. L’évaluation des risques professionnels et sa transcription au sein du DUERP (document unique d’évaluation des risques professionnels) telle que prévue par les textes après la loi du 2 août 2021 ne devrait pas d’avantage permettre d’imposer une approche nouvelle et innovante de ces enjeux à l’ensemble des acteurs concernés.

Malgré ces évolutions législatives appréciables, le positionnement de la santé au travail comme axe structurant de la RSE conserve donc toujours sa pertinence. Cette approche exige néanmoins de se doter d’une méthodologie (cf notamment les propositions de Vincent Baud « Écouter » comme dixième principe général de prévention, qui serait ajouté aux fameux 9 autres principes définis à l’article L. 4121-2 du Code du travail) et de choisir aussi des indicateurs adaptés pour pouvoir en mesurer l’impact (nous renvoyons au même auteur sur l’intérêt de la création d’une véritable taxonomie sociale).

Pour atteindre de tels objectifs, il y a un intérêt évident pour les organisations à s'investir dans des démarches de certifications. Donner une nouvelle dimension à la normalisation dans le domaine de la santé au travail implique une démarche globale qui suppose une coordination entre Droit (maîtriser et appliqué le corpus de règles en la matière) et Stratégie (à partir d’une approche méthodologique basée fondamentalement sur une réelle Écoute du salarié).

 

Par Nicolas FRANCOIS (Avocat en droit social / Fidal Impact).

 

Fidal Impact

Nous pensons que chaque personne, physique ou morale, chaque organisation peut jouer un rôle dans la transition nécessaire face aux enjeux actuels parmi lesquels l’étalement urbain, l’artificialisation des sols, la perte de biodiversité…

En conjuguant droit et stratégie, Fidal Impact a pour objectif d’accompagner la mutation et l’action des entreprises, des collectivités et de tous les acteurs qui en ont la volonté.

Nous sommes aussi convaincus que ce n’est qu’en incluant réellement tous les salariés dans la démarche que l’on pourra véritablement mettre en œuvre une transition écologique réussie de l’entreprise.

Fidal impact et son partenaire, le cabinet MASTER, vous proposent d’engager ou renforcer votre démarche RSE par une démarche globale incluant la composante santé et qualité de vie au travail, construite à partir d’un diagnostic initial pour un accompagnement sur mesure : scoring de risque et matrice de compliance, ateliers d’intelligence collective pour identifier les enjeux et priorités stratégiques et juridiques.

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