« L’accompagnement de collectifs est un bon outil pour agir sur la transition écologique et solidaire »
Les initiatives de quartier sont un maillon essentiel de la transition écologique et solidaire. L’association Asterya vient de clôturer une recherche-action de près de deux ans sur le sujet, soutenue par la Fondation d’entreprise des solidarités urbaines, en organisant un colloque innovant et collaboratif pour mieux comprendre les rouages qui pérennisent ces actions locales. Romain Gallart, coordinateur de cette recherche-action, explique en détail cette démarche qui vise à aider les associations à agir – et à mobiliser à leur tour.

- Le colloque de votre recherche-action AGICES s’est tenu il y a peu : comment résumeriez-vous ce projet mené depuis bientôt 2 ans ?
Il y avait deux enjeux au projet AGICES (Agir pour des Communautés Environnementales et Solidaires). Le premier était de permettre à des associations locales de quartiers populaires et à des associations qui font de la solidarité ordinaire ou de l’écologie ordinaire – c’est-à-dire qui mènent des actions sans dire que c’est de la solidarité ou de l’écologie du fait de leur situation en quartier populaire – d’être accompagnées pour se consolider et continuer à œuvrer. Le second était de développer une méthode d’accompagnement adaptée à chaque initiative et qui soit la plus démocratique possible.
- Qui sont les associations impliquées dans la démarche ?
Nous avons travaillé avec trois associations de quartier, qui sont toutes dans le 18e arrondissement, au sein de quartiers prioritaires de la ville (QPV), et portées par des personnes qui habitent sur le territoire – et donc elles-mêmes concernées. Il s’agit de l’association culturelle et sportive De Monblémont, place Blémont, de l’association de locataires CLCV du Champ-à-Loup et du centre social La Maison Bleue porte de Montmartre. Mais en même temps, ces trois structures sont dans trois quartiers différents et interviennent dans des champs spécifiques : De Monblémont agit en faveur des jeunes, l’association de locataires du Champ-à-Loup est orientée vers les questions de logement et La Maison Bleue anime la vie du quartier. Et leur typologie diffère puisque l’on a une petite association de quartier, une amicale de locataires et un centre social plus institutionnel. Nous voulions cette diversité de territoires et d’approches.
- Quelles ont été les modalités de leur accompagnement ?
La méthode comporte plusieurs étapes. La première a été d’identifier et clarifier les besoins collectifs de la structure, pour favoriser ensuite l’engagement autour d’un sujet. On l’a fait notamment via une enquête de mobilisation où l’on a directement interrogé toutes les personnes concernées par la problématique. Une fois mobilisées, notre seconde étape a été de mettre en place une discussion collective, de manière délibérative, c’est-à-dire respectant une égalité de temps de parole, la qualité d’écoute et la qualité argumentaire. L’objectif est de co-construire des espaces où la discussion constructive permet de prendre des décisions collectives. Au départ, nous faisions beaucoup d'animation puis nous avons transmis des outils pour que les groupes parviennent à l’auto-gestion. Notre troisième étape est directement liée, car toutes les réunions devaient aboutir à des actions. La discussion seule ne suffit pas. Transformer les situations est vecteur d’engagement. Pour permettre ces actions, nous avons d’une part offert les conditions matérielles, comme des petits équipements ou des titres de transport, si c’est nécessaire pour agir. D’autre part, nous nous sommes nous-mêmes engagés dans la réalisation de ces actions. En effet, cela s’avère indispensable pour construire une relation de confiance avec les acteurs des initiatives engagées. Par exemple, lorsque l’association De Monblémont a organisé sa fête de quartier, des membres d’Asterya sont venus prêter main forte pour l’organisation de la fête et la tenue de certains stands.
- La méthode s’est-elle appliquée de la même façon auprès des trois associations ?
Cela s’est construit d’une manière différente à chaque fois, mais en partant de leur réalité. Par exemple, l’étape du diagnostic des besoins a été très rapide avec De Monblémont. Ils avaient besoin d’une aide administrative et d’outils pour remobiliser leurs bénévoles. Nous avons proposé des solutions et formalisé notre accompagnement en deux ou trois réunions. Mais c’était plus compliqué avec l’amicale des locataires du Champ-à-Loup, du fait que nous n’arrivions pas à les voir tous ensemble. Nous avons donc fait des entretiens individuels, où les discours différaient. Nous leur avons présenté une synthèse mais ils n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur une stratégie. Quant à la Maison Bleue, le projet s’est focalisé, à la demande des habitants, sur une problématique de vendeurs à la sauvette présents dans le quartier. Nous les avons donc aidés à accompagner cette mobilisation, fondée sur un groupe d’habitants très en colère que nous avons réussi à réunir avec les vendeurs à la sauvette pour discuter.
- Pourquoi avoir choisi d’agir auprès de collectifs et de les aider à entrer en action ?
Asterya est née de ce principe d’accompagnement des individus vers l’engagement. Or il est tout aussi important d’accompagner les dynamiques collectives, qu’elles soient portées par des associations statutaires ou des associations de fait. Ce n’est pas naturel d’agir collectivement. De très bonnes initiatives peuvent être tuées dans l’œuf s’il n’y a pas de méthode. La transition écologique et solidaire se fera à travers le soutien des initiatives ordinaires existantes, qui souvent ne sont pas reconnues, pour les consolider et leur donner les moyens de perdurer. Elles ont un pouvoir transformateur mais manquent parfois de bonnes modalités d’organisation.
- La recherche-action s’est déroulée à l’échelle du 18e arrondissement, ce prisme de l’ultra-local est-il important ?
Chez Asterya, nous sommes très liés au territoire. Ce localisme est important parce que c’est un espace de réseaux où les gens se connaissent. L’ultra-local est un espace où l’on peut voir de vrais changements concrets. Si on œuvrait à une échelle nationale, les transformations seraient moins perceptibles. Avec l’ultra-local, il y a une matérialité du territoire. C’est très motivant pour les initiatives et c’est mobilisateur car cela touche au cadre de vie des gens et permet de développer des solidarités de proximité. Pour nous, l’ultra-local est une échelle d’intervention très intéressante car on peut transformer très concrètement les situations dans un laps de temps relativement restreint.
- Comment s’est organisée la partie recherche tout au long du projet ?
Sur le terrain, nous avons mobilisé des outils de recherche pour objectiver des situations. Par exemple, pour les vendeurs de rue, nous avons mené une enquête urbaine en observant concrètement l’occupation du territoire heure par heure et les interventions des pouvoirs publics. Ces observations ont été des éléments objectifs pour apporter de la nuance et créer un contact entre les parties prenantes.
Nous avons également utilisé les outils de la recherche pour réfléchir sur notre propre action et identifier ce qui portait ses fruits ou non. C’était un dispositif réflexif, qui nous a permis d’ajuster la démarche et d’être vigilants sur nos postures d’accompagnement.
La recherche mise en place tout au long du projet va aussi nourrir une réflexion plus théorique sur les solidarités ordinaires. Nous avons mené des entretiens semi-directifs pour comprendre comment l’accompagnement pouvait impacter les trajectoires d’engagement, et s’il existait une diversité de profils mobilisés dans ces différentes dynamiques. Nous avons mené beaucoup d’entretiens, nous sommes en train d’analyser cette matière et d’étudier comment la valoriser.
- Un mot sur le colloque du 13 mars, dont le format était novateur ?
Ce n’était pas un colloque universitaire traditionnel, où les chercheurs présentent leur recherche. Nous avons construit l’événement comme un espace réflexif pour les associations qui interviennent. C’est rare qu’il y ait une majorité d’acteurs non professionnels de la recherche dans un colloque. Les chercheuses présentes étaient en posture d’animation et non en posture de sachant. En tant que spécialistes de la thématique, elles étaient là pour poser les bonnes questions aux personnes qui portent les projets au quotidien. L’enjeu était d’inviter les associations que l’on avait accompagnées à discuter avec d’autres associations menant des travaux relativement proches. Cela a aussi permis à un certain nombre d’associations de quartiers populaires, qui ne se sentent pas nécessairement légitimes dans ces espaces, d’y avoir accès.
- Quels sont les principaux enseignements en matière de leviers et de freins à l’engagement ?
On observe que, même s’il y a beaucoup de solidarité dans les quartiers populaires, les difficultés socio-économiques rendent l’investissement collectif fragile. Les préoccupations quotidiennes sont un grand frein à l’engagement. Et les initiatives contestataires semblent plus restreintes aussi. Dans le 18e arrondissement, il y a une spécificité autour du logement. Faute de logement adapté ou disponible, certains responsables associatifs, pourtant natifs du 18e, ont été contraints de déménager, ce qui fragilise leur action associative.
En revanche, j’ai été interpellé par le vrai moteur d’engagement que sont les émotions, et parfois leur ambivalence. Dans le cas de La Maison Bleue, les personnes étaient très en colère contre les vendeurs de rue. C’était leur moteur de base. Et progressivement, les gens ont créé des liens entre eux et l’enjeu aujourd’hui est de se réunir non plus pour se plaindre d’une situation mais pour se retrouver et parler, afin de trouver des solutions. La colère est donc un moteur d’engagement, dont l’enjeu est d’être transformée.
- Quelles sont les perspectives pour les associations impliquées dans la démarche, et plus largement, pour l’accompagnement développé par Asterya ?
Ce sont trois dynamiques très différentes. Avec l’association de locataires du Champ-à-Loup, notre accompagnement n’a pas marché car la famille qui gérait l’association a déménagé et nous avons perdu le lien avec la nouvelle équipe. L’association De Monblémont est devenue notre partenaire. Nous organisons des projets ensemble pour les jeunes. Et nous avons décidé de poursuivre le projet avec La Maison Bleue, dont la dynamique est très intéressante. Nous souhaitons trouver des solutions pérennes avec les vendeurs de rue et nous prolongeons la recherche-action à l’échelle du tout-Paris pour travailler avec les vendeurs et le collectif.
Côté Asterya, nous avons développé et consolidé notre méthodologie. D’autres structures nous ont sollicités pour qu’on les accompagne. Cela nous conforte dans notre volonté d’action. Faire de l’accompagnement de collectifs est un bon outil pour agir sur la transition écologique et solidaire.
- À l’aune de ce qu’a révélé la recherche-action, comment peut-on renforcer les solidarités de proximité ?
Il faut écouter et prendre au sérieux ce que les gens disent. Il y a beaucoup de solidarités existantes, qui passent complètement sous les radars et qui ne se qualifient pas comme telles. C’est un axe fort. Il faut également garder en tête que les gens peuvent être ambivalents. On peut être en colère contre des situations et en même temps être très solidaire. Cela interroge beaucoup nos postures. Dans le collectif Maison Bleue, les plus virulents étaient aussi ceux qui faisaient la distribution alimentaire ou l’écrivain public pour ces mêmes vendeurs à la sauvette. Si on écoute trop rapidement, on peut passer à côté de capacités de solidarité. Il faut bien distinguer les personnes des situations. Accepter les contradictions permet d’aller plus loin et de les transformer de manière positive.