Aller au contenu principal
Par Fondation des solidarités urbaines - Publié le 18 octobre 2024 - 06:44 - Mise à jour le 21 octobre 2024 - 19:09
Recevoir les news Tous les articles de l'acteur

Mathilde Rousselle, coordinatrice du Shakirail : « Il y avait un vrai enjeu à renverser notre manière de faire et à savoir s’adapter »

Comment élargir les usages d’un tiers-lieu culturel pour en faire un bien commun de quartier ? C’est à cette question que répond la recherche-action menée par le Shakirail depuis janvier 2024 dans les 18e et 19e arrondissements de Paris, avec le soutien conjoint de la Fondation des Solidarités Urbaines et de la délégation Île-de-France de la Fondation Macif. Espace artistique, le lieu ouvre une partie de sa gouvernance aux habitants, afin de créer une nouvelle dynamique de programmation et d’en extraire un rapport de recherche. Interview de Mathilde Rousselle, coordinatrice du Shakirail.

Mathilde Rousselle, coordinatrice du Shakirail / Crédit photo : Gilles Arbellot
Mathilde Rousselle, coordinatrice du Shakirail / Crédit photo : Gilles Arbellot

 

  • Pouvez-vous nous décrire la mission du Shakirail et son fonctionnement ?

 

Le Shakirail est un lieu géré par un collectif d’artistes pluridisciplinaire, le collectif Curry Vavart, sous l’égide de l’AGETA, Association pour la Gestion d’Espaces Temporaires et Artistiques. Comme les autres espaces de l’association, c’est un lieu de travail temporaire et partagé, ouvert aux artistes, installé dans une infrastructure appartenant à la SNCF. 

Il est situé rue Riquet, le long des lignes de chemin de fer, à la frontière entre les 18e et 19e arrondissements de Paris. Ce secteur compte plusieurs quartiers prioritaires de la politique de la ville, qui font face à des problématiques de trafic de drogue, de précarité ou de conflits de quartier. De plus, les voies ferroviaires limitent les habitants dans leurs déplacements entre les deux arrondissements. Malgré ces frontières sociales, administratives et physiques, c’est pourtant un territoire qui possède un tissu associatif fort.

Le Shakirail, implanté depuis 2011, a toujours eu pour vocation de s’intégrer pleinement dans le territoire et auprès de ses acteurs. Nous travaillons avec les équipes de développement local des mairies d’arrondissement ainsi qu’avec les bailleurs sociaux. 

 

  • Pourquoi avoir décidé d’initier une recherche-action ?

 

Nous avions jusqu’ici beaucoup travaillé l’« aller vers », avec des actions culturelles hors les murs. Comme le Shakirail est avant tout un espace de travail pour les artistes, nous n’étions pas identifiés par les habitants comme un lieu accessible. 

Cette recherche-action nous donne l’opportunité de nous ouvrir sur le quartier, en confiant une partie de notre programmation aux habitants. Baptisé « Le Quartier s’en mêle », le programme ouvre le fonctionnement et la gouvernance du Shakirail à un collectif d’habitants volontaires, pour qu’ils s’investissent concrètement dans l’utilisation du lieu en organisant collectivement leurs propres projets.

Grâce au soutien de la Fondation des Solidarités Urbaines, nous avons pu définir nous-mêmes notre territoire d’action et ainsi chercher plus d’interactions entre nos deux arrondissements limitrophes. 

Notre rencontre avec le duo formé par Lucie Mesuret, socio-urbaniste rattachée aux Eclisses*, et Aurélie Druguet, anthropologue rattachée au bureau d’études AnthropoLinks**, a beaucoup facilité la mise en place du projet. Elles nous ont présenté une méthodologie commune et des outils de mobilisation citoyenne venant directement nourrir l’action de terrain mais aussi la partie recherche.

 

  • Comment s’est construite la mobilisation des habitants ? 

 

Nous avons commencé par faire un diagnostic territorial pour identifier notre périmètre d’action ainsi que les associations qui pourraient jouer le rôle de relais en nous mettant en contact direct avec les habitants. Puis, nous avons organisé une grande réunion d’information pour expliquer le fonctionnement du projet et ses objectifs. Cet atelier initial a réuni près de 40 personnes et nous a permis de récolter les souhaits des participants. 

Ensuite, nous avons constitué un comité d’habitants avec les plus motivés d’entre eux, capables de s’investir régulièrement dans le programme. Nous leur avons fait découvrir le Shakirail et toutes ses possibilités d’accueil d’événements. Les discussions concrètes ont alors commencé, avec pour échéance l’organisation d’un premier événement en juin 2024.

 

  • Quels sont les profils présents au sein du comité d’habitants ?

 

C’est assez varié. Sur les 10 à 15 membres réguliers du comité, nous avons des étudiants, des actifs et des retraités. Nous avons des jeunes de 20 ans comme une habitante de 86 ans. 

Ils viennent principalement du 18e arrondissement, car nous y avons eu davantage de relais via les associations. L’un de nos prochains objectifs est de réussir à y inclure plus d’habitants du 19e arrondissement : ils étaient largement présents durant le premier événement, et nous souhaitons qu’ils puissent rejoindre le comité. 

 

  • Comment le comité fonctionne-t-il ?

 

Nous leur transmettons les outils pour qu’ils se mettent d’accord, grâce aux méthodologies de mobilisation collective de Lucie Mesuret, spécialisée en démarches de participation citoyenne. Le groupe avance par exemple par consensus, non par vote à main levée, pour ne pas être tributaire des disponibilités des uns et des autres. 

Nous recueillons leurs envies et, en retour, nous apportons un peu de réel dans leurs propositions, en leur posant des questions concrètes sur l’organisation. Il y a une bonne ambiance entre les habitants. La plupart ne se connaissaient pas du tout et ont déjà réussi à créer une certaine connivence.

Le principe est que le comité reste en permanence ouvert à de nouveaux habitants et donc à de nouveaux projets. Au cours de nos événements, les habitants prennent tous un temps pour expliquer à de nouveaux venus le principe du « Quartier s’en mêle » et l’intérêt d’y participer. Ainsi, le public des évènements n’est pas simple spectateur. Il est invité à connaître l’action, à en discuter et à participer aux prochaines réunions du comité. Chaque événement public a vocation à élargir le comité de suivi.

Le Shakirail / Crédit photo : Gilles Arbellot
Crédit photo : Gilles Arbellot

 

  • Comment s’est déroulé le premier événement organisé en juin ?

 

C’était la première fois que les habitants organisaient un événement de cette ampleur. Nous avons proposé, de 14h à 22h, des activités qui s’adressaient à tous les âges, un principe intergénérationnel souhaité par le comité. 

Nous avons donc mis en place des ateliers et des jeux pour les enfants, une scène ouverte en format “jam session”, puis plus tard dans la soirée un buffet, entièrement gratuit – là aussi c’était une volonté du groupe –, avec des jeux pour les adultes. Plus d’une centaine de personnes, dont beaucoup de familles, sont passées tout au long de l’événement. Le bouche-à-oreille a bien fonctionné. D’autant que de l’autre côté de la voie ferrée avait lieu en même temps la fête du Centre social Espace 19. Nous avons co-réalisé une signalétique à la craie entre les deux lieux pour informer les publics, et Espace 19 a collaboré activement avec nous en guidant les participants de son événement lorsque celui-ci s’est terminé vers le Shakirail. Nos deux événements ont créé une émulation dans le quartier et ont été l’occasion d’enclencher une collaboration interassociative prometteuse pour l’avenir. A l’issue de notre rencontre dans le cadre de la recherche-action, nous avons projeté de réaliser ensemble un événement piéton et ludique, type rue aux Enfants, entre nos deux lieux et sur le pont de Riquet l’été prochain. Cela permettrait de faire le lien entre les deux arrondissements, de gommer la cicatrice urbaine du faisceau ferroviaire. C’est un très bon signe au regard des dynamiques de coopération qui peuvent se faire.

L’équipe du Shakirail a été très présente pour ce premier rendez-vous, afin d’aider les habitants à prendre la mesure de tout ce qui était nécessaire à l’organisation. Ils ont pu expérimenter les possibilités du lieu, apprendre à passer rapidement de l’espace extérieur à l’espace intérieur au gré de la météo. Ils ont aussi vu les points d’amélioration, notamment sur la répartition des rôles et le format des activités.

 

  • Comment êtes-vous accompagnés pour mettre en œuvre la mobilisation citoyenne et capitaliser sur les enseignements et résultats nés de la recherche-action ?

 

Lucie Mesuret, qui est socio-urbaniste, nous a accompagnés et orientés vers des méthodes de mobilisation adaptées. En début de projet, nous avons ainsi utilisé la technique de l’arpentage, c’est-à-dire de promenade dans le quartier, afin d’identifier et d’aller à la rencontre des gardiens d’immeuble, des bailleurs sociaux, des amicales de locataires. Cela permet également d’identifier les projets qui impliquent déjà les habitants, comme les jardins partagés. Sur ces bases, nous avons défini quels acteurs seraient en mesure de nous faire rencontrer des habitants. Nous avons fait appel à 10 associations différentes, via un questionnaire pré-établi. Les habitants ont également été interrogés avec un autre questionnaire adapté, pour répertorier leurs envies, leurs profils, s’ils avaient connaissance de projets d’habitants. C’est ce qui nous a permis de les informer de la grande réunion de présentation du « Quartier s’en mêle ». Ces informations sont des ressources pour Lucie Mesuret et Aurélie Druguet, nos deux partenaires qui nous accompagnent dans le cadre de cette recherche-action. Elles sont d’ailleurs venues présenter la démarche aux artistes du Shakirail car, à terme, nous souhaitons développer une co-construction de la programmation entre habitants et artistes. Quant à la thématique du rapport de recherche, Aurélie Druguet travaille sur l’évaluation de la perception du Shakirail au bout d’un an et demi de projet, à la fois par les membres du comité de suivi, par des personnes du public se rendant régulièrement aux événements et par les résidents-artistes du Shakirail. Elle souhaite également intégrer le retour d’expérience de l’équipe du Shakirail et celui de Lucie Mesuret, au sujet de la mobilisation citoyenne et sur la faisabilité des préconisations formulées.  

 

  • Comment l’association se nourrit-elle elle aussi de cette recherche-action ?

 

Lucie Mesuret nous a formés sur tout le travail de mobilisation : la manière de réaliser un diagnostic des acteurs locaux et des résidences de logements sociaux en arpentage, de se rendre aux activités des associations de quartier pour tisser un lien de confiance avec les adhérents qui les fréquentent, ou encore comment mobiliser à travers une communication adaptée via l’affichage dans les associations, les commerces, le parc social, le bouche à oreille, la mobilisation des gardiens…, pour que nous puissions le faire en autonomie auprès des habitants. Elle nous a expliqué les bons usages pour mener des entretiens, les façons de réagir en fonction des réponses… Comme nous devons poser des questions sur le lieu de vie des habitants, c’est parfois assez personnel. Il y avait donc une montée en compétences intéressante pour nous à ce niveau. Nous avons aussi appris sur la manière de monter des événements avec des habitants qui n’en ont jamais fait, contrairement aux artistes du Shakirail qui ont l’habitude et qui viennent avec leurs idées. 

Je dirais que l’un des apprentissages majeurs reste celui de la posture : être force de proposition sans être prescripteur, encourager les idées tout en sachant indiquer leurs limites. Pour nous, il y avait un vrai enjeu à renverser notre manière de faire et à savoir nous adapter.

 

  • Quelles sont les prochaines étapes d’ici à fin 2025 ?

 

Notre deuxième événement, dont le format s’est rapproché de l’événement organisé fin juin, a eu lieu le 5 octobre, de 16h à 22h. L’une des nouveautés est que les habitants se sont retrouvés avant, pour faire les courses et cuisiner pour le buffet. Ce n’était pas visible du grand public, mais cette démarche de faire ensemble a permis de franchir une nouvelle étape. Un troisième rendez-vous sera donné en décembre, cette fois-ci avec les artistes du Shakirail. 

Pendant l’hiver, nous accorderons plus de temps à l’aspect recherche de notre projet, afin d’en définir le cadre en fonction des résultats constatés.

Puis d’autres événements sont à attendre dès le printemps 2025, au retour des beaux jours. Il y en aura plusieurs, mais nous voulons nous laisser de la souplesse quant au nombre et au format. Nous nous adapterons aux envies des habitants, sans leur imposer un calendrier.

Nous réfléchissons également dès maintenant à la restitution finale du projet. Nous envisageons notamment, en plus du rapport formel d’Aurélie Druguet, d’ajouter une captation vidéo réalisée par Guillaume Lebourg, artiste vidéaste au Shakirail, ainsi qu’une sonothèque qui contiendrait des sons d’ambiance des événements et des témoignages. Et pourquoi pas une exposition pluridisciplinaire à laquelle pourraient participer les artistes du lieu. L’idée est de garder des liens et de laisser une trace du projet auprès de tous.

 

* Les Eclisses proposent de déployer des démarches participatives dans le cadre de projets de transformation territoriale.

** La coopérative AnthropoLinks est un bureau d’études et de recherches sociales, sociologiques, d'évaluations de politiques publiques ainsi qu'un lieu de productions culturelles.

 

Fermer

Cliquez pour vous inscrire à nos Newsletters

La quotidienne
L'hebdo entreprise, fondation, partenaire
L'hebdo association
L'hebdo grand public

Fermer