Marché du travail : comprendre les freins à l’emploi en France des personnes les plus vulnérables
Chômage de masse et nombreux postes vacants : le paradoxe français persiste. En cause, non seulement un déficit de formation ou de compétences, mais aussi des obstacles invisibles. Ces freins dits “périphériques” sont désormais au cœur des actions menées par les pouvoirs publics, les entreprises et les associations, qui s’emploient à faire tomber ces barrières.

Comment combler le fossé ? Chaque année, entre 308 000 et 470 000 recrutements sont abandonnés faute de candidats, selon France Travail1, anciennement Pôle Emploi. Et pourtant, la France compte 2,4 millions de chômeurs, soit 7,4 % de la population active au premier trimestre 2025 (INSEE). Ce paradoxe n’est pas nouveau. Depuis des années, l’inadéquation entre les besoins des employeurs et les profils disponibles alimente les tensions sur le marché du travail, sans que la France parvienne à résorber durablement ce déséquilibre.
Des freins périphériques à l’emploi encore invisibles
D’un côté, des secteurs entiers — logistique, BTP, services à la personne — peinent à recruter, souvent en raison de conditions de travail pénibles, de faibles rémunérations ou d’une image dégradée. De l’autre, des millions de personnes, dont certaines considérées comme les plus vulnérables, cherchent un emploi, mais ne peuvent s’y projeter et peinent à postuler, pour des raisons qui vont au-delà du manque de compétences ou de formation. Car accéder à l’emploi, ce n’est pas seulement maîtriser un métier : c’est aussi pouvoir s’y rendre, faire garder ses enfants, être en bonne santé, avoir un logement stable, maîtriser la langue française, avoir un réseau professionnel. Autant de freins périphériques à lever. Une étude de la DREES (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) a montré que deux tiers des allocataires du RSA se disent freinés dans leur recherche d’emploi pour des raisons sociales dites périphériques.
Ces obstacles, invisibles aux yeux des recruteurs ou des institutions, prennent la forme de difficultés concrètes : horaires de travail incompatibles avec la vie parentale ou moyens de mobilité à disposition, éloignement entre le domicile et les bassins d’emploi, maîtrise insuffisante de la langue française, manque de réseau professionnel… Tous ces freins périphériques peuvent par ailleurs se croiser, se renforcer, s’enchevêtrer. C’est l’intersectionnalité des vulnérabilités. Par exemple, être une femme, réfugiée, isolée, vivant dans un quartier défavorisé, fait basculer d’un éloignement temporaire à une exclusion structurelle du marché du travail. Ces freins périphériques, longtemps considérés comme relevant de la sphère privée ou sociale, s’imposent aujourd’hui comme des déterminants majeurs de l’employabilité, que les politiques d’insertion et les acteurs de terrain commencent enfin à prendre en compte.
Le contrat d’engagement, un instrument de politique publique
Adopté en 2023, le projet de loi du gouvernement français pour le plein emploi marque un tournant dans l’approche de l’insertion professionnelle. Il prévoit la généralisation d’un “contrat d’engagement rénové”, pierre angulaire de la réforme, qui associe un accompagnement individualisé avec une reconnaissance explicite des freins sociaux pesant sur le retour à l’emploi. Discriminations, problèmes de mobilité, de santé physique ou mentale fragile, de méconnaissance des codes de l’entreprise… Toutes ces dimensions longtemps reléguées au second plan sont désormais intégrées comme des leviers fondamentaux des parcours d’insertion.
Le contrat d’engagement prétend accompagner chaque personne dans sa globalité, en tenant compte de ses aspirations, de ses contraintes, mais aussi de son potentiel. Cette approche à 360° veut mettre fin aux ruptures de parcours, au morcellement administratif, et aux orientations par défaut, si fréquentes dans le système actuel. Le nouveau dispositif entend donc proposer des parcours coordonnés, multiservices, coconstruits avec l’ensemble des acteurs du territoire : missions locales, France Travail, collectivités, associations, opérateurs de formation et entreprises. Chaque bénéficiaire doit aussi être suivi par un référent unique.
Les associations, acteurs incontournables de l’insertion sociale et professionnelle
Dans le paysage complexe de l’insertion, les associations jouent un rôle charnière. Proches du terrain et à l’écoute des entreprises, elles agissent comme tiers de confiance. À la fois pour les bénéficiaires, notamment ceux les plus éloignés de l’emploi, en mettant en place des formations adaptées aux besoins (savoir être, savoir-faire et savoirs), en remobilisant vers un parcours d’insertion professionnelle ou encore en levant les freins périphériques. Mais aussi les employeurs en les accompagnant vers des démarches de recrutement plus inclusives. Parmi ces acteurs associatifs qui inventent de nouvelles voies vers l’emploi, each One — qui accompagne l’insertion professionnelle des réfugiées — ou Social Builder — qui œuvre à féminiser les métiers du numérique — construisent des ponts entre des mondes qui se méconnaissent, grâce à leur connaissance fine des publics et leur capacité d’accompagnement individualisé.
Réfugiés : Lever les freins multiples
Pour les personnes réfugiées, bien souvent, les obstacles se cumulent : barrière linguistique, manque de reconnaissance des diplômes étrangers, précarité administrative, mais aussi difficultés d’accès au logement, aux soins ou à un réseau professionnel.
En France, plus d’un million de réfugiés et primo-arrivants vivent aujourd’hui en situation de sous-emploi ou de déclassement, même quand ils sont hautement qualifiés. « Il faut en moyenne dix ans à une personne réfugiée pour retrouver un emploi stable. C’est une décennie de gâchis humain et économique », alerte l'équipe d’each One qui propose des parcours intégrés, centrés sur les besoins réels des entreprises et les réalités des bénéficiaires. Diagnostic des freins périphériques, apprentissage du français professionnel, coaching individuel, immersion en entreprise… 70 % des participants trouvent un emploi durable à l’issue du programme. « L’enjeu, c’est aussi de changer le regard porté sur les talents issus de l’exil pour faire de la diversité un levier de compétitivité. »
Femmes et numérique : casser les barrières culturelles
Chez les femmes, les freins périphériques commencent dès le plus jeune âge avec des biais quant à leur choix d’orientation, de parcours scolaires ou de métiers dits « masculins » à cela s’ajoute avec le temps des attentes sociales plus forte liées à leur genre : gestion de la garde d’enfant, charge mentale élevée, reconversion difficile, stéréotypes de genre persistants dans le monde du travail.
Dans les métiers du numérique, où elles sont sous-représentées, Social Builder agit sur tous les fronts : orientation, accompagnement, sensibilisation, mentorat. Le but : déconstruire les freins culturels et psychologiques qui empêchent les femmes d’envisager ces carrières. « Il existe un réel enjeu d’attractivité et de prise de conscience que ces métiers numériques sont aussi faits pour elles », résume Social Builder qui à travers son programme Féminisons les métiers d’avenir veut les amener à réfléchir à une orientation ou à une reconversion dans ces filières d’avenir.
Lever les freins à l’emploi et reconnecter les publics éloignés au monde professionnel : de nombreuses associations ont prouvé que c’était possible. Mais leurs actions reposent souvent sur des équilibres fragiles. Beaucoup fonctionnent avec des financements précaires, des appels à projets ponctuels ou des subventions limitées dans le temps. Le financement structurel de ces acteurs de terrain ne devrait pas être vu comme un coût, mais comme un investissement social et économique vertueux pour la société, comme pour les entreprises.
- - 2,4 millions de chômeurs en France au 1er trimestre 2025, soit 7,4 % de la population active (INSEE).
- - Entre 308 000 et 470 000 recrutements abandonnés chaque année faute de candidats. (France Travail)
- - 2/3 des allocataires du RSA déclarent être freinés dans leur recherche d’emploi pour des raisons sociales dites “périphériques” (DREES).
- - 70 % des réfugiés qui participent aux programmes d’insertion de l’association Each One trouvent un emploi stable.
- - 17 % des diplômés dans le numérique sont des femmes ; en moyenne elles ne restent pas plus de 3 ans en poste étant donné l’ambiance sexiste du secteur numérique ; dans le secteur de l’intelligence artificielle, on ne compte que 12 % de chercheuses (Social Builder).
Depuis janvier 2025, le Contrat d'engagement rénové remplace les dispositifs précédents (PPAE, CEJ, PACEA, CER) pour offrir un accompagnement plus adapté aux besoins individuels des demandeurs d’emploi.
Les grands principes :
- - Un contrat unique pour tous les demandeurs d’emploi et les bénéficiaires du RSA, remplaçant les dispositifs précédents.
- - Un diagnostic individualisé : prise en compte des freins sociaux (santé, logement, mobilité, garde d’enfant…), des aspirations, des contraintes et du potentiel de chacun.
- - Un référent unique pour assurer la continuité du parcours d’insertion.
- - Un parcours coconstruit avec l’ensemble des acteurs locaux (France Travail, missions locales, départements, associations…).
- - Activités hebdomadaires : jusqu’à 15 heures d'activités par semaine (ateliers de formation, recherche d'emploi, immersion professionnelle…)
- - Engagement et sanctions : le contrat précise les actions à entreprendre et prévoit des sanctions en cas de non-respect sur le modèle dit de “suspension-remobilisation” (la suspension temporaire de l’allocation dure jusqu’à ce que la personne se réengage dans son parcours d’insertion)
1France Travail (ex Pôle Emploi) "Offres pourvues et abandon de recrutement en 2022", 7/04/2023