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Par Fondation des solidarités urbaines - Publié le 15 mai 2023 - 16:51 - Mise à jour le 16 mai 2023 - 11:21
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Lil’Ô : la biodiversité retrouvée d’une friche industrielle

Et si les terrains urbains dégradés et délaissés pouvaient être de nouveau fertiles ? C’est le pari réussi par Lil’Ô sur l’Île-Saint-Denis. Cet ancien terrain pollué fait la preuve que la rénovation des sols peut se faire selon des procédés écologiques. Un projet ambitieux, soutenu par la Fondation Paris Habitat, où la solution à un enjeu environnemental est aussi une réponse sociale, solidaire, scientifique et économique.

Sur Lil’Ô, 6 000 m2 sont consacrés à l’horticulture. (Crédit photos : Mary-Lou Mauricio)
Sur Lil’Ô, 6 000 m2 sont consacrés à l’horticulture. (Crédit photos : Mary-Lou Mauricio)

Lil’Ô : une feuille blanche ?

En 2018, l’association Halage remporte l’appel à manifestation d’intérêt du Département de la Seine-Saint-Denis pour un terrain de 3,6 hectares sur l’Île-Saint-Denis. Sur place, tout est à faire. Enserrée entre la zone naturelle protégée située à la pointe de l’île et le parc départemental Natura 2000, la parcelle est très polluée car elle servait d’espace de stockage aux entreprises de travaux publics. Résultat : ses sols étaient un millefeuille de gravats, d’hydrocarbures, de goudron, fortement compactés par les allées et venues des camions. 

« On aurait préféré partir d’une feuille blanche ! », souligne Antoine Cantaloup, chargé de projets au sein de l’association Halage. D’importants travaux sont menés entre 2018 et 2020 pour préparer le site à sa future transformation. Car d’apparence inapte à toute culture, « Lil’Ô » va pourtant bel et bien être renaturé via un procédé unique de fertilisation naturelle et écologique des sols, en minimisant l’apport extérieur de terre végétale. 

Ce nouveau terreau devient alors celui d’autres projets porteurs de solutions, à la fois écologiques et sociales : une recherche-action autour des « technosols », la création d’une filière d’horticulture durable en circuit court, l’émergence de nouveaux métiers liés à l’agriculture urbaine, le tout mené en chantiers d’insertion avec des personnes éloignées de l’emploi.

« Il existe 100 000 friches industrielles en France, explique Antoine Cantaloup. Nous voulons poser de nouveaux jalons dans l’usage des délaissés urbains. Et grâce à Lil’Ô, nous prouvons que c’est possible. »

Tout un écosystème lié par une boucle vertueuse

Un projet, trois enjeux. 

Le premier est environnemental et consiste à réintroduire une trame verte sur des sites fortement dégradés. Le projet s’appuie pour cela sur l’expérimentation de terrain mais aussi sur la recherche scientifique autour des nouveaux modes de refertilisation des sols. 1500 m2 de la parcelle y sont d’ailleurs alloués, accueillant notamment « Les Alchimistes » et leur projet de compostage massif de déchets alimentaires.

Le second est social. Car Lil’Ô fait de chacune de ses activités un support d’insertion et de formation de personnes éloignées de l’emploi. Le lieu est aussi, depuis fin 2021, un espace qui se visite et s’explore au gré des événements organisés pour différents publics – ateliers pour les écoles, team building d’entreprises, fresques du climat, visites organisées pour les adultes, marché de Noël, expositions… Lil’Ô est un lieu qui vit et prend soin du vivant.

Le dernier enjeu est économique : Lil’Ô veut instaurer une nouvelle dynamique, construite sur la valorisation de circuits courts, respectueux de l’environnement et créateurs d’emplois d’avenir.

 

Restaurer les sols

Re-fertiliser les sols, comment ça marche ?

Première étape : la stratégie sur Lil’Ô s’est appuyée sur le « faire avec » et « en prenant le temps de » pour travailler et amender les sols en place afin de leur redonner vie et fertilité. Pour les champs de fleurs, il s'est agi de décompacter les sols, de leur apporter régulièrement de la matière organique et de l'argile.

C’est pour changer les pratiques de prédation de terres rurales qu’ont été créés les substrats fertiles (supports de culture au sein desquels les végétaux peuvent se développer), ou « technosols ». Une technique développée sur Lil’Ô par les « Faiseurs de Terres », consortium d’acteurs composé par l’association Halage, le bureau d’études Neo-Eco et l’entreprise Topager. En quoi cela consiste-t-il ? « Il s’agit de valoriser en circuit-court les terres inertes excavées des chantiers, en les mélangeant avec d’autres matériaux – de type compost issu de déchets verts et de déchets organiques, briques et pierres concassées – et en activant la vie du sol pendant plusieurs mois, jusqu’à ce qu’elles donnent de bonnes conditions de culture,  explique Stéphanie Herbé, chargée de projet « Faiseurs de Terre ». C’est une boucle d’économie circulaire. »

En plus d’être utilisés en 2023 dans le cadre de la végétalisation d’un belvédère et d’un chemin de halage sur Lil’Ô, les substrats fertiles sont proposés à la vente depuis 2023, notamment auprès des collectivités.

Que fait-on pousser à Lil’Ô ?

Sur Lil’Ô, 6 000 m2 sont consacrés à l’horticulture, développée par « Fleurs d’Halage ». Le choix des fleurs n’a rien d’anodin. 85% des fleurs coupées vendues en France viennent de loin, engendrant une très mauvaise empreinte carbone. « Un bouquet de roses du Kenya, c’est l’équivalent carbone d’un aller-retour Paris-Londres en avion ! Sans parler des intrants chimiques et des conditions de travail sur place. Il faut changer ces pratiques », explique Julie Haddad, chargée de projet au sein du pôle horticulture urbaine.

Les fleurs ont aussi été choisies pour réhabiliter un sol pollué qui n’était pas compatible avec une activité de maraîchage. « Le problème était l’absence de vie dans les sols, nous avons dû apporter beaucoup de compost, raconte Julie Haddad. La culture de fleurs permet de décompacter le sol et d’y faire revenir la biodiversité. En cinq ans, la transformation est déjà visible. »

Un tiers des fleurs de Lil’Ô (les plus fragiles) sont cultivées sous serre non chauffée, le reste en plein champ. Les espèces de fleurs plantées ont été choisies selon deux critères : les demandes des fleuristes partenaires et l’originalité pour proposer une offre différente de celle de Rungis. 

En 2022, Fleurs d’Halage détenait en culture 80 000 tiges. Un chiffre qui devrait s’élever à 120 000 tiges en 2023. Les fleurs sont vendues en circuit court aux fleuristes membres du collectif « la Fleur française », à des AMAP, aux particuliers, aux entreprises et aux collectivités. 

« De très bons supports d’insertion »

Tous les projets développés sur Lil’Ô ont un indissociable volet social. « Notre projet déploie une ingénierie écologique étayée par la science, couplée à une ingénierie sociale qui part de l’humain », résume Stéphanie Herbé.

“Fleurs d’Halage” fonctionne ainsi en chantiers d’insertion, accueillant et formant des personnes éloignées de l’emploi aux métiers de l’agriculture urbaine. Les salariés sont autant des femmes que des hommes, âgés de 26 à 50 ans, souvent originaires d’autres pays. La diversité de profils et de savoir-faire des uns et des autres vient nourrir le partage de connaissances. 

Les salariés de l’équipe Fleurs travaillent 35 heures par semaine, dont 40% sont dédiées à l’accompagnement, un aspect « très important » souligne Julie Haddad. « La fleur est un support d’insertion qui fonctionne bien , où le taux de sorties dynamiques est supérieur à 80%. Ce sont des métiers valorisants, qui ont du sens, et qui donnent aux salariés un tremplin vers leur vie. » « Fleurs d’Halage » accueille ainsi 17 personnes en insertion sur ses parcelles. Les contrats durent 6 mois, renouvelables jusqu’à deux ans. Certains restent et deviennent encadrants, quand d’autres ambitionnent de monter leur propre ferme florale. « Nos parcours ne les enferment pas dans un seul métier, les possibilités sont plurielles », tient à préciser Julie Haddad.

 

Formation aux nouveaux métiers de l'agriculture urbaine

Nouveaux métiers de l’agriculture urbaine : formation et recherche-action

La dimension sociale du projet passe par l’insertion mais aussi par la formation. Lil’Ô propose une à deux sessions par an pour apprendre les nouveaux métiers de l’agriculture urbaine pendant près de quatre mois. Les stagiaires accueillis – une dizaine de participants à chaque fois – sont des jeunes réorientés, des adultes, des personnes éloignées de l’emploi, adressés par les associations partenaires et les acteurs institutionnels. Si l'objectif principal reste de trouver un emploi, Halage incite également ceux qui le souhaitent à renforcer leurs acquis en les accompagnant vers d’autres formations qualifiantes.

« Apprendre sur un terrain à rénover au contact de personnes en insertion donne à ces métiers une nouvelle dimension, une portée différente », explique Théo Dassonville, assistant chercheur chargé de faire le lien entre Lil’Ô et une équipe de chercheurs. Car le projet sert de laboratoire grandeur nature pour mener une réflexion sur les nouveaux métiers de l’agriculture urbaine, comme collecteur-composteur, horticulteur urbain ou faiseur de terre. « Les chercheurs essayent d’identifier les métiers en transformation et leurs mécanismes de transition. L’aspect très concret de Lil’Ô vient nourrir leurs recherches », ajoute Théo Dassonville. 

Est-ce que le projet Lil’Ô pourrait être reproduit ailleurs ? C’est la volonté de l’association Halage, qui souhaite inspirer d’autres porteurs de projets, à même de répliquer le modèle pour fertiliser les nombreux terrains délaissés du territoire. « Ce que nous souhaitons essaimer, conclut Antoine Cantaloup, c’est notre histoire ! » 

 

 

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