[SEXO] D'Aristophane à la Nobel Leymah Gbowee : histoire de la grève du sexe
S'il est un moyen de pression politique vieux comme le monde, c'est peut-être celui de la grève du sexe. Il y a 2 500 ans, le dramaturge Aristophane relatait déjà l'épopée de l'Athénienne Lysistrata, usant du stratège pour mettre un terme à la guerre du Péloponnèse. Une comédie fictionnelle qui rejoint à présent la réalité. En 2011, la militante Leymah Gbowee était récompensée du prix Nobel de la paix pour avoir contribué à mettre fin à 14 années de guerre civile au Liberia, en incitant ses compatriotes à suivre une grève du sexe. Un outil de militantisme qui soulève toutefois de nombreuses critiques, notamment de la part des féministes.
« Pour arrêter la guerre, refusez-vous à vos maris »
C'est le mot d'ordre imaginé par Lysistrata - littéralement « celle qui délie l'armée », personnage éponyme de la comédie écrite par le dramaturge Aristophane, en 411 avant notre ère. Tandis qu'Athènes et Sparte se livrent une guerre sans merci, l'audacieuse jeune femme va convaincre ses comparses d'initier une grève du sexe. Le mouvement sera ensuite suivi par les femmes des cités alentours jusqu'à ce que les hommes cessent le combat.
S'il n'existe pas de référence historique attestée d'une telle entreprise depuis l'Antiquité, l'idée ingénieuse et un peu licencieuse du célèbre dramaturge fut reprise en 2002 par la militante libérienne Leymah Gbowee. Alors que le Liberia s'enlise dans de nombreuses années de guerre civile, la présidente de l'organisation pacifiste Women of Liberia Mass Action for Peace organise de nombreuses manifestations. Les femmes libériennes de toutes les confessions religieuses vont alors se refuser aux hommes tant que les hostilités se poursuivent. L'initiative sera couronnée de succès, puisque les pressions engendrées vont contraindre le président Charles Taylor à rejoindre la table des négociations. Une action qui sera récompensée, en 2011, par le prix Nobel de la paix pour avoir « mobilisé et organisé les femmes au-delà des lignes de division ethniques et religieuses afin de mettre fin à une longue guerre au Liberia et assurer la participation des femmes aux élections », reconnaît Thorbjoern Jagland, président du comité Nobel.
Grève du sexe... Outil militant des femmes, sert-il vraiment les femmes ?
La plume d'Aristophane met en scène, à de nombreuses reprises, des parcours de femmes qui se révoltent contre la domination masculine. Si les Athéniennes de Lysistrata marchent sur l'Acropole, bastion inconquis par les Amazones dans la mythologie grecque, le dramaturge fait le choix des femmes comme porte-paroles de ses idéaux utopiques de paix et de bonheur. C'est ce qu'exprime également Leymah Gbowee : « Le mouvement pacifiste des femmes Libériennes a démontré au monde [...] que les femmes en situation de meneuses sont des courtiers efficaces en faveur de la paix. »
Si la grève du sexe a depuis fait des émules, notamment en Colombie, aux Philippines, ou plus récemment au Kenya pour encourager les hommes à s'inscrire sur les listes électorales, le sujet divise.
En mai 2017, l'actrice et chanteuse Janelle Monáe encourageait ses consœurs à refuser toute relation sexuelle avec les hommes tant qu'ils ne lutteront pas pour les droits des femmes. Une prise de parole qui a suscité de nombreuses critiques. « La fin de l'oppression des femmes ne proviendra malheureusement pas de la bonne grâce d'hommes en manque de sexe », explique la journaliste américaine Hayley Macmillen, qui souligne aussi un autre problème, sujet de tabou. Les femmes peuvent aussi aimer le sexe, et il n'est pas juste de s'en priver uniquement pour conquérir les droits qui leur sont dus. Faire l'amour n'est pas un cadeau que les femmes font aux hommes, et l'idée peut elle-même venir renforcer les canons hétéronormés de la sexualité ainsi que les dichotomies de genre.