Anne-Claire Pache : « Il faut inciter les organisations à véritablement agir pour atteindre la parité »
À l’occasion du Mois de l’ESS, nous avons décidé de consacrer à la question de l’égalité femmes-hommes une série d’articles. Aujourd’hui, c’est Anne-Claire Pache, chercheuse en innovation sociale et professeure titulaire de la chaire philanthropie de l’ESSEC, qui répond à nos questions.
À peine diplômée de l’ESSEC, en 1994, Anne-Claire Pache cofonde Unis-Cité. Première association d’accueil de jeunes en service civique, elle vise à favoriser l’engagement citoyen et la cohésion sociale. Après avoir codirigé Unis-Cité pendant cinq ans, Anne-Claire Pache se dirige vers une carrière académique.
Munie d’un master en administration publique de Harvard, la chercheuse initie et chapeaute la Chaire Innovation et Entrepreneuriat Social de l’ESSEC en 2001. Un doctorat en comportement organisationnel de l’INSEAD (Institut européen d'administration des affaires) plus tard, elle devient directrice générale adjointe et responsable de la formation initiale de l’école de commerce. Désormais professeure titulaire de la Chaire Philanthropie, Anne-Claire Pache continue ses travaux de recherche autour des organisations à finalité sociale.
À l’occasion du Mois de l’ESS et de notre semaine spéciale égalité femmes-hommes, Anne-Claire Pache revient sur son parcours et nous livre sa vision de la place des femmes dans le secteur des fondations et des associations.
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Dans votre carrière, est-ce qu’être une femme a été un problème ?
Cela n’a jamais été un obstacle en ce qui me concerne. Lors de la création d’Unis-Cité, malgré le fait que nous étions quatre jeunes femmes de 23 ans, nous avons réussi à obtenir les financements nécessaires à l’association et à convaincre un certain nombre d’acteurs publics. Je ne me suis pas non plus sentie discriminée lors des autres étapes de mon parcours. Après Unis-Cité, j’ai pu obtenir des bourses complètes pour accéder à des études à Harvard en gestion et suivre mon envie d’aider d’autres personnes à se lancer dans le domaine. Quand j’ai rejoint l’ESSEC en 2001 pour lancer la Chaire Innovation et Entrepreneuriat Social, je ne me suis pas non plus sentie pénalisée, et quand j’ai terminé ma thèse en 2011, on m’a proposé de développer une nouvelle chaire et de rejoindre l’équipe dirigeante. J’étais la seule femme au comité exécutif, mais mon expérience a été plutôt bonne.
Je suis toutefois bien consciente que mon parcours est plus une exception que la règle. Concrètement, les femmes ont une place prégnante dans le monde académique, mais elles y sont également victimes d’un certain nombre de contraintes et de préjugés.
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À votre avis, pourquoi est-ce que les femmes, largement majoritaires dans l’ESS et en particulier dans les fondations, accèdent si peu aux postes de cadres et de direction ?
Je peux témoigner de ce que j’observe à l’ESSEC des projections des étudiant·e·s, ne serait-ce qu’au niveau de la Chaire Innovation et Entrepreneuriat Social. Elle existe depuis 17 ans, et dispose de 25 places chaque année. Et chaque année, ce sont au minimum les deux tiers des effectifs qui sont des femmes, si ce n’est plus. Cette chaire est pourtant un choix entièrement optionnel, mais peut-être que les femmes ont davantage la volonté d’aider et le besoin de se sentir utiles. L’engagement pour les causes sociétales semble plus spontanément féminin. Il est également intéressant de noter que ce sont des métiers qui paient moins, ce qui semble rebuter les hommes. Dans les cours et cursus de finance, il y a bien plus d’hommes que de femmes.
Leur absence aux postes d’autorité dans les fondations peut s’expliquer par le fait qu’elles s’autorisent moins à envisager des postes à forte responsabilité, ou n’y aspirent pas spontanément. C’est un frein culturel que j’ai également pu constater à mon niveau. J’étais la seule femme au comité exécutif de l’ESSEC avec six hommes. Quand la question du remplacement de l’ancien directeur général Jean-Michel Blanquer (actuellement ministre de l'Éducation nationale et de la jeunesse, NDLR) s’est posée, je n’ai pas du tout eu le réflexe de candidater, contrairement à tous mes collègues du comité.
Ce que l’on constate dans les fondations est encore plus frappant dans le monde associatif. Les statistiques sur les profils des conseils d’administration sont caricaturaux : des hommes blancs, âgés, qui dirigent des équipes associatives composées de bataillons de femmes mal payées. Il y a également un vrai enjeu sur l’accès au pouvoir des femmes dans les CA des associations.
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Comment rendre le secteur égalitaire ?
Le combat pour la parité demande une combinaison de lobbying et d’activisme pour faire entendre et faire prendre conscience du problème. Cela passe par le partage des informations, la collecte des données et la production de statistiques mettant en exergue le caractère sérieux de l’inégalité.
Ensuite, il faut vraiment traiter les deux faces du problème. Tout d’abord, il faut inciter les organisations à véritablement agir pour atteindre la parité. Les encourager à signer des accords égalité, instaurer une grande transparence sur la question des rémunérations et des évolutions professionnelles des femmes… et éventuellement mettre en place des quotas, ou du moins des mesures contraignantes. En parallèle, il y a bien entendu un important enjeu de sensibilisation et de formation des femmes pour qu’elles se projettent dans ces fonctions et s’autorisent à candidater. Cela passe notamment par la visibilisation et la valorisation d’exemples de femmes ayant réussi. Il faut donner la parole à ces femmes, car elles sont des modèles qui vont permettre à d’autres de se projeter dans des postes à haute responsabilité et s’y sentir légitimes.
Propos recueillis par Mélissa Perraudeau