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Par Carenews INFO - Publié le 22 mars 2021 - 15:00 - Mise à jour le 24 mars 2021 - 15:39
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Économie sociale et solidaire : la grande transformation

En quinze ans, le paysage de l’économie sociale et solidaire a fortement évolué à la faveur d’un rajeunissement de ses acteurs, d’une meilleure prise en compte de ses problématiques par les entreprises et les pouvoirs publics ainsi que de l’émergence dans la sphère publique de la figure de « l’entrepreneur social ». Aujourd’hui, tout le monde – ou presque – veut avoir de l’impact, un mot désormais devenu incontournable. La crise de 2020 et ses retombées vont-elles accélérer cette tendance ?

L'ESS et sa grande transformation. Crédits : iStock
L'ESS et sa grande transformation. Crédits : iStock

 

Top 50 de l'entrepreneuriat à impact

Cet article est issu du Top 50 de l’entrepreneuriat à impact. Initié par Carenews, piloté par HAATCH et l'ESSEC et soutenu par BNP Paribas, ce classement dévoile les 50 structures (entreprises, associations, coopératives) les plus impactantes de 2020.

Découvrez le détail du Top 50 et ses lauréats dans le livre de 136 pages qui présente la méthodologie, les critères d'évaluation, les portraits, les chiffres, les analyses et dossiers de fond sur les réseaux de l'ESS ou la mesure d'impact.

 

Et si l’année 2020, avec sa crise de la Covid-19 et ses graves conséquences, avait définitivement propulsé le champ de l’économie sociale et solidaire – en tout cas sa philosophie – dans le monde d’après  ? Un monde où les notions d’impact, de résilience, de solidarité pour ne citer que quelques adjectifs, devenaient la norme et plus seulement l’exception ? Force est de constater en tout cas que les douze mois qui viennent de s’écouler ont accéléré une tendance de fond, celle de vivre une vie avec plus de « sens », plus altruiste aussi, où le profit n’est pas le moteur principal. Mais l’ESS – comme Rome – ne s’est pas faite en un jour… Le décollage a pris une petite quinzaine d’années, d’un paysage où figuraient surtout les acteurs classiques du secteur – associations, fondations, mutuelles, coopératives – à l’essor de l’entrepreneuriat social qui a fait évoluer le secteur.

 

Les années 2000, période cruciale

 

Petit retour en arrière. En 2003, l’ESSEC est pionnière et crée une chaire d’entrepreneuriat social. En 2005, c’est l’organisation internationale Ashoka, créée en Inde en 1980 par l’américain Bill Drayton, qui a popularisé le concept d’«  entrepreneuriat social  » qui s’implante pour la première fois dans l’Hexagone. 

L’objectif  : développer ce type d’entrepreneuriat en sélectionnant les acteurs à plus fort potentiel. Progressivement, le secteur se structure en même temps que de nouveaux acteurs plus jeunes émergent. En 2010, le Mouvement des entrepreneurs sociaux (Mouves) est officiellement créé. Jean-Marc Borello, le patron-fondateur du Groupe SOS qui a contribué à structurer le mouvement, en devient son premier président. 

Progressivement, de nombreuses nouvelles structures voient le jour avec une démarche entrepreneuriale sous-jacente. Pourtant, tout n’est pas facile et subsistent alors des incompréhensions quasi culturelles sur cette figure de l’entrepreneur social, mais aussi le social impact, le social business… « N’êtes vous pas au fond qu’une capitaliste anglo-saxonne ? » est le type de réflexions qu’entendait par exemple à l’époque Cécile Galoselva à son retour en France après plusieurs années d’expatriation au Royaume Uni. La jeune femme, qui occupait le poste de directrice des opérations de la startup Ethical Property, revenait dans l’Hexagone pour fonder ETIC – Foncière responsable, une structure qui crée, finance et gère des espaces dédiés aux acteurs du changement et se souvient encore du manque de compréhension à l’époque. 

Quelques entrepreneurs peu nombreux au départ et souvent issus d’écoles de commerce décident de délaisser les chemins classiques pour créer des sociétés qui veulent allier impact social et rentabilité à l’image de Phenix, spécialisée dans la lutte contre le gaspillage alimentaire et créée en 2014 par deux jeunes trentenaires, Jean Moreau et Baptiste Corval. De nombreux incubateurs, organisations et écoles nouvelles générations émergent. L’objectif est d’embarquer les citoyens dans l’aventure de l’entrepreneuriat social ou de faire émerger les talents de demain avec des mouvements comme makesense dès 2010 ou Ticket for Change lancée en 2014, des structures qui s’ajoutent aux plus anciennes comme l’américaine Enactus lancée dans l’Hexagone en 2002. D’autres encore veulent profiter de la volonté politique de développer le numérique tout en ayant une démarche sociale et tech, à l’image de Simplon. co, lancé en 2013 et devenu un réseau de Fabriques solidaires et inclusives proposant des formations gratuites aux métiers techniques du numérique. 

 

Un soutien politique timide

 

Au niveau politique, les choses évoluent également, quoique timidement. Au printemps 2012, Benoît Hamon devient ministre délégué chargé de l’économie sociale et solidaire après la victoire de François Hollande à la présidence de la République. C’est un coup de projecteur sur ce secteur et le signe d’une volonté politique. « François Hollande est celui qui a sans doute fait le plus, mais il a peu fait », tempère toutefois Aymeric Marmorat, ancien directeur général d’Enactus France, depuis peu à la tête de sa propre structure d’accompagnement Civic Lab. Pour lui, ce sont surtout les collectivités territoriales qui sont motrices du changement au niveau politique. « Le politique peut aider à changer d’échelle, il permet d’amplifier, mais il est rarement à l’initiative  », décrypte-t-il. La même année à Bruxelles, Michel Barnier, qui est alors commissaire européen chargé du marché intérieur et des services, indique que « l’Union européenne veut aider l’entrepreneuriat social à se développer  ».

Deux ans plus tard, Benoît Hamon fait adopter le 31 juillet 2014 la loi relative à l’économie sociale et solidaire qui définit le périmètre du secteur et intègre pour la première fois l’entrepreneuriat social aux autres familles qui composent traditionnellement l’ESS : les mutuelles, les coopératives, les fondations et les associations. Le futur candidat à la présidentielle de 2017 définit aussi pour la première fois la notion de subvention. Cinq ans plus tard, c’est sous le gouvernement du juppéiste Édouard Philippe que la loi « PACTE » (plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) offre aux entreprises la possibilité d’inscrire une « raison d’être ». Un vrai symbole.

 

Changement générationnel

Aujourd’hui, nombre de jeunes diplômés de grandes écoles veulent rejoindre ce secteur pour avoir un métier avec plus de «  sens  », une vraie évolution d’une génération à l’autre. Arnaud Mourot d’Ashoka, diplômé de l’ESCP Europe il y a vingt ans, ironise : « À mon époque, nous étions quatre de ma promotion sur quatre-cents à vouloir nous orienter dans ce secteur, désormais c’est 20 à 25 % d’une promo. » Aujourd’hui, certains lancent même leur structure pendant leurs études, à l’image de Solinum, l’association fondée par Victoria Mandefield pendant ses études d’ingénieure, qui vient en aide aux précaires et exclus. Idem pour Théo Scubla qui a cofondé en 2015 Wintegreat – devenu each One – qui vient en aide aux réfugiés, alors qu’il avait seulement 20 ans ! 

Ce rajeunissement suscite également la fascination de certaines personnalités historiques du secteur. « Il y a une génération qui n’est plus une génération qui se lève par injustice, mais elle se lève par compétence. C’est la différence avec la génération d’avant qui venait d’une éducation populaire et civique, de vision de la société  », raconte ainsi François Marty, président de la Foncière Chênelet qui vient en aide aux plus démunis à travers des maisons écologiques. Ce patron atypique de 66 ans, dont quatre décennies de militantisme, se dit « émerveillé de voir tous ces jeunes gens qui vont nous doubler ». Pourtant, Thierry Sibieude, professeur à l’ESSEC où il a cofondé en 2003 la chaire d’Innovation et entrepreneuriat social, met en garde quant à un éventuel clash générationnel : « Ce à quoi il faut être attentif, c’est que les uns – les historiques – ne voient pas les nouveaux comme des usurpateurs. Et que les nouveaux ne considèrent pas qu’ils sont le Nouveau Monde et qu’enfin avec eux les choses vont changer... »

2020, année charnière ? En tout cas, la crise de la Covid-19 n’épargne ni la santé de la population, ni celle des entreprises et encore moins celles issues de l’ESS, dont les modèles économiques sont pour certaines fragiles et qui se retrouvent en difficulté. Le gouvernement, qui a fait entrer cet été la députée LREM Olivia Grégoire au nouveau secrétariat d’État, promet 1,3 milliard d’euros à la rentrée au secteur associatif dans le cadre du plan de relance de 100 milliards annoncé par le Premier ministre Jean Castex.

 

Quand le secteur ESSAIE DE « peser »

Mais en même temps, la crise révèle l’importance des thèmes portés par l’ESS depuis de longues années. 2020 est aussi celle des dix ans du Mouves, un anniversaire qui est l’occasion de rebattre les cartes. L’état-major est renouvelé avec comme nouveaux coprésidents Jean Moreau et Éva Sadoun, la fondatrice de LITA.co. La structure se rebaptise le Mouvement IMPACT France. L’objectif est de fédérer davantage, de peser sur le débat public et de représenter une alternative face au puissant Medef. 

La deuxième édition des « Universités d’Été de l’Économie de Demain » qui se tient à l’été 2020 insiste encore sur le rôle de ses acteurs à l’heure de la crise en rappelant l’importance du collectif #NousSommesDemain créé en 2018. Il faut dire que le nombre d’entreprises et structures de l’économie sociale et solidaire est désormais de 200 000 entreprises et compte 2,38 millions de salariés, soit près de 14 % des emplois privés en France ! 

 

La crise et la notion d’impact

 

Plusieurs acteurs reconnaissent en outre être vigilants sur l’utilisation du terme « impact » désormais repris partout, parfois seulement par opportunisme, par bon nombre d’entreprises avec une dérive possible autour du «  greenwashing  » ou «  social washing  ». « On commence à avoir des difficultés à trouver des projets de changement systémiques  », reconnaît Arnaud Mourot au sujet du recrutement de Fellows d’Ashoka. « Le défi est de montrer qu’on peut rester vertueux en restant petit », estime pour sa part Cécile Galoselva d’ETIC. Le cofondateur de Simplon.co, Frédéric Bardeau, veut pour sa part « faire grossir l’impact de Simplon.co sans faire grossir Simplon.co ». L’ESS jouera-t-elle un rôle majeur dans le monde post-Covid ? « La crise a en tout cas augmenté considérablement la prise de conscience des limites de notre modèle actuel et de la vulnérabilité de notre société, indique le VP - Global Corporate Alliances and Changemaker Companies d’Ashoka. Je pense que ceux qui seront capables de montrer que les modèles de l’ESS peuvent être plus résilients auront une belle opportunité. L’ESS peut être un poisson-pilote de ce mouvement-là  », veut-il croire. Une opinion proche de celle d’Aymeric Marmorat de Civic Lab qui estime que s’il est trop tôt pour faire le bilan de cette crise, l’ESS et ses valeurs « peuvent être un idéal à atteindre ». 

 

 

Dates clés de l'ESS

19 FÉVRIER 2001 : La loi sur l’épargne salariale, dite la loi Fabius, rend obligatoire la présence d’au moins un fonds commun de placement d’entreprise solidaire (FCPES) pour les salariés, dans le cadre de leur Plan d’épargne retraite collectif (PERCO).

4 AOÛT 2008 : La loi de modernisation de l’économie (LME), applicable au 1er janvier 2010, prolonge l’obligation de présentation d’au moins un fonds solidaire dans tous les dispositifs de plan d’épargne entreprise (PEE) et interentreprises (PEI).»

2012-2013 : Le commissaire européen Michel Barnier évoque la nécessité d’aider l’ESS. 

31 JUILLET 2014 : Loi relative à l’économie sociale et solidaire.

2017 : Le Lillois Christophe Itier, soutien précoce d’Emmanuel Macron, est nommé Haut-commissaire à l’Économie sociale et solidaire et à l’innovation sociale. Il sera remercié en octobre 2020.

22 MAI 2019 : Adoption de la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite PACTE qui permet notamment aux entreprises d’inscrire une « raison d’être ».

26 JUILLET 2020 : La députée LREM Olivia Grégoire intègre le gouvernement en tant que secrétaire d’État chargée de l’Économie sociale, solidaire et responsable tandis que Sarah El Haïry, notamment co-autrice du rapport La philanthropie à la française, est nommée secrétaire d’État à la jeunesse et à l’engagement.

SEPTEMBRE 2020 : Jean Castex annonce un plan de relance de 100 milliards d’euros, dont 1,3 milliard consacré au secteur de l’ESS. 

 

Pierre-Anthony Canovas

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