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Par Carenews INFO - Publié le 4 février 2021 - 08:00 - Mise à jour le 4 février 2021 - 14:23
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Kakpotia Marie-Claire Moraldo (Les Orchidées Rouges) : « C’est très important de rendre ces femmes actrices du changement qui doit s’opérer dans leur vie »

Rencontre avec la fondatrice de l’association Les Orchidées Rouges, Kakpotia Marie-Claire Moraldo, lauréate du Global Woman Award 2018. Elle avait reçu le Prix de l'initiative de la ville de Bordeaux en 2017 pour son association qui accompagne des mineures et des femmes victimes de mutilations sexuelles, de mariage forcé ou précoce.

Kakpotia Marie-Claire Moraldo, fondatrice de l'association Les Orchidées Rouges. Crédit : Média Photo Bordeaux
Kakpotia Marie-Claire Moraldo, fondatrice de l'association Les Orchidées Rouges. Crédit : Média Photo Bordeaux

 

À l’occasion de la Journée internationale de lutte contre les mutilations sexuelles féminines, ce 6 février, nous avons voulu en savoir plus sur ce sujet peu médiatisé en rencontrant Kakpotia Marie-Claire Moraldo, franco-ivoirienne, fondatrice de l’association Les Orchidées Rouges, qui oeuvre pour l'accompagnement des femmes et jeunes filles victimes de mutilations génitales. En France, les autorités médicales estiment à 125 000 le nombre de femmes excisées vivant dans le pays.  En septembre dernier, c'est l'institut régional Les Orchidées Rouges, porté par l'association éponyme, qui a ouvert à Bordeaux, proposant une prise en charge multidisciplinaire de femmes et jeunes filles, à l’initiative de la Franco-Ivoirienne. 

 

  • Pouvez-vous me présenter votre association ? 

L’association a été créée en mars 2017, elle est née de ma propre histoire. J’ai subi une excision à l’âge de neuf ans et cela a eu des conséquences sur ma vie de femme adulte. En décembre 2016, j’ai décidé de me reconstruire. J’ai ressenti un tel bien-être que je me suis dit que je ne pouvais pas rester sans rien faire pour les autres femmes. Dans mon processus de reconstruction, je me suis aperçue qu’il n’y avait aucune structure d’accompagnement des victimes d’excision ni de structures de lutte contre cette pratique en Aquitaine. J’ai dû aller à Paris. C’est ainsi que j’ai créé l’association. 

Puis nous avons obtenu le Prix de l'initiative de la ville de Bordeaux en 2017. Et l’année d’après, j’étais lauréate du Global Woman Award 2018 décerné par la Fondation Global Woman Peace à Washington D.C., dans la catégorie « survivante activiste ». J’aime bien ce mot de survivante. Il symbolise tout à fait ce que vivent ces femmes. Ces prix sont vraiment importants pour l’association, cela valorise notamment les actions que nous menons, il y a une reconnaissance des institutions qui nous soutiennent et cela crédibilise la cause comme faisant partie intégrante des violences faites aux femmes. Beaucoup pensent d’ailleurs que c’est une problématique qui ne concerne pas la France, qui se passe loin d’ici. 

 

  • Pourquoi avoir ouvert un institut régional en septembre dernier ? 

L’institut régional Les Orchidées Rouges holistique est entièrement dédié à la prise en charge des femmes, dans tous ses aspects. Psychologues, infirmiers, médecins généralistes, gynécologues, chirurgiens, avocats, assistantes sociales, gynécologues, chirurgiens… une équipe pluridisciplinaire de 25 professionnels de santé peut véritablement accompagner les femmes. Il y a trois psychologues, dont l'une est bénévole et les deux autres salariés. Tous les médecins sont bénévoles. Près de 35 % de l’équipe est salariée et le reste est bénévole.

Nous proposons également des ateliers de danse, de sophrologie, de l’art-thérapie, ainsi que de la lecture théâtrale par les femmes victimes au sujet de la problématique de l’excision. 

Les femmes sont vraiment accueillies et accompagnées en un seul lieu grâce à l’institut. C’est très important de co-construire le parcours avec elles, cela rend ces femmes actrices du changement qui doit s’opérer dans leur vie.  

 

 

  • Pourquoi avoir choisi le nom Les Orchidées Rouges ? 

Quand je me suis reconstruite, j’ai dit à une amie, « ma reconstruction, c’est comme une fleur que l’on coupe et qui repousse de plus belle ». Et du coup, quand j’ai créé l’association, mon amie m’a rappelé que j’avais mentionné cette idée d’une fleur qui repousse. Et quand j’ai regardé la symbolique des fleurs, j’ai trouvé l’orchidée rouge, le symbole de l’acte d’amour, « le désir ardent de faire l’amour ». Et comme dans les pratiques de mutilations, il y a cette idée de contrôler la sexualité des femmes, j’ai voulu appeler l’association Les Orchidées Rouges pour exprimer le fait que les femmes ont le droit d’avoir du désir et du plaisir sexuel. Mais ce n’est pas tout. Il se trouve non seulement que l'orchidée ressemble à une vulve féminine, mais le mot grec « orchis » signifie « testicule ». Je me suis dit que je ne pouvais pas l’appeler autrement. 

 

  • Quelles sont les missions de l'association ?

Les principales missions de l'association se composent de trois grands axes : de l’information et de la sensibilisation par des conférences auprès du grand public, des ateliers ouverts et des actions de terrain, de la prévention auprès des communautés et de la formation auprès de professionnels de santé, de travailleurs sociaux et de bénévoles d'associations. 

Nous proposons, depuis l’ouverture de l'institut, un accompagnement holistique auprès de femmes et de filles mineures qui ont vécu des mutilations sexuelles féminines, des mariages forcés ou précoces. C’est un accompagnement sur l’intégralité des violences qu’elles ont subies. En moyenne, une femme mutilée peut cumuler jusqu’à quatre types de violences : excision, mariage forcé ou précoce, violences conjugales et violences politiques et économiques. C’est vraiment une reconstruction physique et psychologique, une réappropriation de leur corps et le développement de leur pouvoir d’agir, qui passent par l’insertion ou la réinsertion professionnelle et sociale.

La Nouvelle-Aquitaine est l’une des quatre régions où il y a le plus de femmes mutilées, après l'Île-de-France, la région PACA et la région Rhône-Alpes. Nous avons comme objectif d’accompagner 300 femmes par an. Aujourd’hui, nous suivons 126 femmes. Environ 70 % des femmes consultent pour une demande de reconstruction. Et 30 % sont des mamans qui veulent protéger leur enfant. Ce chiffre a augmenté depuis que l’association est connue. 

 

  • Comment les femmes sont-elles prises en charge à l'institut ?

Les femmes qui nous contactent sont d'origines variées, comme l’Afrique Sub-saharienne, les pays de l’Est, le Maghreb. Mais c’est un fléau mondial qui touche également les femmes d’Asie, du Moyen-Orient, les Kurdes d’Irak, en Thaïlande, etc. 

Nous avons beaucoup de structures partenaires prescriptives qui nous envoient des femmes. Au CHU de Bordeaux, par exemple, la maternité et la gynécologie nous conseillent auprès des femmes. D’autres nous contactent via les réseaux sociaux, prennent rendez-vous directement. Cela peut être la structure de santé qui nous appelle pour nous parler d’une femme en particulier, ou alors des travailleurs sociaux au sein de centres d’accueil de demande de réfugiés qui ont identifié des femmes avec ce genre de profil. 

 

  • Quels ont été les impacts de la crise sanitaire de l'année dernière ? 

En mars dernier, nous avons eu un arrêt total de nos activités physiques pendant les trois premières semaines. C’était terrible. L’impact de la crise a été conséquent. On a vu à quel point les personnes fragiles étaient dans une précarité encore plus profonde. Nous avons maintenu un lien téléphonique avec les femmes, mais au fil du temps, nous nous sommes aperçus que les femmes n’avaient pas de quoi manger, pas de crédit pour téléphoner, ni aller sur Internet. Elles étaient totalement isolées.

J’ai contacté la Fondation des Femmes et la ville de Bordeaux, nous avons eu un soutien financier. Pendant tout le premier confinement, notre association est restée mobilisée pour distribuer à toutes les femmes de la métropole de Bordeaux des produits de première nécessité pour elles et leurs enfants. Nous avons aussi remédié à la précarité numérique grâce à un partenariat avec Emmaüs Connect qui a pu mettre à disposition des femmes des smartphones. Sinon elles étaient coupées de tout. Beaucoup d'entre elles étaient dans une situation difficile, en souffrance psychologique, certaines sont tombées en dépression d’ailleurs. Nous avons pu les soutenir, les thérapeutes de l’institut ont pu faire des entretiens par visio pour rompre leur solitude et les accompagner moralement.  

Lors du deuxième confinement, nous avons réussi à garder les rendez-vous médicaux individuels uniquement, mais pas les ateliers collectifs. Et cela a un impact fort sur ces femmes qui sont très seules. Toutes les activités de liens sociaux ont été coupées. Les groupes de paroles ou autres cours collectifs ne sont plus autorisés, et ces femmes ont besoin de ces moments pour tisser des liens sociaux. 

 

  • Quels sont vos projets à venir ?

Nous avons un projet d’essaimage dans certaines villes de France où il n’y a rien du tout sur cette problématique. En tant qu'institut régional, nous avons très envie d’aller proposer nos ateliers dans les territoires de la Nouvelle-Aquitaine, notamment dans les grandes villes, comme La Rochelle, Périgueux, Niort, etc. Cela se met en place actuellement avec les différents partenaires que nous avons déjà contactés. Et nous avons un autre projet, l’ouverture d’un centre d’écoute et d'accompagnement de femmes et d’enfants en Côte d’Ivoire. Je sais que les femmes qui sont là-bas n’ont aucun accompagnement. À chaque fois que je fais une intervention au lycée, les adolescentes viennent me voir et me parlent de leur douleur quand elles vont aux toilettes, par exemple, et de la peur d’en parler dans leurs familles. C’est important d’agir en parallèle en Afrique sur ce sujet. On a commencé à sensibiliser dans les écoles, sans avoir réellement d'institut, mais nous avons des bureaux. Je pense qu’il faut créer des ponts entre la France et les différents pays d’Afrique qui pratiquent l’excision, pour au final, éradiquer ce fléau. L’excision a existé en Europe, il y a longtemps. C’est une tradition, certes, dans certains pays, mais il faut aller sur le terrain pour mieux comprendre pourquoi cette pratique est encore si répandue, les gens ne se posent pas de questions. Il faut aussi favoriser l’éducation des filles et des garçons, et faire de la sensibilisation. C’est très important. Mais également promouvoir l’émancipation économique des femmes et favoriser l'entrepreneuriat féminin en finançant des projets. 

 

Christina Diego 

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