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Par Carenews PRO - Publié le 2 décembre 2019 - 14:33 - Mise à jour le 2 décembre 2019 - 15:51
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Retour sur les 15 ans de l'EVPA à La Haye

Les 6 et 7 novembre, la European Venture Philanthropy Association (EVPA) organisait à La Haye la 15e édition de son sommet annuel. L’occasion pour les fonds et les fondations, mais aussi les investisseurs à impact de discuter des dernières tendances, des enjeux et de leurs difficultés en Europe.

Crédit photo : EVPA.
Crédit photo : EVPA.

Ah, le sommet annuel de l’EVPA. L’événement auquel tout acteur de la philanthropie se doit d’être présent, à fortiori quand il s’intéresse aux enjeux européens de l’intérêt général. Pourquoi ? Parce que depuis 15 ans, l’association européenne des « capital risqueurs » de l’investissement à impact et du don recense et dessine les tendances et les méthodologies du secteur. Il faut dire que ce réseau d’acteurs aux intérêts convergents, mais aux profils et aux nationalités variés est particulièrement efficace et productif. Cette édition anniversaire de leur sommet désormais « institutionnalisé » était l’occasion de l’illustrer, avec le développement d’un écosystème local d’impact par la ville de la Haye (l’Impact Fest s’est tenu le 5 novembre en partenariat avec l’EVPA), mais aussi de revenir sur la raison d’être et les grandes étapes de l’association.

15 années de plaidoyer pour l’investissement à impact

Début novembre, nous étions environ 750 experts de l’impact au lancement de la 15e conférence annuelle de l'EVPA, à La Haye, avec des invités de marque comme la Reine Máxima Zorreguieta des Pays-Bas ou Johan Remkes, le maire de notre cité d’accueil. Sa Majesté a brillé par sa grande modestie, laissant la vedette aux quatre des cinq fondateurs invités pour cette célébration à revenir sur le parcours de l’organisation depuis sa création, puis à son sémillant directeur Steve Serneels, à qui revenait le rôle de présenter les enjeux et perspectives.

L’histoire de l’EVPA commence en 2004 avec 13 membres (ce qui me donne beaucoup d’espoir pour l’avenir du SOGA, l’association européenne que j’ai moi-même cofondée il y a 18 mois). À l’époque, « il n’était pas du tout évident que le monde allait se tourner vers l’impact » déclare Filipe Santos, co-fondateur et doyen de l’Université catholique de Lisbonne, dans leur leur film anniversaire. En 2005, 135 personnes de 14 pays participent au premier sommet de l’EVPA. Trois ans plus tard, l’association compte déjà 105 adhérents.

Ce n’est qu’en 2013 que les publications pratiques sur l’évaluation d’impact paraissent (elles se sont multipliées depuis). En faisant écosystème, l’association permet de cartographier les besoins, les ressources et les méthodologies qui y répondent, contribuant ainsi à professionnaliser tout un secteur allant de l’investissement à la philanthropie familiale en passant par l’engagement des entreprises (initiative lancée en 2016). Elle alimente les visions stratégiques des organisations tout en incitant à l’action collective et à la formation (académie lancée en 2017). 

Une collaboration avec la Commission européenne

L’EVPA a également réussi le tour de force de transformer la philanthropie et plus largement le financement à impact en interlocuteur pour les institutions européennes. Depuis 2014, l’EVPA travaille officiellement avec la Commission, un partenariat renouvelé en 2018. Elle fédère aujourd’hui 310 membres dans toute l’Europe. Mais son aura la dépasse. Alors qu’on compare souvent négativement la philanthropie européenne à l’américaine, l’EVPA a inspiré la création de petites sœurs continentales : la Asian Venture Philanthropy association a vu le jour en 2011 et la African Venture Philanthropy association en 2018. A noter également : pour la première fois, un grand acteur français et public du financement de l’intérêt général était partenaire de l’évènement. La Banque des territoires était ainsi multireprésentée. Un autre signal fort de convergence des forces.

Quid des perspectives ? « Le changement s’accélère », a rappelé Steven Serneels. « La venture philanthropy et l’impact investing sont devenus mainstream. Mais nous devons prendre nos responsabilités, et toujours rester humbles. Aujourd’hui, nous devons investir dans les infrastructures et les organisations, c'est moins sexy, mais c’est crucial ».  Une prise de recul importante pour une philanthropie encore essentiellement orientée vers les projets, et trop peu sur l’accompagnement au changement et la transition numérique (mais aussi démocratique, humaine, écologique) des organisations bénéficiaires. Un de mes chevaux de bataille, et il fut plutôt agréable de découvrir que ce sujet avance au sein de l’« élite » de la philanthropie européenne. 

Les axes d’innovation des fondations

Cette dernière réflexion est magnifiquement entrée en résonance avec mon premier workshop. Car ce qu’il y a de formidable à l’EVPA, c’est que l’on peut partager les connaissances et les visions tout en apportant un vrai regard critique. Sur le thème « principes de leadership pour un meilleur impact », Julia Osterreich de Wider sense et Stéphanie Petrick de Phineo, deux cabinets de conseil et de recherche à Berlin, ont présenté les conclusions de leur étude sur les idées de fondations (allemandes) pour le futur. À l’instar des organisations interrogées au cours de cette recherche, nous étions invités à réfléchir en collectif à la question suivante : « de quel type de compétences et de pratiques de leadership les investisseurs à impact et les venture philanthropes ont-ils besoin pour établir des relations efficaces avec les bénéficiaires de l'investissement et s'attaquer durablement aux défis sociétaux complexes ? ». Chic, en plein dans les sujets et méthodes que je porte avec Génération2.

Les réponses ont été résumées en neuf grands principes, spécifiquement adressés à leurs dirigeants. D’abord, la diversité dans la gouvernance et démocratie interne (1), associée à des principes de partage du pouvoir (2) et d’écoute active des besoins (3). Voilà les sujets qui ont majoritairement occupé les débats, animés par Nienke Venema, directrice de la Schitfting Democratie en Media Fundation (Pays-Bas). Des principes dont sont encore assez éloignées les fondations en France, me semble-t-il. Nienke n’a pas manqué de tancer vertement les pratiques « non démocratiques » des fondations, avec la plus grande légitimité (c’est sa thématique et elle est ancienne bénéficiaire de la fondation qu’elle dirige aujourd’hui). Exemplaire, elle a aussi souligné ses propres erreurs de parcours. 

Sur les sujets de représentativité des parties prenantes dans la gouvernance, elle a trouvé des alliées avec les deux cofondatrices de l’African Venture philanthropy association. Le second sujet à avoir animé la discussion, tout en faisant consensus, fut celui de la transparence, dont on a bien mesuré récemment toute l’importance par chez nous (suivez la Cour des comptes). Les autres axes mentionnés par l’étude n’ont eux pas fait débat : la pratique d’une intelligence collective via des partenariats et réseaux (l’EVPA est un bon exemple), l’innovation dans la réponse aux besoins des bénéficiaires, le droit à l’erreur et à l’expérimentation (le fameux risque des capital-risqueurs), un soutien durable et pérenne et pas uniquement financier.

Qu’est-ce que l’impact ?

Il fallait bien un caillou dans mon sabot hollandais. Galvanisée par la stimulation intellectuelle et les belles rencontres de mon workshop précédent, je me rendis, confiante, à la petite conférence de presse organisée avec les dirigeants de l’EVPA. Steven et Filipe étaient là, accompagnés en parité de Leslie Johnston, Membre du board de la Fondation C&A Suisse et Celia Tennant d’Inspiring Scotland

Une conversation totalement phagocytée par une dame qui représentait je ne sais quel média, mais aurait tout aussi bien pu travailler pour un magazine féminin people. Cela a démarré fort. « L’entrepreneur à impact représente-t-il (elle?) le nouveau sexy ? » a-t-elle demandé sans fard. Cela m’a rappelé l’époque où, petites folles que nous étions, nous avions imaginé un calendrier des dieux de l’ESS avec une bande de copines. Fort heureusement, les interviewés ont, avec beaucoup de sérieux, décrypté l’effet de mode autour de l’« impact ».

Pourquoi tout le monde parle-t-il d’impact ? L’impact n’implique pas forcément de  bénéfice social ! « Parce que tout est en train de converger et qu’il faut un terme plus large. Aller vers l’impact, c’est d’abord comprendre pour quelle cause vous voulez faire quelque chose et comment faire pour obtenir les meilleurs résultats avec les moyens investis. C’est une démarche de tous les acteurs du financement de l’intérêt général, public comme privés » a rappelé Filipe Santos. Pour autant, pondérait Steven Serneels « tous les acteurs ne sont pas orientés vers l’impact et, s’il faut que tous contribuent à améliorer le monde, nous devons avant tout rester authentiques. Je pense que dans le monde des affaires, 20 % des entreprises sont vraiment prêtes à inclure l'impact dans leurs activités. »

Une monoculture de l’investissement

Mais cette (mono)culture de l’investissement et du ROI qui se diffuse dans tout le tiers secteur n’est-elle pas finalement mortifère ? En particulier, pour toutes les associations qui n’ont absolument pas vocation à développer un « business model», mais à organiser l’action citoyenne, réfléchir, venir en aide aux plus précaires… Cette question qui me faisait trépigner depuis l’ouverture a trouvé une réponse très spontanée. Comme souvent, le courage nous est venu d’Ecosse, grâce à Celia Tennant : 

On ne peut pas toujours transformer un projet en marché ; il faut des subventions. La philanthropie vient aussi réparer les échecs du marché, elle est nécessaire pour combler le fossé des inégalités, rétablir l’accès de tous à l'éducation, plaider pour les droits, le changement climatique. Nous avons besoin d'une véritable biodiversité d'organisations en Europe. La question n’est pas de savoir si toutes les organisations de l’intérêt général doivent devenir des entreprises, mais plutôt de convaincre les financeurs qu’elles sont capables de faire beaucoup avec les fonds qui leur sont accordés. C’est ça l’enjeu : comment l'EVPA relève ce défi ? Comment pourrions-nous construire une chaîne de valeurs plus claire pour soutenir cet écosystème ? Comment faire changer d’échelle le financement des acteurs de changement ?

Une partie de la réponse réside justement dans la complémentarité des acteurs qui convergent vers des objectifs communs. « En Inde, la Fondation C&A finance des essais sur la transition des agriculteurs locaux vers le coton biologique » soulignait  Leslie Johnston. « La philanthropie peut financer l'expérimentation et prendre le risque pour que l'État prenne ensuite le relais. » Steven renchérit « Il n’y a pas d'autres façons de passer à l'échelle supérieure. Si le tableau d'ensemble ne change pas, c'est inutile. L'innovation publique doit également être mise dans le champ d'application. »

Je n’ai pas réellement pu poser ma dernière question, qui tournait autour des opportunités du big data pour la philanthropie et du soutien au développement des compétences pour l’intérêt général. Mais Filipe en a devancé une partie : « Les nouvelles technologies permettent de réduire les coûts, d'accroître l'efficacité et mieux mesurer l’impact. Dans certains cas, vous pouvez créer des modèles collaboratifs à fort impact avec des volontaires, des compétences et un modèle purement philanthropique pour couvrir le fonctionnement. C’est le modèle Wikipédia ». La philanthropie, un contre-modèle ?

Un véritable lieu d’intelligence collective

Que retenir de ce sommet de l’EVPA, qui fut mon premier et sûrement pas le dernier ? C’est un formidable espace de partage et de débat pour les professionnels du secteur. Un vrai lieu d’intelligence collective. Un rendez-vous qui permet de repartir bien plus armé et renforcé qu’on est arrivé. Car oui, pour moi, l’intérêt général reste un sacerdoce et il faut une grande dose de conviction (pour ne pas dire de foi) mais aussi de méthode, de soutien professionnel, pour avancer. L’EVPA porte une vision, et produit indéniablement un impact. En partant, je repensais à Nienke qui porte en étendard le principe de diversité et de représentativité démocratique. Et de fait, où étaient les organisations bénéficiaires ? Et spécifiquement celles qui se sentent menacées par cette culture de l’impact, alors qu’elles remplissent des fonctions sociales essentielles ? Elles auraient mérité d’être intégrées au débat. C’est peut-être cette touche démocratique qui manque encore à l’EVPA. Un point d’amélioration pour l’édition 2020 ?

Jeanne Bretécher 

 

 

* Fondatrice et Directrice associée de Génération2, une coopérative de conseil en mécénat d’entreprise et en accompagnement des démarches d’innovation sociale, Jeanne Bretécher est également présidente de Social Good Accelerator.

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