Médicaments contre les cancers pédiatriques : la proposition de loi de Marie Récalde
Alors que la France dispose d'un système de santé de bonne qualité, les enfants atteints de certaines maladies graves ont des chances de guérison faibles, voire nulles. C'est particulièrement le cas pour certains cancers pédiatriques, qui emportent 500 enfants par an en France. Les chercheurs disposent, depuis quelques années, de moyens dédiés et leurs découvertes sont prometteuses. Malheureusement, les grands industriels du médicament ne se mobilisent que très peu pour l'enfant. Cette problématique a motivé l’engagement de la députée de la Gironde Marie Recalde, qui présente durant Septembre en or, mois de sensibilisation aux cancers de l'enfant, une proposition de loi très forte coconstruite avec la fédération Grandir Sans Cancer et Eva pour la vie pour accélérer le développement des médicaments pédiatriques ...

Marie Récalde, vous êtes avocate de formation et députée socialiste de la Gironde. Ces derniers mois, vous avez décidé de vous impliquer dans la lutte contre les cancers et maladies graves de l’enfant ? Pourquoi un tel choix ?
"Si, comme tout un chacun, j’ai toujours été sensible aux enjeux liés à la jeunesse et aux difficultés rencontrées lorsque la maladie touche les enfants, ma rencontre avec l’association Eva pour la Vie a été déterminante. Comprendre leurs combats, leurs actions et leurs parcours de vie a été une expérience très forte. C’est aussi, et surtout, pour des rencontres si déterminantes, que je suis heureuse d’être députée. C’est donc naturellement que j’ai souhaité porter leurs revendications, d’abord lors du budget 2025, puis en portant un texte, déjà mûrement abouti et qui n’attendait qu’à être défendu à l’Assemblée nationale. Personne ne peut être insensible au sort des enfants touchés par des maladies graves ou des cancers. Mais tout le monde n’a pas le pouvoir ou l’opportunité de pouvoir les aider. A leur échelle, Eva pour la Vie, ainsi que beaucoup d’associations, font leur possible pour accompagner les malades et leurs proches. Or, si la maladie fait partie injustement de la vie, une autre injuste touche plus durement les enfants touchés de cancers ou de maladies graves : le financement de la recherche n’est pas à la hauteur des enjeux et l’accès à un remède est donc inéquitable."
Vous avez déposé une proposition de loi visant à créer un fonds d’investissement visant à développer de nouveaux traitements contre les cancers et maladies graves de l’enfant. Pouvez-vous nous la décrire ? Quelles avancées permettrait-elle d’offrir sur le court et le moyen terme ?
"Jusqu'à aujourd’hui, seules des mesures incitatives ont été mises en place pour accélérer la recherche dans les maladies rares touchant les enfants. Nous constatons cependant que seules les recherches dans les domaines où les besoins des patients adultes et pédiatriques coïncident progressent. Nous constatons une véritable réticence des industriels du médicament concernant les traitements spécifiquement pédiatriques, qui ne sont de fait pas des investissements importants ou rapides.
C’est pourquoi il est nécessaire de créer un fonds d’investissement public visant à permettre le développement de startups françaises du médicament pédiatrique, en priorisant les cancers et les pathologies de mauvais diagnostics. Cette mesure est à la fois humaine et cohérente, au niveau économique et sanitaire. A ce jour, il faut attendre qu’un traitement soit développé pour l’adulte en espérant qu’il ait aussi un effet sur l’enfant : ce n’est plus tolérable.
A l’inverse, il serait probable que les recherches et traitements développés pour améliorer la santé de l’enfant profitent également aux adultes. Afin de financer ce fonds d’investissement, nous créons une taxe prélevée sur le chiffre d'affaires des laboratoires pharmaceutiques assurant l’exploitation de médicaments remboursés par l’assurance maladie. Les fruits de la taxe propriété de l’Etat seraient affectés à un fonds d’investissement dont la gestion serait pilotée par BPI France. Cette dernière aurait comme mission de financer le développement d'entreprises françaises destinées à trouver des solutions thérapeutiques contre les cancers, les maladies rares et les maladies orphelines de l’enfant. Il s’agit donc aussi d’une réponse à la demande de souveraineté sanitaire et de réindustrialisation du pays, en encourageant la recherche scientifique française.
L'industrie pharmaceutique est aujourd'hui l'un des secteurs clés de l'économie française avec un chiffre d'affaires de 62,1 milliards d'euros en 2022. Au vu de ce résultat, mettre en place une contribution de 0,15% dédiée à la mission exposée permettrait de lever plus de 70 millions d’euros par an en faveur de ce fonds d’investissement. Compte tenu des marges nette s réalisées sur les médicaments, cette demande ne mettrait en aucun cas en danger l’industrie pharmaceutique. Il serait exclu de l’assiette de cette contribution, sous certaines conditions, le chiffre d’affaires des médicaments génériques, orphelins ou dérivés du sang respectant certains principes. "
Comment cette proposition de loi a-t-elle été accueillie par les parlementaires ? Considérez-vous cette proposition comme de gauche ou à l’inverse, souhaitez-vous qu’elle soit transpartisane ?
"Ce sujet touche chacun et chacune d’entre nous, qu’importe nos appartenances politiques et c’est pourquoi j’ai souhaité le proposer à cosignature à tous les groupes parlementaires appartenant à l’arc républicain. Il ne s’agit pas d'œuvrer au bénéfice de son groupe, mais de mettre nos divergences idéologiques de côté quand il s’agit de la santé de nos enfants. Le texte est donc soutenu par des hommes et des femmes issus de la gauche, du centre et de la droite. J’espère que nous continuerons à obtenir de nouveaux soutiens à l’avenir pour assurer le vote de ce texte, à l’Assemblée nationale et au Sénat.
Stéphane Vedrenne, vous êtes cofondateur d’Eva pour la vie et président de la fédération Grandir Sans Cancer, qui rassemble une centaine d’association, de nombreux chercheurs, médecins et professionnels. Comment ces derniers ont-ils accueilli cette proposition de loi ?
"Avec soulagement, et beaucoup d’espoir. Ces dernières années, nous nous sommes battus sur les aspects sociaux, afin que les parents d’enfants atteints de cancers, de maladies graves et de handicaps, puissent accompagner dignement leur enfant. Nous avons aussi obtenu, fin 2018, que la recherche sur les cancers pédiatriques bénéficie d’un financement dédié. Les avancées obtenues sont insuffisantes mais réelles. Alors qu’autrefois les chercheurs engagés sur les cancers de l’enfant étaient incités à « laisser tomber car personne ne les aiderait », les moyens obtenus de l’Etat, additionnés aux financements associatifs et régionaux, leur permettent de travailler, de se structurer … et de trouver de nouvelles voies thérapeutiques.
Toutefois, cette recherche n’a d’utilité que si elle aboutit au développement et à la mise sur le marché de nouveaux traitements, ce qui est du ressort des industriels du médicament. Et là, nous constatons que ces derniers, à la recherche de profits importants et rapides, n’a pas évoluée : la plupart d’entre eux ne s’impliquent pas, considérent le « marché pédiatrique » trop peu rentable. C’est d’autant plus flagrant lorsqu’il s’agit de pathologies spécifiques à l’enfant et à l’adolescent, même si elles sont très mortelles telles que les tumeurs du tronc cérébral, les glioblastomes, les neuroblastomes, les ostéosarcomes.
Depuis 2009, sur 150 médicaments anticancéreux développés pour l'adulte, seuls 16 ont été autorisés pour une indication spécifique de cancer pédiatrique. Mais ils ne concernent que des tumeurs responsables de moins de 4% des décès par cancer chez les enfants. Sur cette même période, aucun traitement n’a été spécifiquement développé pour les enfants atteints des cancers les plus mortels. Et ça n’est pas seulement nous, les chercheurs et les médecins qui faisons ce constat, mais un rapport de la commission au Parlement Européen, nommé « État des médicaments pédiatriques dans l'Union - 10 ans du règlement pédiatrique de l'Union ». Il est donc urgent d’agir.
Cela désespère les familles et les chercheurs." A défaut de convaincre ou d’obliger les grands industriels d'améliorer leurs pratiques, favoriser par une intervention de l’Etat le développement de start-ups du médicament pédiatrique complémentaires aux grands industriels est une méthode consensuelle et efficace. Elle serait, à la fois, éthique car cela permettra de soigner et sauver plus d’enfants, et économiquement cohérente car ces petites sociétés contribueront à fabriquer des médicaments innovants en France. Enfin, cette démarche pour la pédiatrie pourra, dans un certain nombre de cas, servir aussi aux adultes.
Ca serait finalement l’aboutissement d’un raisonnement d’ouverture scientifique et médicale courant chez les chercheurs : si des recherches effectuées chez l’adulte peuvent permettre de mieux soigner l’enfant, commencer par la recherche chez l’enfant peut aussi permettre de mieux soigner l’adulte. Au final, c’est une loi d’intérêt général, avec un objectif qui devrait tous nous rassembler : sauver des vies.