Éthique au travail : l’enquête IBE 2024 montre les salariés français de plus en plus sensibles à l’éthique, un défi pour les managers ?
L'Institute of Business Ethics (IBE) vient de publier la dernière édition de son rapport sur l'éthique au travail. Il s'appuie sur une enquête menée auprès de plus de 12 000 adultes actifs dans 16 pays, dont la France. Parmi les résultats majeurs, les salariés ont une moins bonne opinion sur l’engagement de leurs managers en matière d’éthique… Un vrai défi pour les entreprises ?
Le Centre d’Excellence pour la Responsabilité Organisationnelle de l’IÉSEG (ICOR) est l’un des partenaires nationaux de ce projet de l’IBE, contribuant à fournir des informations sur l’éthique en entreprise.
Une moins bonne opinion dans la capacité des organisations à s’engager efficacement avec les parties prenantes
L’IBE note que les opinions des employés sur l’éthique au travail en France sont restées constantes depuis 2021 à certains égards. Entre autres, ils sont toujours aussi susceptibles qu’en 2021 de dire que l’honnêteté est pratiquée, soit toujours, soit fréquemment, sur le lieu de travail. Ils sont également toujours aussi conscients des comportements répréhensibles / des fautes professionnelles.
Par ailleurs, l’étude montre que les salariés français sont plus susceptibles qu’il y a trois ans de connaître les éléments d’un programme d’éthique mis en place par leur entreprise. Cependant, ils sont encore mal classés sur cette question et restent parmi les moins enclins à être au courant de ces programmes par rapport aux autres pays.
Par contre, leur opinion sur l’engagement de leur supérieur hiérarchique en matière d’éthique s’est nettement dégradée depuis 2021. Par rapport à la moyenne globale, ils ont une moins bonne opinion de la capacité de leur organisation à s’engager efficacement avec les parties prenantes internes et externes. Les salariés français sont également parmi les plus susceptibles de dire qu’ils ont subi des représailles après avoir fait part de leurs préoccupations en matière d’éthique.
Les défis de l’intégration efficace de l’éthique sur le lieu de travail
Simone de Colle, professeur d’éthique des affaires et de stratégie à l’IÉSEG, nous donne son point de vue sur la France.
« Une fois de plus, la nouvelle édition de l’enquête de l’IBE sur l’éthique au travail offre une image très utile de l’état de l’éthique des affaires en France et dans de nombreux autres pays. Elle met en évidence certains progrès positifs tout en soulignant certains défis (certains nouveaux, d’autres persistants) pour l’intégration efficace de l’éthique sur le lieu de travail.
En tant que partenaire national de l’IBE depuis 2018, nous pouvons analyser cette période de données étalée sur 6 ans pour souligner les résultats les plus importants de cette dernière enquête.
Tout d’abord, les nouvelles positives. Elles peuvent être résumées en une phrase : les salariés français sont de plus en plus sensibles à l’éthique. Cela signifie qu’ils sont non seulement plus conscients des principaux éléments constitutifs des programmes d’éthique présents dans leur organisation, comme, par exemple, les codes d’éthique écrits (58 % contre 47 % en 2018) et les mécanismes de signalement (48 % contre seulement 33 % en 2018), mais qu’ils sont également mieux à même de comprendre le fonctionnement et le rôle de ces outils éthiques, car ils reçoivent davantage de formations à l’éthique au sein de leur organisation (43 % contre seulement 26 % en 2018).
Un autre résultat très positif est la diminution significative du nombre d’employés qui se sont sentis poussés à compromettre les normes éthiques de leur organisation (10 % contre 20 % en 2018). Ce résultat est d’autant plus encourageant que les salariés français sont de plus en plus sensibilisés à l’éthique.
Du côté négatif, deux données soulignent l’efficacité toujours limitée (et, dans une certaine mesure, même aggravée) des programmes d’éthique existants, dont l’objectif principal est (voire, devrait être) de promouvoir les actions éthiques dans le cadre des décisions commerciales « classiques » (par le biais d’un leadership éthique, d’exemples, de discussions internes, de l’engagement des parties prenantes, de conseils, et de prise de parole), plutôt que de simplement prévenir les actions illégales et contraires à l’éthique.
Un pourcentage très élevé (36 %) de salariés déclarent que leur organisation récompense l’obtention de bons résultats, même lorsque ceux-ci impliquent des pratiques éthiquement discutables. Comment une culture éthique proactive peut-elle être établie au sein des organisations françaises, si les managers sont perçus comme étants plus enclin à privilégier les affaires que l’éthique ? Il est clair que le leadership éthique exige des managers qu’ils soient capables de montrer comment les comportements éthiques soutiennent – et non pas nuisent – à la performance de l’entreprise. Ces résultats sont d’autant plus inquiétants que la tendance est à la détérioration depuis 2018, année où cette question avait été soulevée par 28 % des salariés.
En conclusion, l’enquête Ethics at Work de l’IBE nous rappelle une fois de plus que pour intégrer l’éthique dans la stratégie de l’entreprise, il ne s’agit pas seulement de renforcer l’« infrastructure éthique » de l’organisation (rédiger davantage de codes, accroître la surveillance, durcir les sanctions en cas de non-respect, etc.) : nous devons travailler sur l’état d’esprit managérial, pour passer d’une approche « éthique contre affaires » à une vision plus mature « affaires et éthique », où l’objectif de l’entreprise, l’intégrité et la durabilité ne sont pas un obstacle, mais des ressources pour une entreprise responsable (et rentable). »
Les résultats de l’enquête française 2024 sont accessibles sur cette page, et le rapport complet et les rapports individuels sont disponibles ici.