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Par Maison des Lanceurs d'Alerte - Publié le 21 mars 2022 - 16:27 - Mise à jour le 21 mars 2022 - 16:40
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Financement du plaidoyer : quelle place pour la philanthropie française ?

Alors que les actions de plaidoyer se développent dans le milieu associatif, tous secteurs confondus, la question de son financement reste impensée. La philanthropie française est relativement absente de ce débat. Comment et pourquoi s'ouvrir au plaidoyer ? Quels sont les risques si la philanthropie ne se saisit pas de ces formes d'action ? Blandine Sillard, responsable du développement de la Maison des Lanceurs d'Alerte, partage quelques réflexions issues de notre expérience de terrain.

lanceuse d'alerte
lanceuse d'alerte

De plus en plus d'associations se lancent dans le développement d'activités de plaidoyer, tous secteurs confondus. Alors que ces activités étaient bien souvent l'apanage des associations de défense des droits humains ou de l'environnement, elles s'étendent à présent aussi à des structures historiquement caritatives ou favorisant l'insertion professionnelle, l'orientation scolaire, la pratique de loisirs accessibles...

Loin d'en dévoyer les principes, la diversification des champs d'application du plaidoyer montre à l'inverse que la transformation des lois et des réglementations est une part intégrante de toute action associative un tant soit peu transformatrice.

Mais une question se pose alors : celle de son financement, qui plus est dans un pays (la France) où l'écosystème philanthropique s'intéresse relativement peu à cette forme d'action.

Une pratique anglo-saxonne ?

Le soutien aux activités de plaidoyer est en effet plus courant dans les fondations philanthropiques "à l'anglo-saxonne" où les campagnes pour les droits civiques et la pratique du contentieux stratégique (en anglais : strategic litigation) sont solidement installées dans l'éventail des modes d'action associatifs depuis plusieurs dizaines d'années.

En France, le plaidoyer peine à entrer dans les cases des appels à projets et des dossiers de demandes de subventions adressés par les financeurs, dans lesquels on nous demande, par exemple :

  • le nombre et la nature précise des bénéficiaires – là où le plaidoyer bénéficie à l'ensemble de la société ;
  • le calendrier précis de mise en œuvre – là où une stratégie de plaidoyer va dépendre de la réaction des autorités une fois les actions démarrées ;
  • ou encore les indicateurs d'évaluation à court terme – pour des actions de plaidoyer dont l'impact se mesure en années en raison, bien souvent, du temps long des processus juridiques, réglementaires et , avant tout, politiques.

 

entrer dans les cases des demandes de financement

Or, de plus en plus de fondations veulent contribuer à apporter des réponses aux causes structurelles des problèmes qui les concernent. Dans cette perspective systémique, le plaidoyer joue un rôle important : il fait évoluer les lois et les réglementations - donc le socle de normes juridiques - mais aussi les normes sociales et sociétales que ces normes juridiques reflètent.

Lorsqu'une loi dit que les lanceurs d'alerte doivent être protégés, comme cela a été le cas récemment avec la loi adoptée par le Parlement le 16 février 2022, elle ne donne pas seulement un cadre pour les juges. Elle dit aussi à tous les citoyens et citoyennes que les lanceurs d'alerte ont une valeur sociale et démocratique et doivent être considérés comme tels. Elle fait progressivement transiter les mentalités du délateur vers la sentinelle de l'intérêt général. Ce processus est important car il influe sur le regard que l'entourage professionnel, amical ou encore familial porte sur le choix de ces personnes de dénoncer des actes répréhensibles. Et ce regard joue dans le sentiment de solitude, l'isolement, les troubles psychiques voire la détresse dans laquelle elles peuvent être. En somme, par les activités de plaidoyer – rappelons que cette loi a fait l'objet d'une campagne intense menée par 36 organisations réunies par la Maison des Lanceurs d'Alerte – ce ne sont pas seulement des victoires juridiques que nous obtenons mais aussi une transformation en profondeur des mentalités et des relations sociales qui structurent notre société : deux paramètres qui peuvent répondre à bien des problèmes.

Comment s'ouvrir au plaidoyer ?

Pour ouvrir la porte au plaidoyer, les questions à poser doivent être davantage tournées vers les objectifs, le changement que l'association souhaite faire advenir et la théorie sur laquelle elle s'appuie pour ce faire.

se poser les bonnes questions

 

Elles n'excluent pas, bien au contraire, les actions concrètes : comme tout exercice stratégique, la question des associations qui mènent des activités de plaidoyer reste celle des moyens, de la forme qu'il prendra. Ni celle du public cible : le plaidoyer est rarement purement institutionnel (public cible = les institutions, le législateur...) ; il s'accompagne souvent d'un volet grand public qui, en même temps qu'il cherche à accroître la pression sur les décisionnaires, contribue à transformer les mentalités par des actions d'information et de sensibilisation – faisant évoluer l'association d'une communication "vitrine" (illustration des actions sur le terrain) vers une communication sensibilisante et, potentiellement, engageante.

Enfin, le plaidoyer s’accommode parfaitement de l'incitation à rendre les bénéficiaires acteurs du changement. Une stratégie de plaidoyer pertinente est une stratégie qui implique les principaux concernés et leur donne une place active dans la campagne. Bien menée, cette campagne contribue à l'empowerment des bénéficiaires : elle leur redonne du pouvoir sur leurs vies et leurs problèmes, en même temps qu'elle les fait prendre conscience de leur valeur et de leurs capacités.

Des fondations actrices du changement

Une campagne de plaidoyer est multi-facettes et s'enrichit de la contribution des acteurs – aussi divers soient ils – qui souhaitent prendre part à ce changement souhaité et souhaitable par tous. Les fondations philanthropiques ont pleinement vocation à faire partie de ces acteurs, ce qui suppose, aussi, l'adhésion à une culture de la contribution active des fondations – sans ingérence pour autant – à la réflexion stratégique qui entoure les activités qu'elles contribuent à financer. Une pratique encore peu fréquente dans les relations associations-bailleurs en France.

Quels sont les risques si la philanthropie ne se saisit pas de ces formes d'action ? Évidemment, le risque premier est de ne pas les voir se développer et de se priver des progrès importants qu'elles peuvent nous permettre de gagner. Mais le risque est aussi de laisser ces stratégies entre les mains de groupes qui font des bénéfices suffisamment importants pour autofinancer ces actions, soulevant alors des questionnements sur la cohérence des pratiques et les intérêts qu'ils poursuivent.

 

Autrice

Blandine Sillard

Blandine Sillard est responsable du développement et de la communication de la Maison des Lanceurs d'Alerte depuis avril 2020. Elle a fait l'ensemble de son parcours professionnel dans le milieu associatif et a publié, en 2020, une thèse sur l'accompagnement des initiatives citoyennes, solidaires et écologiques.

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