Ne négligeons plus la santé des femmes
Longtemps ignorée par la recherche médicale, la santé des femmes revient aujourd’hui sur le devant de la scène. Ce regain d’intérêt, s’il est porteur d’espoir, révèle aussi un paradoxe : alors que les pathologies féminines restent sous-étudiées, un business florissant s’est développé autour du bien-être féminin. Dans le podcast Au fil des causes, Marie-Morgane Le Moël, journaliste à l’AFP et co-autrice avec Solenne Le Hen du livre Les Négligées – Enquête au cœur du business de la santé des femmes, dénonce les inégalités persistantes et les dérives commerciales qui entourent la santé des femmes.

Une médecine historiquement pensée pour les hommes
Pendant des décennies, les femmes ont été exclues des essais cliniques, notamment après les scandales sanitaires des années 60. Cette exclusion, motivée par un principe de précaution, a eu des conséquences durables : les médicaments développés à cette époque ont été testés uniquement sur des hommes. Résultat : des posologies inadaptées, des effets secondaires non anticipés, et une prise en charge souvent inefficace pour les femmes.
Même si les femmes sont aujourd’hui réintégrées dans les essais cliniques, la majorité des molécules utilisées sont anciennes et n’ont jamais été réévaluées pour elles.
Endométriose, fibromes utérins, syndrome des ovaires polykystiques (SOPK)… Ces maladies touchent des millions de femmes, mais restent mal comprises. Le manque de recherche fondamentale, lié à un désintérêt historique et à un manque de financement, freine les avancées médicales. Selon un rapport du cabinet McKinsey, seulement 1 % des financements en recherche médicale sont spécifiquement dédiés à la santé des femmes (5 % si l’on inclut les cancers féminins).
Un terrain fertile pour le business
Face à l’errance médicale, un marché du bien-être s’est développé : applications de suivi menstruel, yoga hormonal, cérémonies du « féminin sacré »… Ces offres, souvent coûteuses, jouent sur le flou entre santé et bien-être.
Même les applications de suivi menstruel peuvent poser problème : peu fiables, elles donnent des dates d’ovulation contradictoires, et collectent des données intimes sans toujours garantir leur confidentialité. Comme le rappelle Marie-Morgane Le Moël : « Quand c’est gratuit, c’est vous le produit. »
Des inégalités d’accès aux soins persistantes
Au-delà des dérives commerciales, l’accès aux soins reste profondément inégalitaire. En milieu rural, il faut parfois attendre plusieurs mois pour consulter un gynécologue. À l’inverse, dans les grandes villes, les consultations sont plus accessibles… à condition de pouvoir payer. Cette médecine à deux vitesses renforce les inégalités sociales et territoriales.
Certaines femmes se retrouvent ainsi contraintes d’accepter des traitements radicaux, comme l’hystérectomie, faute d’alternatives proposées ou de spécialistes disponibles pour un second avis médical. D’où l’importance de s’informer, de consulter plusieurs avis, et de s’appuyer sur les ressources fiables comme les associations de patientes ou les sites de l’Inserm.
Des signaux encourageants pour l’avenir
Malgré les constats alarmants, des dynamiques positives émergent. La santé des femmes devient un sujet d’actualité : elle s’impose peu à peu dans le débat public, dans les médias, et même dans certaines entreprises. Le congé menstruel, encore rare, commence à être discuté, signe d’une prise de conscience progressive du vécu corporel féminin dans le monde du travail.
Du côté de la recherche, des initiatives privées investissent dans la « femtech » — un secteur en plein essor qui développe des technologies dédiées à la santé féminine. Si tout n’est pas encore encadré ni scientifiquement validé, ces innovations témoignent d’un intérêt croissant pour des besoins longtemps ignorés.