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Par Nos Épaules et Vos Ailes - Publié le 13 octobre 2025 - 07:00 - Mise à jour le 13 octobre 2025 - 17:50
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Violences conjugales : offrir un refuge et un chemin de reconstruction aux mères et enfants victimes

Chaque jour en France, trois femmes sont tuées, victimes d’une tentative de meurtre ou poussées au suicide par leur conjoint ou ex-conjoint, selon la dernière note de l’Observatoire des violences faites aux femmes. Depuis le mouvement #MeToo et le Grenelle des violences conjugales, l’ampleur du phénomène est mieux connue, mais sa gravité reste trop souvent minimisée. Nos Épaules et Vos Ailes soutient deux associations pionnières – Léa Solidarité Femmes et Ker Antonia en Bretagne.

Crédit : Léa Solidarité Femmes
Crédit : Léa Solidarité Femmes

Si les mesures gouvernementales prises ces dernières années ont permis certaines avancées dans la lutte contre ces violences, il existe encore trop peu de places d’hébergement spécialisées pour accueillir les femmes et leurs enfants. L’accompagnement global (psychologique, juridique, social, professionnel) reste, lui aussi, morcelé. Or, sans sécurité immédiate et sans soutien coordonné, la sortie des violences se bloque. Depuis mars 2025, le fonds de dotation Nos Épaules et Vos Ailes (NEEVA) soutient deux associations pionnières – Léa Solidarité Femmes en Essonne et Ker Antonia en Bretagne – qui offrent un lieu sûr aux femmes victimes et à leurs enfants, et les accompagnent dans leur parcours de reconstruction pour sortir durablement des violences.  

Un fléau persistant et universel

 

Les violences conjugales, qu’elles soient physiques, sexuelles, psychologiques ou économiques, ne sont pas des actes isolés : elles s’inscrivent dans un cycle d’emprise et de répétition qui peut mener jusqu’au féminicide. En 2023, le ministère de l’Intérieur[1] a recensé 271 000 victimes de violences commises au sein du couple ou par un ex-conjoint, dont 85 % de femmes, majoritairement âgées de 20 à 45 ans. Ce chiffre, qui a doublé depuis 2016, traduit davantage une libération de la parole et une amélioration du repérage qu’une véritable explosion du phénomène. Mais le constat reste d’une gravité extrême : les services de sécurité ont comptabilisé 93 féminicides conjugaux, 319 tentatives et 773 femmes poussées au suicide par leur (ex-)conjoint.

« Les violences conjugales concernent tous les milieux sociaux. Nous accueillons des médecins, des fonctionnaires de police, des femmes qui pratiquent des sports de combat mais restent tétanisées face à leur agresseur. Il n’y a pas de profil type », souligne Patricia Rouff, fondatrice de Léa Solidarité Femmes. Au cœur du phénomène, l’emprise psychologique : « même sans coups, les humiliations, les dévalorisations et les menaces enferment les victimes dans la culpabilité et l’impuissance. Les violences psychologiques sont systématiques », rappelle Claire Dupuy, directrice de la résidence Ker Antonia.

 

Des conséquences sanitaires et sociales dévastatrices

 

La violence au sein du couple a une incidence majeure sur la santé des femmes. Des études [2] montrent qu’elles perdent entre 1 et 4 années de vie en bonne santé ; leur prise en charge médicale coûterait 2,5 fois plus cher que celle des autres femmes. Le docteur Ghada Hatem, fondatrice de la Maison des Femmes de Seine-Saint-Denis, explique qu’en effet, vivre dans la terreur conduit à sécréter en permanence des hormones de stress, ce qui active certaines maladies : cancers, hypertension, maladies auto-immunes. Les conséquences psychiques sont tout aussi lourdes : dépression, anxiété, conduites addictives, tentatives de suicide.[3]

Les enfants sont eux aussi directement touchés. En 2023, 9 enfants ont été tués dans un contexte de violences conjugales. Beaucoup d’autres grandissent dans un climat de peur et d’insécurité, ce qui compromet leur développement affectif, cognitif et social, et accroît le risque de reproduire les mêmes schémas à l’âge adulte.[4]

 

L’hébergement, clé d’une sortie durable

 

Ces dernières années, des avancées importantes ont vu le jour : le 3919 est désormais accessible 24h/24, le bracelet anti-rapprochement a été déployé et les ordonnances de protection sont délivrées plus rapidement. Mais face à l’ampleur des violences, cela reste insuffisant. Car, au-delà de ces outils de protection, quitter le domicile est souvent l’unique solution pour échapper aux violences. Mais encore faut-il disposer d’un endroit sûr où aller. En 2024, l’État recensait 11 200 places d’hébergement d’urgence pour les femmes victimes, soit plus du double qu’en 2017, selon le ministère chargé de l’Égalité entre les femmes et les hommes. Pourtant, les associations estiment qu’il en faudrait au moins 10 000 supplémentaires. En parallèle, la dépendance économique reste forte : selon une enquête de l’IFOP[5], 40 % des femmes en couple ne pourraient pas payer seules leur loyer et 44 % ne pourraient pas quitter le foyer sans aide financière.

Patricia Rouff, fondatrice de Léa Solidarité Femmes, alerte : « en Essonne, notre association gère 249 places, concentrées dans le nord du département. Tout le sud en est dépourvu, ce qui oblige parfois les femmes et leurs enfants à se déplacer à deux ou trois heures de route de chez elles. Comme elles ne sont souvent pas véhiculées, elles renoncent à partir ». Elle insiste aussi sur les pressions multiples qui pèsent sur les victimes : « les femmes subissent l’influence de leur entourage, de l’auteur lui-même, et parfois la réticence des enfants. Si on ne leur facilite pas l’accès à un logement décent et adapté, ce qui est loin d’être le cas des hébergements d’urgence, elles resteront avec leur agresseur. »

 

Crédit : Léa Solidarité Femmes

Léa Solidarité Femmes : un SAS d’urgence pour franchir le premier pas

 

Faute de solution immédiate, beaucoup de femmes renoncent à quitter leur domicile, au risque de subir « le geste de trop ». Pour répondre à ce défi, l’association Léa Solidarité Femmes, créée en 2009 en Essonne et affiliée à la Fédération Nationale Solidarité Femmes, a mis en place un SAS d’urgence départemental. Ce dispositif permet d’accueillir immédiatement jusqu’à six victimes (une femme et ses cinq enfants, ou plusieurs femmes simultanément) pour 24 à 48 heures dans un lieu sécurisé et chaleureux. « C’est un dispositif très coûteux, il n’en existe qu’un autre en France, dans les Hauts-de-Seine. Nous avons même dû fermer quelques mois, au grand désespoir des professionnels qui nous adressaient des victimes. C’est en partie grâce au soutien du fonds de dotation Nos Épaules et Vos Ailes que nous avons pu rouvrir au printemps dernier. Depuis, nous avons accueilli une vingtaine de femmes et d’enfants », explique Patricia Rouff.

Outre la mise à l’abri, le SAS propose un accompagnement global. Une travailleuse sociale référente accueille les victimes, évalue l’urgence et le danger (profil de l’auteur, menaces, antécédents), puis établit un diagnostic des besoins. La sécurité est prioritaire : un agent veille toute la nuit pour rassurer femmes et enfants. Les bénéficiaires sont également orientées vers des avocats ou juristes partenaires, peuvent entamer des démarches administratives, être accompagnées vers l’emploi ou la formation, et bénéficier de partenariats avec des groupes hôteliers ou des bailleurs sociaux pour accéder à un hébergement plus durable.

« Nous sommes convaincus que la qualité de l’accueil dans les toutes premières heures est déterminante : elle conditionne la possibilité de se projeter et d’amorcer une rupture durable avec le cycle des violences. Nos résultats le confirment : moins de 3 % des femmes accueillies dans le SAS retournent chez leur agresseur. L’accompagnement psychologique est aussi central : il aide à déconstruire l’emprise et à retrouver une autonomie de pensée et d’action », conclut Patricia Rouff.

 

Ker Antonia : un logement sécurisé et des ateliers pour se reconstruire

 

Créée en 2013 par la Fondation Solacroup Hébert, l’association Ker Antonia est agréée Maison relais. Ce dispositif national offre un logement durable, sans limite de temps, à des personnes en grande fragilité sociale avec un accompagnement renforcé. À Dinard, où le logement social est rare et sous forte tension, cette solution est précieuse pour les femmes victimes de violences et leurs enfants.

La résidence dispose de 12 logements sécurisés et équipés, permettant des séjours longs — en moyenne 15 mois. « La reconnaissance des enfants comme co-victimes, et non plus comme de simples témoins, est récente. Mais elle n’a pas encore entraîné la création de solutions d’hébergement dédiées aux femmes avec enfants. Nous recevons régulièrement des mères qui arrivent avec une ordonnance du juge : soit elles trouvent un hébergement avec leurs enfants, soit elles risquent d’en être séparées », explique Virginie Leclerc, responsable philanthropie de la Fondation Solacroup Hébert à l’origine de la création de l’association Ker Antonia.

 

Crédit : Ker Antonia

 

Depuis août 2025, grâce au soutien de Nos Épaules et Vos Ailes, Ker Antonia a développé un lieu de répit parental avec des ateliers construits en concertation avec les résidentes. Individuels ou collectifs, ils peuvent être dédiés aux femmes, aux enfants ou au lien parent-enfant. Au programme : yoga, massages pour bébés, sport, bien-être, mais aussi ateliers de prévention en santé sexuelle. « Beaucoup de femmes victimes ont besoin qu’on reparle du corps et du consentement, car certaines ont subi des violences dès leur enfance. C’est aussi essentiel pour ce qui sera transmis aux enfants », souligne Claire Dupuy, directrice de la résidence.

Ces ateliers, au-delà de leur rôle éducatif et préventif, offrent des moments de respiration et de reconstruction. Animés par des professionnels, ils se déroulent dans la résidence mais aussi à l’extérieur. « L’objectif est d’ouvrir les femmes vers l’extérieur, de recréer des repères et de restaurer des liens sociaux souvent brisés par l’agresseur », explique Virginie Leclerc. « Ces femmes sont souvent très isolées, privées de tout lien amical ou familial. Notre rôle est de les écouter, les informer, les orienter pas à pas, et de leur redonner du pouvoir d’agir », ajoute Claire Dupuy. La clé de la réussite réside aussi dans le travail en réseau : Ker Antonia agit en lien étroit avec les acteurs locaux (réseau VIF – violences intrafamiliales, services sociaux, hôpitaux, justice, associations partenaires). « C’est cette coordination qui permet de proposer un accompagnement global et de donner aux femmes et à leurs enfants les moyens de sortir durablement des violences », conclut Virginie Leclerc.

Léa Solidarité Femmes et Ker Antonia, soutenues par le fonds de dotation Nos Épaules et Vos Ailes, le rappellent d’une même voix : sans mécénat privé, il est difficile de maintenir et de développer des dispositifs pourtant essentiels pour offrir aux femmes et à leurs enfants une sortie durable des violences.

 

[1] Ministère de l’Intérieur, (2024), « Les violences conjugales enregistrées par les services de sécurité en 2023 », Info rapide n°44 novembre.

[2] Deparis, N., Rudelle, K., Lévêque, C., Fréminville, H.-d., Bœuf–Gibot, S., Lambert, C. et Vicard-Olagne, M. (2024). Attentes des femmes victimes de violences conjugales envers leur Médecin Généraliste (AVIC-MG), une étude descriptive. Santé Publique, 36(3), 49-56. https://doi.org/10.3917/spub.243.0049.

[3] Lettre thématique de l’Observatoire national des violences faites aux femmes, 2024, « Journée internationale d’action pour la santé des femmes : l’impact des violences sur la santé des femmes », n° 21 du 28 mai. Voir également : https://www.gpma-asso.fr/prevenir-et-agir-contre-les-violences-le-dr-ghada-hatem-grand-temoin-du-prix-atout-soleil/

[4] Cf. travaux de Chantal Zaouche Gaudron, Professeure de psychologie de l'enfant, Directrice adjointe du Laboratoire Interdisciplinaire Solidarités, Sociétés, Territoires (LISST)

[5] Enquête IFOP x Crédit Mutuel Alliance Fédérale, 2024), « Violences économiques », novembre.

 

 

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