Les effets du mécénat de compétences sur le monde associatif
Le 31 mai dernier, nous avons eu la chance d’assister à un dialogue exclusif autour des effets du mécénat de compétences sur le monde associatif et deux études d’impact très complémentaires : l’étude réalisée par Kimso pour l’Alliance pour le Mécénat de compétences et de la recherche action menée par l’Institut National de la Jeunesse de l’Éducation Populaire. Ces travaux ont été effectués en collaboration avec Pro Bono Lab.
Pourquoi s’intéresser aux effets du mécénat de compétences sur les associations ?
Pour inaugurer cet évènement, Isabelle Million, déléguée générale à l’Alliance pour le mécénat de compétences nous alerte sur le fait que peu de recherches sont venues vérifier que le mécénat de compétences réponde à son objectif premier : celui d’apporter des compétences à l’intérêt général et de répondre aux besoins des associations. Un vide qu’il était important de combler.
Samia Cordelle, directrice conseil chez Kimso, nous rappelle que le mécénat de compétences consiste à mettre à disposition des compétences des salarié·es sur leur temps de travail au service d’associations d’intérêt général. La démarche évaluative de l’étude réalisée par Kimso pour l’Alliance est centrée sur les associations afin de comprendre et mesurer l’impact du mécénat de compétences sur leur projet. Ainsi, une première phase qualitative a été menée en février et mars 2022, elle comporte dix entretiens individuels conduits auprès des associations et deux focus groups de salarié·es engagé·es. Un questionnaire en ligne (phase quantitative) a ensuite été diffusé auprès de 161 associations répondantes.
De son côté, l’INJEP (Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire) a souhaité répondre à plusieurs grandes interrogations en menant cette recherche action : qui sont les associations ayant recours au mécénat de compétences ? Quels sont leurs besoins, le mécénat de compétences y répond-il ? Quels sont les effets de ce dispositif sur les associations ? Le travail a débuté en janvier 2022 par une première phase d’entretiens avec des représentants institutionnels du monde associatif.
Une enquête qualitative par entretiens et observations a ensuite été réalisée auprès de 17 structures associatives dans 8 régions de France pendant plusieurs mois. Enfin, un questionnaire destiné à l'ensemble des associations françaises a été diffusé et a permis de récolter 135 réponses d'associations qui mobilisent le mécénat de compétences et 677 réponses d'associations qui n'y recourent pas.
Le mécénat de compétences : un dispositif accessible à toutes les associations ?
Les éléments issus de la recherche viennent poser la question de l’accessibilité et du coût d’entrée pour les associations au mécénat de compétences. Toutes les associations ne recourent pas au mécénat de compétences avec les mêmes facilités. »
Mathilde Renault Tinacci, chargée de recherche à l’INJEP.
Les structures d’intérêt général qui ont le plus souvent recours à ce dispositif sont des associations issues des secteurs de l'éducation, de la formation et de l'insertion et de la santé, de l'action sociale et de l'humanitaire ; des entreprises associatives gestionnaires, c’est-à-dire employeuses ; des associations basées en métropole ; des associations qui ont des modèles organisationnels inspirés du monde de l’entreprise ; des associations avec des gouvernances dites « classiques ».
Ces éléments convergent avec les données de l’étude réalisée par Kimso : « Les associations répondantes sont majoritairement de grande taille, bien structurées avec des têtes de réseau et un mode gestion de projet déjà bien identifié. Elles interviennent dans le champ de l’action sociale, l’humanitaire ou le caritatif », énumère Samia. Le mécénat de compétences est une expérience initiée dans le cadre de partenariats préexistants pour le plus grand nombre : 41 % des associations entretiennent déjà une relation avec l’entreprise ou son salarié avant la mise en place du mécénat de compétences.
Des effets satisfaisants en termes d’accès aux ressources et de professionnalisation
Le mécénat de compétences est une pratique courante pour les associations interrogées par Kimso puisque 81 % d’entre elles l’ont expérimenté à plusieurs reprises. Il vient surtout répondre à un besoin de ressources additionnelles. « Un tiers des associations déclarent que le mécénat de compétences est décisif et pas juste utile. C’est déjà une grande victoire », assure Samia Cordelle, directrice conseil, Kimso.
Les effets prioritaires vont de l’accès à des ressources additionnelles (relevé par 93 % des associations répondantes), au gain de temps (89 %), à l’appui d’un regard critique et extérieur (89 %), ou encore à la montée en compétences (86 %). Les effets sur la notoriété, la visibilité et les effets de levier pour le développement de la structure sont des impacts bien réels, mais à venir consolider pour que les associations tirent au mieux parti du dispositif.
On observe une relative satisfaction des associations sur le terrain, notamment en termes de professionnalisation gestionnaire. »
Constance Cheynel, chargée de recherche associée à l’INJEP et à l’IRISSO CNRS.
Peu importe le degré de contribution gestionnaire des salarié·es volontaires, leur arrivée participe à la spécialisation des tâches et à la recherche de la performance. Les associations sont souvent satisfaites de cette ressource humaine supplémentaire. Constance prend l’exemple de l’association « Pour l’engagement de tous » qui a témoigné d’une véritable « montée en puissance » et du lancement d’un projet, grâce à la gestion administrative et du collectif bénévole de la salariée volontaire de l’association.
Une relation asymétrique entre associations et entreprises
Cette satisfaction doit toutefois être nuancée. Il existe une dynamique de relation relativement asymétrique : les besoins des entreprises dictent l’offre de missions en mécénat de compétences dont peuvent disposer les associations. De plus, le bon déroulement des missions repose sur l’engagement moral des salariés et leur accompagnement par les associations. Or, « les associations interrogées n’ont pas toujours la possibilité de choisir le/les salariés qui les rejoignent en mécénat de compétences », constate Constance.
Les associations qui le peuvent viennent rééquilibrer cette relation en rationalisant le recours au mécénat de compétences, en organisant par exemple des entretiens d’embauche, de manière à servir leurs intérêts plus directement. Constance nous rappelle que la rencontre entre le monde associatif et le monde de l’entreprise peut s’avérer complexe. Il ne faut pas négliger le choc des cultures entre l’entreprise et le monde associatif. Pour cela, vérifier la motivation des salarié·es volontaires, leur bonne compréhension de la mission de l’association est essentiel et peut éviter certaines déconvenues.
Enfin, les associations ne doivent pas sous-estimer les apprentissages nécessaires aux salarié·es volontaires en termes d’outils et de cause défendue. « Le temps et le coût nécessaire aux associations pour former et accompagner les salariés volontaires ne sont pas appréhendés et laissés à la charge des associations. Pourtant, le transfert des compétences des salariés volontaires n’a rien d’automatique », remarque Constance Cheynel.
Les points de vigilance identifiés par la recherche
La professionnalisation gestionnaire mise à l’œuvre engendre plusieurs risques : une dangereuse hiérarchie des compétences peut se mettre à l’œuvre, avec l’idée que certaines activités ne demandent pas de compétences particulières (tris de denrées, travaux manuels, etc.). Les compétences organisationnelles et les conditions de travail en équipes lors des journées de la solidarité jouent pourtant un rôle crucial dans le succès de ces missions. La professionnalisation gestionnaire peut également participer de la déstabilisation de certains groupes professionnels, déjà en cours, comme cela est le cas avec les métiers du travail social ou encore de l'animation socio-culturelle et socio-éducative — historiquement pris en charge par des travailleurs sociaux de niveau 5 de qualification (DEUG, BTS, DUT, DEUST). Les qualifications à Bac+5 des salariés volontaires et elurs compétences en gestion de projet sont appréciées dans le cadre de l'animation des bénéficiaires ou des bénévoles malgré leur non-connaissance préalable des publics. Ils sont pourtant recrutés, dans certaines associations, pour conserver des activités d'animation menacées de disparaître.
Le dispositif vient également soulever plusieurs questions sur le plan des ressources humaines : comment assurer la pérennité de ces missions ? comment faire pour remplacer les salariés volontaires après leur départ ? Le statut de salarié volontaire (ni bénévole, ni salarié) vient-il concurrencer l’emploi ?
Du point de vue des modèles socio-économiques des associations, l'impact du mécénat de compétences peut s'avérer limité. S'il participe à une diversification des ressources — en négociant avec les entreprises renontrées des partenariats financiers — les modèles socio-économiques des associations ne sont cependant pas stabilisés ni approfondis par ce seul biais. La recherche souligne également les apports conséquents en termes de capital social et relationnel via les salariés volontaires en mécénat de compétences (ouverture à leurs réseaux professionnels, personnels, mais aussi institutionnels et politiques), avec pour limite que ces ressources et ces compétences en « réseautage » et « gestion financière » dépendent des individus qui les possèdent et son rarement pérennisés de ce fait.
« Enfin, le mécénat de compétence, par le choc des cultures et les exigences qu’il engendre peut venir mettre en tension certains projets et certaines causes portées par les associations », met en garde Constance.
Quels facteurs clés de succès pour un mécénat de compétences à impact ?
Mais alors, comment maximiser l’impact du mécénat de compétences sur les associations ? Pour Samia Cordelle, plusieurs éléments peuvent venir assurer les bienfaits du dispositif.
Pour plus de la moitié des associations, l’indisponibilité du collaborateur en mécénat de compétences représente le principal risque d’échec. L’implication et la disponibilité du salarié volontaire est donc un premier facteur clé de succès.
De plus, « Il faut systématiser le diagnostic des besoins au préalable et mettre en place une logique de parcours pour accompagner les associations de façon ciblée, mais aussi savoir renoncer et accepter que parfois le mécénat de compétences n’est pas une réponse aux enjeux de l’association. » Par leur capacité à diagnostiquer leurs besoins, les associations plus matures sont donc les plus susceptibles de réaliser un mécénat de compétences à fort impact.
En outre, les associations identifient l’organisation et le temps comme des freins potentiels à l’accueil d’un salarié en mécénat de compétences, l’aspect chronophage du dispositif (phase amont de cadrage, accueil, encadrement) peut être décourageant. Ces structures peuvent faire appel à des acteurs intermédiaires pour les accompagner dans leur démarche et maximiser leur impact.
Christophe Vernier, secrétaire général à la Fondation du Crédit Coopératif est venu clôturer la table ronde et réagir aux propos énoncés précédemment : « Ce qui est clair, c’est qu’il y a un angle mort peu adressé jusqu’à maintenant, c’est le point de vue associatif et les effets du dispositif sur leur organisation courante. Il y a tout un travail à faire d’écoute, et de sensibilisation pour que les associations puissent en tirer tous les bénéfices et pour permettre aux salarié·es volontaires de s’épanouir. »
Merci à la Fondation Crédit Coopératif, à la Fondation Somfy et à CHANEL qui soutiennent Pro Bono Lab dans sa dynamique de mesure d’impact du mécénat de compétences sur les associations.