Le mécénat de compétences et son impact sur les associations : zoom sur l’étude menée par l’INJEP
Le 28 septembre, nous avons reçu Constance Cheynel, docteure en sociologie et en sciences politiques, chercheuse associée à l’institut National de la Jeunesse et de l’Education populaire (INJEP) lors d’un événement de notre Club du pro bono. On vous résume les échanges !
Depuis janvier 2022, l’INJEP étudie, en partenariat avec Pro Bono Lab, l’impact du mécénat de compétences sur le monde associatif : Constance Cheynel est venue partager les premiers apprentissages de cette étude inédit et nous donner les premières pistes entrevues pour réconcilier les besoins des associations et les intérêts des entreprises autour du mécénat de compétences.
Étude inédite, vous dites ? Oui ! Car s’il existe quelques travaux de recherche étudiant le mécénat de compétences, ceux-ci portent avant tout le point de vue des entreprises et des salarié·es volontaires mobilisé·es. Étudier le mécénat de compétences du point de vue des associations est une première. Ces dernières sont pourtant les premières bénéficiaires et parties prenantes de ce dispositif !
Le mécénat de compétences, de quoi parle-t-on ?
Rappelons que le mécénat de compétences consiste à mettre à disposition les compétences et/ou le temps de collaborateurs et collaboratrices sur leur temps de travail au service d’associations et de l’intérêt général. Quatre typologies de mécénat sont distinguées dans l’étude que mène Constance aux côtés de Mathilde Renault-Tinacci (INJEP) et Sabine Rozier (Université Paris-Dauphine, Institut IRISSO) :
- Les missions flash, réalisées sur une journée ou demi-journée, engagent des salarié.es ponctuellement, sur des missions courtes
- Les missions de parrainage, qui ont pour objectif principal l’insertion des jeunes ou d’adultes via des dispositifs de mentorat. L’engagement est ponctuel mais s’inscrit dans un temps long
- Les missions de conseil, qui regroupent les missions de prestation de services, avec des consultant·es venant prêter main forte sur un temps plus ou moins long. Parmi les missions classiques, on retrouve notamment la remise à niveau RGPD ou encore du conseil en communication
- Enfin, certain·es salarié·es vont s’engager sur des missions longues (6 mois minimum), occupant, pour la plupart d’entre eux.elles, un poste physique dans l’association. C’est un dispositif que l’on trouve fréquemment mis en œuvre en fin de carrière. « Dans ce cas de figure, il n’est pas rare que les salariés bénévoles soient devenus le véritable couteau suisse de l’association », témoigne Constance.
Enquête et méthodologie
« En menant cette étude, nous voulions répondre à quatre grandes interrogations : quelles sont les associations ayant recours au mécénat de compétences ? Quelles sont leurs besoins et motivations ? Quelles sont les conditions concrètes de ce partenariat ? Quels sont les effets (positifs ou négatifs) pour les associations ? », détaille Constance.
L’étude a débuté en janvier dernier par une première phase d’entretiens avec des représentants institutionnels du monde associatif. Deux enquêtes ethnographiques ont ensuite été réalisées et dix associations situées dans huit régions de France ont été suivies (entretiens, observations) pendant plusieurs mois. Enfin, un questionnaire destiné à l’ensemble des associations françaises est en cours de diffusion. La publication de l’étude est prévue pour début 2023.
« On observe une relative satisfaction sur le terrain. Le mécénat de compétences est un moyen pour les associations de pallier leur difficulté à recourir au salariat et d’obtenir des ressources humaines dont elles ont besoin ».
Les associations sont dans l’ensemble satisfaites du travail accompli, elles peuvent bénéficier d’une expertise pointue et spécialisée notamment sur les formats « missions de conseil ». Mais cette satisfaction cache une partie de l’iceberg : les associations connaissant désormais mieux le dispositif ont su s’adapter et rester vigilantes pour éviter certaines déconvenues. Un apprentissage par l’expérience, en quelque sorte.
La gestion de l’humain au cœur d’une collaboration réussie
La rencontre entre le monde associatif et le monde de l’entreprise peut s’avérer complexe. « Il ne faut pas sous-estimer le choc des cultures entre l’entreprise et le monde associatif, vérifier la motivation des salariés volontaires et leur bonne compréhension de la mission de l’association est essentiel », alerte Constance.
De plus, il n’est pas simple pour les associations d’encadrer les salarié·es volontaires, qui ont un véritable statut hybride (ni salarié, ni bénévole) et des profils très variés (âge, statut...). Si on prend l’exemple bien précis de l’âge, il est parfois complexe pour une association de manager des salariés bénévoles beaucoup plus âgés que la moyenne de la structure ou encore de travailler avec des personnes à qui l’on ne peut pas vraiment donner d’objectifs. Constance relate plusieurs cas où ces obstacles ont mené à la fin de la mission de mécénat : celui d’un salarié volontaire, un homme en fin de carrière refusant d’être managé par des femmes plus jeunes que lui et majoritaires dans l’association ou encore cette salariée volontaire qui, une fois arrivée dans l’association, a décidé de ne réaliser qu’une partie des tâches inscrites sur sa fiche de poste, remettant en considération le cœur de mission même de l’association.
Enfin, la question des ressources humaines reste au cœur du sujet : comment faire lorsqu’un salarié en mission longue quitte un poste ? Est-ce que la fin de mission amène nécessairement à un engagement de plus long terme ?
Rencontre entre deux mondes, profils et statuts variés, une chose est sûre la clé du succès de la collaboration se situe dans la gestion humaine, sur les formats missions de conseil et missions longues principalement.
Le mécénat de compétences, un marché comme un autre ?
Si certaines associations ont pu témoigner de situations difficiles, voire de brusques ruptures de collaboration, le manque de ressources financières et de main d’œuvre rend pourtant ces dernières tributaires des salariés volontaires. « Il y a cette dynamique de marché asymétrique où les associations sont en grand besoin de compétences et les entreprises viennent pourvoir cette demande et cadrer l’offre. »
Un marché avec des exigences pesant sur les associations. Si elles bénéficient de compétences, elles doivent également être attentives à répondre aux exigences des entreprises : les salarié·es volontaires doivent être satisfaits, pouvoir visualiser le travail accompli et sentir un renforcement de la cohésion d’équipe. Il ne faut pas sous-estimer le temps nécessaire investi par les associations pour que ces conditions soient remplies.
Une dangereuse hiérarchisation des compétences se met aussi à l’œuvre avec l’idée que certaines activités, par exemple manuelles, ne nécessitent pas de compétences particulières. Constance a souhaité nous partager le témoignage d’une association d’envergure locale spécialisée dans la mise à disposition de denrées. Elle opère des actions de tri et fait appel pour cela à des salarié·es en missions flash sur une demi-journée, mais aussi aux bénéficiaires de l’association, qu’elle invite à devenir bénévole dans un but de réintégration au sein de la société : « L’association a témoigné de la très grande efficacité des salarié·es volontaires. Dans une activité aussi anodine que trier des cartons, le fait que ces personnes opèrent dans le cadre du travail (la journée de « mécénat de compétences » leur est offerte sur leur temps de travail), sont à l’aise pour travailler en équipe et prennent des initiatives les a rendus très opérationnels et efficaces », détaille Constance. « Les bénévoles/bénéficiaires sont quant à eux parfois moins à l’aise avec la langue, n’ont pas forcément la même confiance en eux, le même capital culturel… Ils n’investissent pas l’association de la même manière », poursuit la chercheuse.
Le mécénat de compétence peut ainsi engendrer une forme de concurrence entre les différents profils qui coexistent au sein de l’association (salarié·es, bénévoles, salarié·es volontaires).
Lorsque le bénévolat est au cœur du projet associatif, il est important de préserver un équilibre entre bénévoles engagés sur le long terme et salarié·es volontaires sur des missions « flash ». « Dans ce type de mission, il faut absolument veiller à ce qu’il y n’ait pas trop de salariés volontaires par rapport aux autres types de bénévoles. C’est même statistique. Le risque, c’est que les bénévoles qui viennent plus régulièrement aient du mal à trouver leur place face à un gros turn over de salariés bénévoles. »
Le mécénat de compétence, un levier indispensable pour les associations
L’étude menée par l’INJEP s’inscrit dans un contexte de crise du bénévolat. On compte actuellement 22 millions de bénévoles en France, dont 12,5 millions de bénévoles dans le milieu associatif. Mais des pertes significatives sont à déplorer, les associations ont perdu 15% de leurs bénévoles et sont plus que jamais à la recherche de main d’œuvre. Le mécénat de compétences tient là un grand rôle à jouer : ouvrir l’envie de s’engager sur son temps de travail est la première brique pour redorer le blason du bénévolat et fournir aux associations les compétences dont elles ont besoin !
Merci à la Fondation Crédit Coopératif, à la Fondation Somfy et à CHANEL qui soutiennent Pro Bono Lab dans sa dynamique de mesure d'impact du mécénat de compétences sur les associations.
Replay du Club pro bono Comment (ré)concilier les intérêts/besoins autour du mécénat de compétences :
Recherches et Solidarités. La France bénévole : évolutions et perspectives.Mai 2022.
INJEP. Les effets du mécénat de compétences en association sur les personnes impliquées et leurs parcours. INJEP Analyses & Synthèses, n°33, avril 2020.
L’engagement sera-t-il demain une case à cocher ?
Le mécénat de compétences : solution aux problématiques RH des entreprises ?
Plateformes d’engagement solidaire, leur impact sur les relations entreprises-associations