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Par SIAL Paris - Publié le 6 septembre 2024 - 11:27 - Mise à jour le 6 septembre 2024 - 11:27
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Fanny Parise : « Il est plus que nécessaire de promouvoir des récits alternatifs qui valorisent la simplicité et la résilience »

Dans cet entretien exclusif, Fanny Parise, anthropologue spécialisée dans les questions de consommation et le monde contemporain, nous fait part de ses réflexions. Elle explore les pratiques occidentales et leurs contradictions. Son dernier livre, « Les enfants gâtés », critique la consommation responsable comme une façade pour soutenir l'hyperconsommation.

Fanny Parise : « Il est plus que nécessaire de promouvoir des récits alternatifs qui valorisent la simplicité et la résilience ». Crédit photo : DR.
Fanny Parise : « Il est plus que nécessaire de promouvoir des récits alternatifs qui valorisent la simplicité et la résilience ». Crédit photo : DR.
  • Pouvez-vous commencer par vous présenter ? 

 

Je suis anthropologue, spécialiste des questions de consommation et du monde contemporain. Mes travaux explorent les pratiques occidentales et les idées qui les sous-tendent, tout en soulignant les paradoxes et les contradictions de notre époque. J'enseigne les sciences humaines et sociales à l'école de design Strate Lyon et je suis co-directeur de la chaire de recherche et d'enseignement Managia. 

 

  • Dans votre livre Les enfants gâtés, vous parlez de ce que l'on appelle la consommation responsable. Selon vous, ce n'est qu'un alibi pour que rien ne change et que l'on puisse continuer dans un système hyperconsumériste. Pouvez-vous nous expliquer ? 

 

La consommation responsable est souvent présentée comme une solution aux excès du consumérisme. Or, elle est souvent utilisée comme un simple alibi pour légitimer la poursuite d'un système hyper-consumériste. Sous couvert de responsabilité, les entreprises continuent d'encourager un consumérisme débridé, en masquant leur impact environnemental par le greenwashing. Cela permet aux consommateurs de se sentir vertueux tout en maintenant des niveaux de consommation élevés. En réalité, il s'agit d'un leurre qui ne fait que perpétuer le statut au lieu d'apporter des changements structurels profonds. 

 

  • Selon vous, quels sont les obstacles au changement ? 

 

Les principaux obstacles au changement sont multiples. Tout d'abord, il y a l'inertie culturelle. Les habitudes de consommation sont profondément ancrées dans nos modes de vie et notre imaginaire collectif. Il y a ensuite les intérêts économiques. Les acteurs économiques dominants ont un intérêt direct à maintenir le système actuel, qui leur est profitable. À cela s'ajoute un manque d'engagement politique. Les décisions politiques sont souvent influencées par de puissants lobbies et par la recherche à court terme de la croissance économique. Enfin, un autre obstacle est la résistance individuelle. Changer notre comportement demande un effort cognitif et émotionnel important, souvent entravé par un sentiment de confort. 

 

  • Face aux obstacles que vous avez évoqués, comment répondre à la double exigence de sauver la planète et de préserver l'économie ? 

 

Répondre à cette double demande nécessite une reconfiguration complète de notre modèle économique et social. Il faut envisager une transition vers d'autres modèles économiques, ce que l'on appelle la "réorientation écologique", qui favorise la durabilité et la réparation plutôt que l'obsolescence programmée, comme dans une économie de mutualisation.  Cela implique également de redéfinir la notion de croissance en y intégrant des indicateurs de bien-être et de durabilité, plutôt que de se focaliser uniquement sur le PIB. La conciliation de ces besoins passe par des politiques ambitieuses qui favorisent l'innovation écologique et des pratiques économiques respectueuses de l'environnement et surtout des autres. 

 

  • Dans votre dernier livre, No carbon, vous affirmez que pour réduire l'écart entre nos aspirations et nos actions, les contraintes d'aujourd'hui doivent devenir les normes de demain. Pouvez-vous nous en dire plus ? 

 

Les contraintes d'aujourd'hui, comme la limitation des émissions de carbone, sont des normes en devenir qui ne sont pas encore totalement acceptées. Dans le contexte actuel, les normes existantes ne répondent plus aux défis d'aujourd'hui. Il faut donc définir de nouvelles normes et accepter de nouvelles contraintes. Aujourd'hui, le paradoxe réside dans le fait que nous parlons de transition écologique, mais que nous ne la concrétisons pas. Si nous le faisions, le carbone deviendrait un véritable tabou.  En intégrant ces contraintes dans nos normes sociales et réglementaires, elles ne seraient plus perçues comme temporaires et deviendraient des normes incontournables. Cela encouragerait des changements structurels de comportement, permettant l'émergence de nouvelles habitudes et d'innovations. Ce cadre stable et prévisible est indispensable pour adopter des modes de vie plus durables et cohérents avec les défis environnementaux que nous devons relever. 

 

  • Comment pouvons-nous changer durablement notre façon de penser ? 

 

Il faut accepter de renoncer à certaines de nos valeurs et de changer nos habitudes, et les contraintes peuvent nous y aider. C'est difficile et compliqué, mais il faut sortir de la société de consommation du siècle dernier. L'un des moyens d'y parvenir est de transformer notre idée de l'ordinaire et de l'exceptionnel. Par exemple, peut-être qu'à l'avenir, avoir un nouveau vêtement deviendra l'exception plutôt que la norme, et ce tout au long de notre vie. Cette transformation conduira à la création de nouvelles idées, puis de nouveaux modèles économiques, et enfin à des habitudes quotidiennes complètement différentes. Changer la façon dont les gens pensent nécessite une stratégie culturelle profonde. Cela passe par l'éducation, qui doit intégrer les questions socio-écologiques dès le plus jeune âge, mais aussi par les médias, la publicité et l'art, qui ont le pouvoir de façonner nos désirs et nos aspirations. Il est plus que nécessaire de promouvoir des récits alternatifs qui valorisent la simplicité et la résilience. 

 

  • Comment le design fiction peut-il aider les entreprises à s'interroger sur leur place et leur fonction dans le monde et à rendre leurs contradictions plus visibles ? 

 

Le design fiction permet aux citoyens ainsi qu'aux organisations publiques et privées de se projeter dans des futurs possibles, souhaitables ou non, et d'explorer les conséquences de leurs choix actuels. C'est un outil puissant pour remettre en question leurs pratiques et leur impact sur la société et l'environnement. En créant des scénarios fictifs mais plausibles, les personnes et les organisations peuvent identifier des opportunités de transformation et des moyens d'anticiper les changements à venir. Cet exercice rend plus visibles les contradictions entre les aspirations déclarées, telles que la responsabilité environnementale, et les actions spécifiques, ce qui nous permet de réfléchir de manière critique et constructive. Le design fiction devient ainsi un outil politique de critique et de remise en question de notre société. Il fournit un cadre de réflexion sur les implications de nos choix, révélant les contradictions entre ce que nous disons être nos valeurs et nos actions réelles, et j'espère qu'il encouragera les gens à adopter des pratiques plus cohérentes avec les défis sociaux et écologiques de notre époque. 

 

  • Quels sont, selon vous, les principaux piliers d'une société « sans carbone » ? 

 

Pour répondre à cette question, je peux m'appuyer sur le No Carbon Manifesto que je présente à la fin de mon livre et qui repose sur dix piliers d'une société future : 

  1. L'éco-collectivisme : Promotion de la coopération, de la mise en commun des ressources et de la création de communautés durables fondées sur le bien commun. La création de communautés durables basées sur l'autogestion et les pratiques écologiques, afin de promouvoir l'égalité sociale et la justice environnementale. 
  2. Résilience des communautés : Renforcer la capacité des communautés locales à s'adapter et à réagir aux changements environnementaux et sociaux en promouvant les réseaux d'entraide, l'éducation et la formation aux compétences écologiques. 
  3. Techno-harmonie : Intégrer les avancées technologiques de manière utile pour réduire notre consommation de ressources, la pollution et les inégalités socio-économiques. 
  4. La symbiose culturelle : Valoriser la diversité culturelle en encourageant l'échange de connaissances, de pratiques et de traditions entre différentes cultures afin de construire des modèles de société durables et respectueux de l'environnement. 
  5. Éco-sagesse : Apprendre à partir des connaissances ancestrales et des traditions culturelles pour encourager la transmission intergénérationnelle des connaissances et des pratiques durables et construire des sociétés résilientes et harmonieuses. 
  6. Éthique planétaire : Intégrer une perspective éthique et holistique dans les décisions visant à résoudre les problèmes socio-écologiques, en tenant compte de l'impact de nos actions sur les générations futures et les autres formes de vie. 
  7. Bio-empathie : Développer un lien émotionnel et empathique entre les êtres humains, les animaux et la nature, en prenant conscience de l'impact de nos actions sur l'environnement et sur les autres espèces. 
  8. Éco-empowerment : Encourager les individus et les communautés à prendre une part active dans la transition socio-écologique, en promouvant la sensibilisation à l'environnement et l'implication de la communauté. 
  9. Terra-équité : Recherche d'un équilibre entre les besoins de l'humanité et ceux de la Terre, en répartissant équitablement les ressources entre tous les êtres vivants. 
  10. Gouvernance éco-participative : Impliquer directement les citoyens dans la prise de décision sur les questions environnementales et socio-économiques, en promouvant une participation active et responsable dans la transition vers un mode de vie durable. 
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