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Par TPSF - Travaux Publics Sans Frontières - Publié le 1 avril 2022 - 09:42 - Mise à jour le 1 avril 2022 - 09:45
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L'enjeu de l'électrification à Madagascar

Si un chroniqueur de L’Express Madagascar tournait début mars la situation énergétique du pays en dérision en affirmant que le manque d’accès à l’électricité permettait de ne pas perturber la faune nocturne (L’Express de Madagascar, 2022), la situation pose pourtant un problème majeur aux habitant.es de la Grande Île. Pour vous qui lisez cet article comme pour moi, il faut admettre qu’il est difficilement imaginable de vivre sans électricité, n’en déplaise aux animaux nocturnes.

Un pays riche en ressources mais pauvre en énergie

Alors que Madagascar est le cinquième pays le plus pauvre au monde, son déficit d’électrification entretient le cercle vicieux du sous-développement qui freine lui-même la capacité de l’État à financer une politique d’accès à l’énergie. De fait, si la situation du pays est si alarmante, c’est parce que l’accès à l’énergie est un socle de l’émergence de par son soutien à l’éducation, à l'emploi, à la sécurité, à l’économie ou encore au bien-être des populations.

D’après la Commission Européenne, en 2020, le taux de couverture en électricité du pays se situait entre 15 % et 17 %. Ce taux masque les fortes disparités existant entre les zones urbaines et rurales dans lesquelles on relève respectivement un taux de 55 % et de 5 % d’accès. Le déséquilibre est d’autant plus important que plus de 70 % de la population malgache vit en zone rurale. Par ailleurs, si les habitant.es des villes sont favorisés.es, leur situation est loin d’être stable. En raison de la faiblesse du réseau en place, ces derniers subissent des coupures d’électricité - ainsi que d’eau - récurrentes. Fin 2021 et début 2022, ces interruptions incessantes ont suscité la colère des consommateur.ices qui sont descendus protester dans les rues d’Antananarivo. À cette occasion, une habitante de la capitale témoigne et affirme que si elle additionne les durées de toutes les coupures, elle ne dispose que de trois heures d'électricité par jour. Son cas n’est pas isolé et, en plus de forcer les usager.ères à interrompre leurs activités journalières, cet approvisionnement intermittent empêche ces mêmes personnes de travailler. Plusieurs commerçant.es - salons de coiffure, cybercafés, poissoneries, pâtisseries, …- ont ainsi pris la décision de suspendre temporairement leur activité car les pertes étaient trop importantes.

L’instabilité du réseau s’explique par les délestages opérés par la Jirama. Cette dernière est la compagnie nationale d’électricité et d’eau exploitant la majeure partie du réseau électrique du pays. Chargée de la moitié de la production électrique, de son transport et de sa distribution, la Jirama peine à honorer ses engagements en raison de difficultés financières. En dépit de sa taille qui lui permet de dominer le marché et d’être la principale bénéficiaire des différentes centrales du pays, elle nécessite en complément d’être fournie en électricité par des entreprises privées. Au fil des années et en raison de la hausse du cours du pétrole qui a fragilisé son activité, la Jirama s’est endettée à hauteur de 400 millions d’euros tandis qu’elle a un bilan déficitaire de 75 millions d’euros d’après la Banque Mondiale. En raison de l’insuffisance de la production électrique par les centrales existantes, la Jirama se voit ainsi contrainte d’opérer des délestages, c’est-à-dire réduire la charge du réseau en supprimant momentanément la fourniture de courant à un groupe d’usager.ères afin d’éviter un effondrement du réseau entier (CNRTL).

 

Les tentatives de l’État pour sortir de ce déficit énergétique

En 2020, la Banque Mondiale a observé que 60 % à 70 % des ménages vivant dans des zones couvertes par le réseau électrique avaient adopté l’électricité, preuve d’un réel souhait de la population de pouvoir faire de cette énergie un moteur de son quotidien, et de la nécessité d’action du gouvernement. Pour tenter de remédier à l’instabilité et à l’insuffisance du réseau, et ainsi impulser le développement de la Grande Île, le gouvernement a adopté une Nouvelle Politique de l’Électricité (NPE 2015-2030) fixant les objectifs à atteindre dans le domaine de l’énergie. Ces objectifs “ambitieux mais réalistes” d’après leurs rédacteurs visent un accès de 70 % des ménages à une source d’électricité ou d’éclairage moderne ; un équipement de 70 % des ménages en foyers de cuisson économe ; et un soutien de la transition vers un mix énergétique constitué à 80 % d’énergies renouvelables à l’horizon 2030 (NPE 2015-2030).

Cependant le gouvernement rappelle également dans ce plan les difficultés qui freinent ses ambitions. Parmi ces dernières, sa dépendance aux énergies fossiles qui a rendu le système national de production d’énergie instable et vulnérable aux aléas, ainsi que les subventions qu’il a mobilisé pour compenser la hausse des factures des clients de la Jirama, et qui ont largement pesé sur les finances publiques.

Par ailleurs, l’annonce du président Andry Rajoelina en janvier 2022 concernant la fin du délestage apporte un vent d’espoir pour les personnes reliées au réseau national. La fin définitive de ces opérations est annoncée pour 2027, année à laquelle la nouvelle centrale hydroélectrique de Sahokifa, au sud de la capitale, devrait être opérationnelle. Cette dernière constituera d’ailleurs un appui considérable pour le gouvernement dans la mesure où elle devrait pouvoir produire entre 190 mW et 300 mW, soit deux voire trois fois plus que la plus grande centrale actuelle du pays située à Andekaleka, à l’est de Antananarivo. À ce projet s’ajoute celui de Volobe situé au nord-est de la capitale, actuellement en pause, qui contribuera lui aussi à augmenter les capacités de production nationales et donc à réduire le prix du kilowattheure. D’après les prévisions, cette baisse du prix permettra à la Jirama de ne plus vendre son électricité à perte, et devrait donc participer à rendre le système national plus pérenne.

Pour soulager les populations et contrebalancer l’insuffisance actuelle de production, le gouvernement malgache souhaite mettre en œuvre des mesures de moyen-terme. D’ici 2025, le réseau national devrait par exemple être doté de 1100 km de lignes électriques supplémentaires. En 2019, ce réseau n’était composé que de 400 km de lignes à haute tension et 1000 km de lignes à moyenne tension (Le Monde avec AFP, 2019). L’objectif derrière cette extension du réseau est d’atteindre un taux d’accès à l’électricité de 50 % en 2025, cependant le manque de financements demeure la réelle faiblesse du pays.

Finalement, malgré tous les projets entrepris par l’État, celui-ci se repose encore largement sur les secteurs privé et associatif pour atteindre les objectifs qu’il s’est fixés.

 

L’appui vital d’acteurs non-étatiques pour l’atteinte des objectifs nationaux

En raison de cette incapacité des services de l’État de satisfaire les besoins de la population, beaucoup de Malgaches se tournent vers les acteurs privés qui ont profité de l’opportunité offerte pour s’installer dans le paysage énergétique.

Les mini-réseaux (ou mini-grid) comptent parmi les solutions proposées par les entreprises. D’après l’Alliance for Rural Electrification et l’ONG REN21, un mini-réseau est une unité de production locale d’électricité (entre 10kW et 10MW), alimentée par une ou plusieurs sources, et isolée des autres réseaux électriques (Les Horizons, 2020). En 2019, ces installations permettaient de fournir 1% de la population malgache en électricité. En parallèle de leur généralisation sur le continent, 530 nouveaux mini-réseaux devraient être construits à l’horizon 2030, soit plus de trois fois le nombre actuel (Sustainable Energy for All, 2019). Cette opération est soutenue par le gouvernement qui a adopté une mesure fiscale et douanière permettant aux opérateurs et acteurs accompagnés par des bailleurs de réduire leur coût d’importation de matériel d’électrification rurale. Il faut toutefois noter que les bénéficiaires de ces mini-réseaux, indépendants du réseau national, sont presque exclusivement les habitant.es des villes (hors capitale). Là encore, les habitant.es des zones rurales sont laissé.es de côté en raison, d’une part du désintérêt des investisseur.euses privé.es pour qui les villages concernés sont trop isolés donc nécessitent une installation trop coûteuse, et d’autre part de l’incapacité des ménages à souscrire à l’électricité vendue par les promoteurs. Pour donner un ordre d’idée, la Banque Mondiale estime que dans le pays, le coût d’alimentation d’un réfrigérateur pendant un an représente 16 % du PIB par habitant (Banque Mondiale, 2020).

De plus, alors que moins de 50 % de la production électrique du pays provient des énergies renouvelables, les entrepreneur.euses ont rapidement pris conscience du potentiel de l’île en termes de ressources renouvelables. Iels proposent ainsi aux habitant.es des lanternes solaires ou autres dispositifs solaires domestiques à la location, ou avec un règlement au comptant, en crédit-bail, ou encore en paiement “à la carte”, c’est-à-dire que les client.es ont la possibilité d’échelonner leur paiement sur une période allant de plusieurs mois à plusieurs années. On recense environ une dizaine d’entreprises “importantes” dans la vente de kits solaires hors-réseaux (ou off-grid) dans le pays. Cependant, seuls la moitié d’entre elles vendent des produits dont la qualité est vérifiée et correspond aux standards Lighting Global, organe émanant de la Banque Mondiale. Fin 2018, un total d’un million de kits avait été vendu sur l’île - en forte progression depuis 2015. Mais alors que les produits fournis ne sont pas toujours de bonne qualité, leur revente par le biais de réseaux informels réduit encore la possibilité de connaître l’origine et la qualité du produit vendu. Souvent les kits sont vendus par des vendeurs de route n’offrant aucune garantie de qualité ou de service après-vente (Sustainable Energy for All, 2019). Malgré tout, les consommateur.ices se tournent encore largement vers ces solutions alternatives qui demeurent tout de même moins chères que le raccordement au réseau national - dans la mesure où celui-ci est possible - ou à des mini-réseaux tandis que la qualité du service fourni est similaire, voire supérieure. D’après les prévisions du gouvernement, environ 85 % des ménages devraient avoir accès à l’électricité à terme grâce aux dispositifs solaires hors-réseaux (Sustainable Energy for All, 2019).

Pour compléter ce maillage d’acteurs participant à l’électrification du pays, il faut citer les start-up, ONG et organisations internationales œuvrant dans une visée solidaire. Depuis plusieurs années, nombre d’entre elles s’associent pour mettre en place des projets dans les zones les plus reculées et les moins desservies du pays.

 

Dans cette optique, Travaux Publics Sans Frontières réalise un projet d’électrification rurale sur l’île. En partenariat avec l’Association des Ingénieurs pour le Développement des Énergies Renouvelables (AIDER) et Électriciens Sans Frontières, avec qui l’accord est en phase finale de signature, nous allons étendre le réseau électrique existant grâce à la construction d’une microcentrale hydroélectrique sur le site d’Andriatsemboka, au nord-est de la capitale. En effet, en 2009 une picocentrale hydroélectrique a déjà été réalisée par l’association locale AIDER or sa capacité de production n’est pas suffisante. Grâce à la réalisation de notre microcentrale, plus de 9000 personnes auront un accès à l’énergie permanent et sécurisé. Cet accès permettra notamment aux paysans cultivant le riz de faire tourner leurs décortiqueuses à l’aide de moteur électrique, s’affranchissant ainsi des moteurs thermiques très coûteux du fait du prix élevé du gasoil.

 

 

 

 

Sixtine Viry

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