8 chiffres pour comprendre les inégalités en France et dans le monde

Doit-on instaurer une taxe sur les plus grosses fortunes mondiales afin d’enrayer les inégalités ? C’est en tout cas la position d’Oxfam qui publie un nouveau rapport à l’occasion du Forum de Davos qui a ouvert ses portes le lundi 16 janvier, affichant l’ambition de « coopérer dans un monde fragmenté ». Intitulé « La loi du plus riche : pourquoi et comment taxer les plus riches pour lutter contre les inégalités ? », ce rapport fait l’état d’un creusement des inégalités entre les plus riches et les plus pauvres, accentué par des crises successives.

L’année dernière, l’ONG de lutte contre les inégalités publiait, à la même date, un premier rapport « Dans le monde d’après, les riches font récession » et dénonçait déjà l’enrichissement des plus riches.

En France, la baisse des impôts renforce les inégalités

• Le nombre de milliardaires en France a été multiplié par 3 en dix ans

La France compterait, selon le classement 2022 de Forbes France, 42 milliardaires dont six femmes, soit trois fois plus qu’en 2002 et leur richesse a été multipliée par quatre en dix ans. Parmi eux, huit milliardaires sur dix auraient hérité de leur fortune. Sans être milliardaires, 120 000 personnes ont un patrimoine supérieur à cinq millions d’euros et 6 000 personnes, un patrimoine supérieur à 50 millions d’euros. 

Cette part de la population représente une majorité de la richesse créée en France. Sur 100 euros de richesse, Oxfam estime que 35 euros sont captés par les 1 % les plus riches, et 32 euros par les neufs suivants. Au contraire, seulement huit euros vont aux 50 % les plus précaires. Même constat à l’échelle mondiale où les 1 % les plus riches détiennent près de la moitié de la richesse mondiale contre 0,75 % pour les 50 % les plus pauvres.

• Les 10 % des plus riches ont capté 22 % des baisses d’impôts

Le système redistributif français fonctionne-t-il ? La redistribution des richesses permet-elle de réduire les inégalités ? L’étude montre, en tout cas, que les politiques fiscales en France suivent une tendance générale de baisse des impôts au profit des plus riches, prenant en exemple les mesures instaurées lors du premier quinquennat d’Emmanuel Macron : suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (-3,5 milliards d’euros), instauration de la flat tax (-1,5 milliard d’euros), baisse de la taxe d’habitation pour les 20 % les plus aisés (-6 milliards de d’euros), baisse de l’impôt sur le revenu (-5 milliards d’euros), baisse de l’impôt sur les bénéfices (-10 milliards d’euros) ou encore la baisse de l’impôt de production (-10 milliards d’euros). Les 10 % les plus riches auraient ainsi capté 22 % de ces baisses d’impôts contrairement aux 10 % les plus précaires qui auraient bénéficié de seulement 6 %.

• La fortune de Bernard Arnaud a augmenté de 93 % depuis 2020

Entre 2020 et 2022, la fortune du patron de LVMH, l’homme le plus riche de la planète (en décembre 2022), est passée de 85,7 milliards d’euros à 179 milliards d’euros. Résultat : elle a presque doublé alors que les Français vivent, depuis 2020, une crise multiforme – Covid-19, guerre en Ukraine, hausse du prix de l’énergie, inflation. 

Mais Bernard Arnault n’est pas le seul à avoir vu sa fortune augmenter, notamment grâce aux aides mises en place par le gouvernement durant la crise du Covid-19. En effet, entre mars 2020 et mars 2021, la fortune des milliardaires français a, en moyenne, augmenté de 59 %. Selon l’étude d’Oxfam, cinq milliardaires français sur six sont plus riches aujourd’hui qu’ils ne l’étaient avant la pandémie…

• Imposer de 2 % la fortune des milliardaires français permettrait de financer le déficit des retraites

« Nous proposons un projet d'équilibre (…) qui demande de travailler progressivement plus longtemps, mais il y a vraiment des avancées », a annoncé la Première ministre Élisabeth Borne le 10 janvier au sujet de la réforme des retraites. L’objectif, selon le gouvernement : combler le déficit des retraites. Et si Oxfam avait trouvé la solution ? Dans son rapport, l’ONG démontre qu’une taxe de 2 % sur la fortune des milliardaires français (544,5 milliards d’euros) permettrait de financer le déficit des retraites (12 milliards d’euros).  

À l’échelle mondiale, le développement humain est en recul

• La richesse des milliardaires augmente de 2,7 milliards de dollars par jour depuis 2020

Depuis le début de la pandémie, 1 % des plus riches ont capté deux tiers des richesses créées, soit six fois plus que les 90 % les plus pauvres. Leurs fortunes n’ont cessé d’augmenter (+2,7 milliards de dollars par jour). En parallèle, les salaires de 1,7 milliard de personnes n’augmentent pas au rythme de l’inflation. Selon Oxfam, depuis 2020, les dix premiers milliardaires français se sont enrichis de 189 milliards d’euros, soit l’équivalent de deux ans de factures d’électricité, gaz et carburant des Français. 

• Les entreprises du secteur de l’énergie et de l’alimentation ont doublé leurs bénéfices en 2022

Alors que, selon le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), l’inflation aurait fait basculer 71 millions de personnes dans la pauvreté entre mars et juin 2022, les entreprises du secteur de l’énergie et de l’alimentation ont, quant à elles, vu leurs bénéfices multipliés par 2,5 avec une hausse de 256 % en 2022 par rapport à la période 2018-2021. Une augmentation des profits qui aurait permis de verser 257 milliards de dollars de dividendes aux actionnaires. Pendant ce temps-là, les ménages les plus pauvres subissent cette hausse des prix. En 2022, le prix de l’énergie devrait être 59 % plus élevé qu’en 2021. 

• Le taux d’imposition réel de la fortune d’Elon Musk est de 3,2 % entre 2014 et 2018

Pour illustrer les écarts de richesse entre les plus riches et les plus pauvres, le rapport d’Oxfam soulève la question des avantages fiscaux accordés aux plus grosses fortunes. Par exemple, entre 2014 et 2018, Elon Musk aurait bénéficié d’un taux d’imposition réel de 3,2 %. A contrario, une vendeuse sur un marché en Ouganda doit supporter un impôt sur ses bénéfices de 40 %...

• Taxer de 5 % la fortune des multimillionnaires et des milliardaires permettrait de sortir de la pauvreté deux milliards de personnes

Plusieurs institutions ont tiré la sonnette d’alarme sur l’état des inégalités mondiales. Selon le FMI, un tiers des pays seront en récession en 2023. Même constat pour le PNUD qui a annoncé que, pour la première fois, le développement humain est en recul dans neuf pays sur dix. Plus inquiétant encore, la Banque mondiale estime que l’objectif d’éradication de la faim dans le monde ne pourra être atteint, comme prévu, à l’horizon 2023. « Les progrès accomplis dans la réduction de l’extrême pauvreté ont été stoppés », a-t-elle alerté. 

Comment enrayer ce creusement des inégalités ? Oxfam préconise une fiscalité forte sur les plus riches et défend l’instauration d’une taxe de 5 % sur la fortune des multimillionnaires et des milliardaires dans le monde. Cela permettrait de collecter 1 700 milliards de dollars par an : une somme suffisante pour sortir de la pauvreté deux milliards de personnes et mettre en œuvre un plan d’éradication de la faim.

Lisa Domergue