À l’occasion des JOP, des associations veulent faire résonner les voix des Afghanes
Pendant les Jeux olympiques et paralympiques, plusieurs athlètes ont brandi des messages pour alerter sur la situation des femmes en Afghanistan. Pour les associations présentes en France, l’oppression des droits des femmes doit alerter davantage l’opinion publique et l’État.
Jeudi 29 août 2024. Zakia Khudadadi, membre de l’équipe des réfugiés, remporte le bronze en parataekwondo. La médaille est historique pour cette athlète afghane qui a fui son pays il y a trois ans, après l’arrivée au pouvoir des Talibans et avec eux l’interdiction complète pour les femmes d’accéder à toute pratique sportive en dehors de chez elles.
Invitée dans de nombreux médias, Zakia Khudadadi, qui vient de décrocher la première médaille de l’histoire de l’équipe des réfugiés aux Jeux paralympiques, en profite pour alerter sur la situation des femmes de son pays. « S’il vous plaît, n’oubliez pas les Afghanes », lance-t-elle sur le plateau de l’émission « Quels jeux ! », animée par Léa Salamé sur France 2.
Cette médiatisation « presque comme si c’était une médaille française » réjouit les associations de soutien aux Afghans en France, qui souhaitent que la situation des femmes en Afghanistan prenne plus d’ampleur dans l’espace public. « Quand on a vu cette adoption de Zakia par le public et les médias français, on s’est dit que l’on pouvait toucher plus facilement l’opinion », explique ainsi Elyass Sayd, trésorier du collectif N’oublions pas l’Afghanistan.
Des messages portés par les athlètes malgré l’interdit
Ce rassemblement d’associations s’est constitué formellement il y a un peu moins deux mois, après déjà plusieurs évènements organisés ensemble pour le Nouvel An, la fête de l’indépendance (la fête nationale afghane), l’Aïd et à la fête de l’Humanité.
Constitué d’une petite centaine de personnes issues des associations Terre2cultures, Enfants d’Afghanistan et d’ailleurs, Madera, le Cercle persan et Afghanes de France, le collectif N’oublions pas l’Afghanistan a organisé dimanche 1er septembre un événement de sensibilisation à Paris, invitant des responsables associatifs et des sportives afghanes à témoigner.
Parmi elles, était notamment présente la break danseuse afghane Manizha Talash, disqualifiée le 9 août lors d’une battle après avoir porté une cape sur laquelle était inscrits les mots « Free Afghan Women ». Un geste interdit en raison de la neutralité politique imposée par la charte olympique, mais que la danseuse revendique fièrement.
« C’est avant tout un message humain. Il y a des droits oppressés et il faut faire quelque chose pour cela », défend avec elle Fatema Salehi, membre de Terre2cultures.
Parmi les athlètes afghans présents durant les jeux, trois femmes, qui s’entrainent à l’étranger, faisait partie de la délégation afghane, mais sans bénéficier d’aucune reconnaissance par le gouvernement des Talibans. « En ce moment, le sport féminin a été arrêté en Afghanistan. Si le sport féminin n’est pas pratiqué, comment ces trois femmes peuvent-elles faire partie de l’équipe nationale ? », a déclaré Atal Mashwani, porte-parole du gouvernement taliban pour le sport.
« Je représente les rêves volés et les aspirations de ces femmes. Celles qui n'ont pas l'autorité de prendre des décisions en tant que personnes libres », a répondu face à cette situation Kimia Yousofi, spécialiste du 100 mètres, réfugiée en Australie et membre de la délégation Afghane à Paris.
Faire entendre des voix réduites au silence
« Ce sont des messages forts », estime Elyssa Sayd. « Il y a une réelle injustice qui se passe et personne n’en parle », s’indigne-t-il, faisant référence aux femmes d’Afghanistan opprimées et astreintes au silence.
Depuis leur arrivée au pouvoir en 2021, les Talibans ne cessent de durcir les restrictions imposées aux femmes dès leur jeune âge. Après l’interdiction de travailler, d’étudier ou même de se promener seules, c’est désormais le son de leur voix qui est jugée illicite par les fondamentalistes islamistes. Un nouveau flot législatif au cours du mois d’août a ainsi interdit aux femmes de réciter ou de lire en public, et ce même si le son parvient depuis chez elles.
« La seule autorisation qui leur reste, c’est de respirer », désespère Fatema Salehi. Cette ancienne journaliste de télévision a quitté Kaboul il y a trois ans, juste avant la prise de pouvoir par les Talibans. Désormais installée à Dax, elle est médiatrice interculturelle au sein de l’association Terre2cultures, qui œuvre pour l’insertion professionnelle des personnes réfugiées par le biais de l’agriculture. « Les Talibans transforment le domicile en prison », décrit-elle.
La santé physique et mentale des femmes afghanes en danger
Confinées à l’intérieur de leur maison, les femmes afghanes voient leur santé mentale et physique se dégrader, ajoute Elyass Sayd, revenant sur une table ronde qui s’est tenue le 1er septembre La sédentarité imposée cause des problèmes de développement aux enfants et adolescentes tandis qu’elle accélère chez les adultes un vieillissement prématuré, dénonce-t-il. Chez les femmes, le taux de suicide a grimpé en flèche.
« J’étais tout le temps stressée », témoigne Zenat Aftab, rencontrée à Paris. La jeune Afghane de quinze ans est arrivée en France il y a un an, pour rejoindre son père, cofondateur et directeur adjoint de Terre2cultures. À Paris, elle a retrouvé les bancs de l’école qu’elle avait été contrainte de quitter en 2020, brutalement, en une demi-journée.
« Beaucoup de mes amies de mon âge ont été forcées à se marier », raconte la lycéenne originaire de la ville de Baghlan, au nord-est de l’Afghanistan. Avant même l’arrivée des Talibans au pouvoir, il était difficile pour une fille de pratiquer du sport, explique-t-elle, en raison des préjugées qui persistaient dans la société.
« Mais il y avait quand même entre 10 et 20 % des femmes qui s’étaient mises à pratiquer un sport avant l’arrivée des Talibans », estime Fatema Salehi.
À Paris, Zenat Aftab a appris le français, s’est désormais mise au basket et rêve de travailler en tant que dentiste ou assistante dentaire. « Ça a été difficile au début mais maintenant c’est bon », lance-t-elle dans un sourire.
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L’état français interpellé
Pour les associations, la cause des femmes afghanes n’est pas assez défendue par les États, notamment la France. « Il y a eu d’autres évènements internationaux comme la pandémie de Covid ou la guerre en Ukraine qui ont fait que la situation des Afghanes a été un peu oubliée », considèrent ainsi Elyass Sayd et Fatema Salehi.
Le collectif avait invité dimanche Marie-George Buffet, ministre de la Jeunesse et des Sports de 1997 à 2002 et députée de la Seine-Saint-Denis de 2002 à 2022.
Cette même année, elle a fondé l’association Femmes ici et là-bas qui défend la liberté des femmes à pratiquer une activité sportive, partout dans le monde. Un engagement qu’elle poursuit déjà de longue date. En 2004, celle qui était alors secrétaire nationale du Parti communiste français avait notamment milité pour permettre à des femmes afghanes de participer aux Jeux olympiques d’Athènes et s’était rendu à Kaboul pour y apporter des survêtements et organiser un match mixte.
« Il faut que l’État français mette plus de moyens humains à disposition de ces femmes », affirme aujourd'hui l’ancienne élue. Avec son association, elle milite auprès du ministère des Affaires étrangères français pour qu’il ouvre plus de rendez-vous à l’ambassade d’Islamabad, au Pakistan, aux Afghanes qui ont fui leur pays. En France, en plus de l’aide administrative, Femmes ici et là-bas collabore également avec des communes pour aider des femmes ou des couples afghans réfugiés à trouver un domicile.
Marie-George Buffet appelle à davantage de mobilisation dans l’accueil des réfugiées d’Afghanistan, sur le modèle de ce qui a été fait vis-à-vis des réfugiés ukrainiens. « Les associations ne peuvent pas remplacer le rôle de l’État », appuie-t-elle mettant en avant la décision prise en juillet par la Cour nationale du droit d’asile qui a reconnu l’appartenance de l’ensemble des femmes afghanes à un groupe social susceptible d’être protégé comme réfugié.
Le collectif N’oublions pas l’Afghanistan, de son côté, continue d’informer et d’interpeller. Le 14 septembre, une manifestation est prévue place de la Bastille pour chanter un hymne en l’honneur des femmes.
Élisabeth Crépin-Leblond