Changement climatique : « toutes les stations de ski se posent des questions » sur leur transition
Face au changement climatique, de plus en plus de stations s’interrogent sur leur avenir et sur les moyens de créer une économie moins dépendante du ski. Les petites et moyennes stations se voient contraintes d’engager cette réflexion, parfois dans l’urgence, en raison de difficultés financières. Certaines grandes stations décident aussi de lancer cette démarche.

Les 55 kilomètres de pistes de ski de l’Alpe du Grand Serre, station située à 45 minutes de Grenoble (Isère), ont failli fermer cette saison. En cause : le déficit de la station, depuis plusieurs années. La communauté de commune de la Matheysine, chargée de sa gestion, lui a versé près d’un million d’euros de subventions l’année dernière. « Les élus ont dit stop. Nous n'arrivions plus à nous sortir de ce trou de financement », constate Coraline Saurat, présidente de la communauté de communes. Début octobre, ils ont voté pour la fin de l’exploitation des remontées mécaniques.
Un projet de transition était en cours d’élaboration, visant à faire de la station une destination touristique de toutes saisons. Au cœur de celui-ci : une nouvelle remontée mécanique, destinée à remplacer deux télésièges existants. Elle aurait permis d’accéder aux hauteurs du domaine, à 2 000 mètres et sans problèmes d’enneigement, pour y skier l’hiver et y randonner ou y faire du VTT l’été. Coût estimé du projet : 23 millions d’euros. Mais faute de financement, la collectivité « n’a pas réussi à le faire aboutir », regrette Coraline Saurat.
En raison d’une « forte mobilisation » des acteurs du territoire, notamment grâce à une collecte de fonds citoyenne, une poursuite temporaire de l'exploitation des remontées mécaniques existantes a été décidée pour la saison 2025. Mais les élus ont tout de même voté une fermeture pour l’année suivante. Des ateliers de co-constructions réunissant citoyens et professionnels sont organisés pour imaginer l’avenir de l’Alpe du Grand Serre. « Il faut amorcer une transition sans tourner brutalement la page du ski alpin, le poumon économique de la station », estime Coraline Saurat.
168 emplois sont liés à la station, ce qui représente 82 équivalents temps plein. Les bonnes saisons, le ski rapporte 1,2 million d’euros de chiffre d'affaires. En été, celui-ci s’élève au maximum à 40 000 euros, malgré l’existence d’un « bike park très réputé ». « Comment entamer ce virage hors du ski ? Nous ne sommes pas outillés pour le faire », déplore l’élue.
Plus de réflexion dans les stations de moyenne montagne
Les situations comme celle-ci pourraient se multiplier dans les années à venir. « Le modèle économique des stations de ski est durablement affecté par le changement climatique depuis le début du siècle », peut-on lire dans un rapport de la Cour des comptes sur le sujet publié en février 2024.
« Fragilisées par le manque d’enneigement et l’érosion de leur clientèle de skieurs, de plus en plus de stations ne sont déjà plus en capacité d’atteindre l’équilibre d’exploitation », poursuivent les auteurs. Jusqu'ici, « les politiques d’adaptation menées par les acteurs de la montagne reposent essentiellement sur la production de neige (...), une protection relative et transitoire contre les effets du changement climatique », tandis que les activités de diversifications sont développées « dans une proportion nettement plus réduite », indiquent-ils ensuite.
Face au changement climatique, « peu de stations sont au stade de la transformation, mais toutes se posent des questions », estime Fiona Mille, présidente de l’association de protection des montagnes Mountain Wilderness France. « Les stations de moyenne montagne sont presque dans l’obligation de se réinventer pour garder leur équilibre économique ». Elles rencontrent davantage de difficultés d’enneigement et les collectivités en charge de la gestion des stations ont de plus en plus de mal à assurer leur financement et la maintenance des remontées mécaniques.
En revanche, dans les stations de haute montagne, Fiona Mille observe des situations « très disparates ». Les problèmes d’enneigement les affectent moins. La mobilisation en faveur d’une transition en dehors du tout-ski y dépend donc plutôt « de la volonté politique » des élus, considère-t-elle.
À lire aussi : Huit initiatives pour voyager responsable en France
Anticiper la transition à long terme
À la station des Arcs, par exemple, une dynamique est en cours, même si la part de l’activité liée au ski ne devrait pas diminuer drastiquement à court ou moyen terme. Le domaine de Savoie comporte 425 kilomètres de pistes, en majorité situées au-dessus de 2 000 mètres d'altitude, et ouvre jusque fin avril. « Nous savons que les choses vont devenir plus complexes à l’horizon 2050 », indique cependant Guillaume Desrues, le maire de Bourg-Saint-Maurice, commune à laquelle est liée la station. « Les effets du changement climatique sont indéniables, tout le monde le voit, les limites pluie-neige s’envolent, c’est un crève-cœur », affirme-t-il.
Depuis son élection en 2020, l’édile déploie des projets de diversification des activités du territoire, puisque 80 % de l’économie de la commune dépend des cinq mois de la saison hivernale. Cela passe notamment par un élargissement de la saison touristique, notamment l’été, avec une valorisation de l'offre culturelle et patrimoniale, ainsi que le lancement d'un forfait multi-activités. Des réglementations sont également mises en place pour que davantage de logements soient habités à l’année, notamment une taxation des résidences secondaires. « Nous avons un vrai risque de dépopulation », souligne l’élu.
Nous ne sommes pas dans le déni. Il faut commencer à préparer l’avenir, anticiper, avec optimisme »
Guillaume Desrues, maire de Bourg-Saint-Maurice (Savoie)
« Un proverbe savoyard dit que “c’est quand il faut beau que l’on refait le toit”. Nous ne sommes pas dans le déni. Nous faisons face à de nouveaux défis. Il faut commencer à préparer l’avenir, anticiper, avec optimisme », affirme le maire. « Même avec moins de neige, je pense qu’il y aura toujours cette appétence pour venir à la montagne. On peut s’y ressourcer, se balader, faire des raquettes, jouer… À nous d’entretenir cet imaginaire ! »
« Les stations sont toutes sauf mortes dans l’avenir. Ce sont les portes d’entrées vers les montagnes ! Lorsque l’on parle d’un massif, généralement, on cite le nom de quelques stations », abonde Fiona Mille, la présidente de Mountain Wilderness France. « Elles sont aménagées, avec des routes, des lits, des infrastructures. On peut continuer à les exploiter. ». Encore faut-il que cet aménagement soit respectueux des écosystèmes et permette une véritable diversification économique.
Célia Szymczak