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Par Carenews INFO - Publié le 15 mai 2024 - 15:26 - Mise à jour le 22 mai 2024 - 16:51 - Ecrit par : Elisabeth Crépin-Leblond
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Les collectes de déchets en montagne, élèment révélateur d'un tourisme qui pollue

Prisées par les touristes, alpinistes et randonneurs pour leur beauté sauvage, les montagnes deviennent pourtant victimes d’abandon massif de déchets. Pour contrer ce phénomène, dans l’Himalaya, Français et Népalais ont participé ce mois-ci à une collecte, accompagnée de la construction d’un centre de tri.

Le projet « Carry me back » demandent aux touristes qui visitent l'Himalaya de repartir avec de petits sacs d'ordures. Crédits : Timon Schneider/iStock
Le projet « Carry me back » demandent aux touristes qui visitent l'Himalaya de repartir avec de petits sacs d'ordures. Crédits : Timon Schneider/iStock

 

Ramasser des déchets jusqu’au trek de l’Everest. L’Himalaya est malheureusement parfois loin de l’image préservée que l’on imagine. Dans les montagnes, la pollution laissée par les touristes de tous horizons s’accumule, transformant ces lieux reculés et jusqu’à récemment vierges de toutes traces humaines en de tristes « décharges à ciel ouvert ».

Pour lutter contre ce fléau, des collectes sont organisées par l’armée népalaise ou par des associations. Ce mois-ci, les alpinistes français Marion Chaygneaud-Dupuy et Breffni Bolze, ainsi que plusieurs bénévoles et sherpas, participent à une expédition de nettoyage organisée par l’ONG de protection de la montagne Mountain Wilderness. 

 

Bouteilles d’oxygène, restes de tentes et excréments

Le but de l’expédition : collecter le plus de déchets possible au niveau du camp de base de l’Everest, situé à 5300 mètres d’altitude, et de son trek d’accès jusqu’aux pentes de l’Ama Dablam, un sommet qui culmine à 6800 mètres d’altitude.

« À ces hauteurs, les déchets, même organiques, ne se décomposent pas », explique Aude Guiomar, directrice générale adjointe de l’association Gestes Propres. Source de poids important dans ces conditions extrêmes, de nombreux déchets sont abandonnés sur place par ceux qui tentent d’atteindre les sommets. 

Dans les camps d’altitude où stationnent les alpinistes, les excréments s’accumulent sans se dégrader à côté des bouteilles d’oxygène, des tentes, des emballages plastiques et des restes de nourriture abandonnés, témoignent notamment Breffni Bolze et Marion Chaygneaud-Dupuy, installée dans l’Himalaya depuis plus de vingt ans et qui a coordonné l’opération Clean Everest entre 2016 et 2019.

 

Descendre les déchets des montagnes, des opérations de l’extrême

Breffni Bolze est quant à lui ambassadeur de Gestes Propres, associée à la collecte de Mountain Wilderness. Cet ingénieur en environnement et alpiniste est engagé depuis 20 ans dans le nettoyage des montagnes. 

En 2014, son expédition menée sur l’Elbrouz en Russie, entre 3 800 et 4 700 mètres d’altitude, a permis de récolter environ 2 tonnes de déchets abandonnés sur trois lieux de nettoyage. En 2019, 800 kilos de déchets ont été collectés sur le Mustagh Ata, un sommet qui culmine à plus de 7 000 mètres, situé en Chine en région ouïghour. 

Chaque année, environ 10 tonnes de déchets seraient abandonnés sur les pentes du toit du monde. En 2021, une opération menée par des soldats népalais accompagnés de sherpas sur l'Everest et cinq sommets environnants avait conduit à descendre plus de 35 tonnes de déchets, dont environ 18 tonnes pour les seuls camps de base. Une opération qui avait coûté près de 89 000 euros.


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Un centre créé par des étudiants pour trier le plastique

Au Népal, les déchets collectés ce mois-ci par Mountain Wilderness ont vocation à être triés dans un centre en cours d’élaboration par Tri-Haut pour l’Everest, une association créée par des étudiants de l’école Grenoble INP ENSE3, qui collabore avec le SPCC (Sagarmatha Pollution Control Committee), une ONG népalaise chargée de la gestion des déchets de la Vallée de l’Everest.

Cette étape est indispensable pour éviter que les déchets ne polluent les eaux et les sols. Jusqu’alors, les expéditions formées pour nettoyer les pentes de l’Everest se contentaient de descendre les déchets plus bas dans la vallée, et une partie des plastiques atterrissaient dans des décharges à ciel ouvert, voire dans les rivières de l’Himalaya, explique sur son site Tri-Haut pour l’Everest. 

Le centre situé à Pangboche, le dernier village où des habitants résident à l’année avant le camp de base de l’Everest, permettra de traiter les déchets tout en en limitant la descente, difficile à réaliser en l’absence de routes. Son ouverture est prévue à l’été 2025.

 « Ce sera l’une des premières infrastructures de la vallée qui permettra de faire vraiment du recyclage », se réjouit Clémence Sangouard, étudiante ingénieure et bénévole de Tri-Haut pour l’Everest. 

 

Figurine de yack et objets du quotidien

 

Chaque année, une petite équipe de l’association part durant cinq mois à Pangboche pour développer le centre avec les habitants du village et l’ONG népalaise. Cette année, ils ont été rejoints par deux étudiants en architecture pour sa conception.

À l’intérieur, une machine permettra de nettoyer le plastique avant de le broyer, de le chauffer et de l’injecter dans un moule pour en faire un nouvel objet. Une première forme de yack permettra de réaliser des figurines destinées à être vendues aux touristes. « On réfléchit également à d’autres objets plutôt utiles aux habitants comme des pinces à linge, des plateaux ou des crochets pour les chambres. On fait des ateliers pour avoir des idées de leur part », ajoute Clémence Sangouard. 

Le reste des déchets, comme le métal ou d’autres plastiques, sera redirigé par le SPCC pour être recyclé plus bas. L’ONG acheminera également au centre les déchets collectés le long des chemins de trek avant et après la saison touristique.


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La question de la production

Mais les collectes et le centre de tri ne suffiront pas à endiguer la pollution du tourisme, si celle-ci continue à son échelle actuelle. 

« Ce type d’opération est une façon d’attirer l’attention sur une problématique », explique Aude Guiomar. Pour l’association, qui met en place des campagnes et des panneaux contre l’abandon des déchets dans la nature et dans les villes, les collectes qu’elle soutient sont avant tout un moyen de sensibiliser.

Ces opérations ont aussi un rôle d’incitation, avec l’idée que plus un endroit est propre, moins ceux qui le fréquentent seront enclins à le polluer. « Le sale attire le sale et le propre attire le propre », résume Aude Guiomar.

L’association, qui a fourni des sacs de tri pour l’Everest, collabore également avec des mairies, des écoles de ski et des associations en France comme Mountain Riders, une organisation savoyarde qui réalise des collectes à la fonte des neiges. 

« Le meilleur déchet est celui qu’on ne produit pas. C’est aussi important de travailler sur les bons comportements. Même une peau de banane peut créer un déséquilibre dans les écosystèmes », rappelle Aude Guiomar. Dans les massifs alpins, on estime à 8 000 tonnes la quantité de déchets abandonnés, avec une concentration dans les zones touristiques et les stations de ski, explique la directrice générale adjointe de l’association.

Du côté de l'Himalaya, les autorités nationales et les associations locales semblent de plus en plus conscientes du problème. Le SPCC notamment emploie désormais 20 salariés pour collecter et trier les déchets au camp de base de l’Everest, rapporte les membres de l’expédition organisée ce mois-ci par Mountain Wilderness.

Mais la surfréquentation des sommets à très haute altitude par des alpinistes insuffisamment expérimentés pose question. Si du côté chinois de l’Everest, l’État a instauré des quotas pour grimper le sommet et contenir le problème, la solution semble difficilement envisageable pour l’État népalais, dont un quart de la population vit sous le seuil de pauvreté et qui touche plusieurs millions de dollars par an grâce aux permis accordés pour gravir le sommet.

 

Élisabeth Crépin-Leblond

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