Stations de ski et changement climatique : un modèle de transition difficile à trouver
Si de plus en plus de stations engagent des réflexions sur leur transition en dehors d’une économie reposant en majorité sur le ski, beaucoup n’approfondissent pas suffisamment leurs questionnements.

À Métabief (Doubs), une partie du domaine skiable a définitivement fermé cette saison, en raison des difficultés rencontrées par la station. Ses 37 kilomètres de pistes, situées entre 950 et 1 430 mètres d’altitude, manquent de neige. En cause, le réchauffement de la température moyenne hivernale, la réduction des chutes de neige et la remontée en altitude de la limite où les précipitations deviennent neigeuses plutôt que pluvieuses, la limite pluie-neige.
Mais cette fermeture s’inscrit dans un plan de transition de long terme en dehors de l’économie du tout-ski, établi depuis plusieurs années. Le Syndicat mixte du Mont d’or (SMMO), qui gère le domaine, envisage la fin du ski à horizon 2030-2035. Le choix du territoire est tout de même de faire perdurer la possibilité de skier « autant que possible », en investissant plus de 7 millions d’euros entre 2021 et 2027, notamment dans la maintenance des remontées mécaniques existantes. Mais aussi de former ses équipes et engager plus de 12 millions d’euros dans la transformation de la station en « station de montagne ». L’objectif est de varier les activités sur lesquelles reposent l’économie, en développant le vélo, la randonnée ou en installant une luge d’été, par exemple.
Le cas de Métabief est rare, sinon unique, puisque peu de stations planifient la diminution ou la fin du ski. Mais dans les cas où cette réflexion a lieu, la transition est une question complexe. « Il n’y a pas de modèle de transition » applicable à toutes les stations, indique Emmanuelle George, chercheuse à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), spécialiste des trajectoires d’adaptation des stations de sport d’hiver.
« C’est du sur mesure à chaque fois. C’est un long processus et il faut prendre le temps même si nous sommes dans l’urgence », déclare-t-elle.
Il est important, à ses yeux, d’effectuer un diagnostic de la situation « de la manière la plus systémique possible » en associant les habitants et les professionnels du territoire pour « déconstruire les idées reçues » et « nourrir une réflexion commune ». « Y-a-il des porteurs de projets ? D’autres dynamiques économiques et résidentielles que le tourisme ? Il faut prendre en compte tous les éléments spécifiques au territoire », détaille la chercheuse.
Une concertation organisée à Tignes
À Tignes (Savoie), par exemple, une concertation a été organisée par la mairie en 2023. Avec ses 300 kilomètres de pistes entre 1 500 et 3 500 mètres, la station fera partie de celles qui seront moins affectées par le changement climatique dans le futur. Mais ses effets sont déjà très concrets, notamment avec le recul du glacier de la Grande Motte.
Emblématique de la station, il permettait jusque dans les années 2000 d’y faire du ski toute l’année. « Nous avons vu cette possibilité s’atténuer jusqu’à disparaître », observe Olivier Duch, premier adjoint de la commune, chargé de la vie économique et du développement durable.
Dans la perspective d’un renouvellement de concessions de remontées mécaniques, la concertation « Imaginons Tignes 2050 » a permis aux citoyens et professionnels de s’interroger sur le futur du territoire. La volonté de « pérenniser la vie à l’année avec des saisonnalités qui permettent un travail sur une longue durée » est notamment ressortie de cette consultation. « Notre stratégie, c’est de continuer à faire du tourisme de masse, que nous ne voyons pas comme un gros mot. Au contraire, c’est un tourisme accessible, qui n’est pas réservé aux élites », indique Olivier Duch. Il est conscient que l’impact écologique sur les écosystèmes pourrait se renforcer avec le développement du tourisme l’été. « Cela suppose de canaliser les flux de clientèle vers des activités afin de maîtriser l’empreinte écologique, notamment en développant notre secteur de randonnées dans des secteurs déjà aménagés », avance-t-il.
Notre stratégie, c’est de continuer à faire du tourisme de masse, que nous ne voyons pas comme un gros mot. Au contraire, c’est un tourisme accessible, qui n’est pas réservé aux élites »
Olivier Duch, premier adjoint de Tignes, chargé de la vie économique et du développement durable.
La Stratégie transition 2030, adoptée par le conseil municipal en 2023, vise donc à « disposer d’une offre touristique multi-saison et responsable » et à maintenir la vie à l’année. « Il y a encore du chemin pour cela, précise Olivier Duch. Nous sommes en bout de vallée, sur un site naturel extraordinaire, mais loin des grandes agglomérations. Nous souhaitons qu’il y ait une vie permanente et qu’il fasse bon vivre, mais nous avons conscience que le cœur d’activité restera l’hiver et l’été ».
Des projets similaires pour des territoires divers
Souvent, les réflexions portent sur une prolongation de la saison touristique, sur des modèles de « tourisme quatre saisons » ou deux saisons. Dans ces cas, Emmanuelle George s’inquiète d’une tendance qu’elle observe dans « beaucoup de territoires ». Les stations mettent en place des équipements qui se ressemblent, « complémentaires au ski » : des centres aquatiques, des luges d’été, des tyroliennes... « Il faut spécifier son offre en fonction de son territoire et de son histoire », estime au contraire la chercheuse.
« Les stations restent dans un paradigme d’aménagement et grignotent des espaces naturels. La richesse de nos territoires, c’est justement qu’ils ne sont pas aussi aménagés que ceux situés dans la valléen », avance Fiona Mille, présidente de l’association de protection des montagnes Mountain Wilderness France. « On n'arrive pas à mettre de l’argent dans l’humain, des projets de découverte et de sensibilisation à la montagne. Pourtant, on peut être créatifs. » Des activités pédagogiques et culturelles autour de la découverte de la gastronomie locale, de la faune et de la flore ou du massif peuvent selon elle utilement être mises en œuvre.
Penser la transition à l'échelle des territoires
« Une économie basée uniquement sur le tourisme, cela peut aussi être une forme de fragilité », ajoute Emmanuelle George. Mais toutes les stations ne peuvent pas diversifier leur économie largement avec d’autres activités. « Les stations où il y a des artisans locaux et des services publics peuvent être réhabitées à l’année. Ce n’est pas le cas de celles qui ont été créées hors sol avec le Plan Neige », explique Fiona Mille. Ces politiques publiques d’aménagement des montagnes lancées en 1964 ont conduit à la création de stations en altitude.
« C’est pour cela qu’il faut penser le futur à l’échelle des territoires et non des seules stations. On ne retrouvera pas la manne d’or du ski et une station ne peut pas faire sa transition toute seule », indique-t-elle. « Très peu de territoires prennent la problématique dans toute sa complexité », continue la présidente de Mountain Wilderness France. « Mais il y a d’autres perspectives possibles pour nos montagnes ».
Célia Szymczak