Communication, formation, interdiction : comment démocratiser l’achat en vrac ?
Utile pour réduire les déchets et l’impact environnemental de la consommation, l’achat en vrac peine pourtant à se développer. Il existe des moyens de le favoriser à l’échelle des consommateurs, des industriels, des distributeurs et des pouvoirs publics.
73 % des Français considèrent important ou très important l’impact environnemental de l’emballage des produits. Et pourtant, seule 30 % de la population achète en vrac. Un paradoxe mis en lumière par l’étude « Vers un baromètre économique de la filière du vrac et réemploi » publiée en mai par le cabinet Deloitte et le Réseau vrac & réemploi, une association de professionnels du secteur.
« Ce paradoxe est très général : il ne s’applique pas seulement au vrac. En marketing, on appelle cela le green gap », explique Fanny Reniou, maîtresse de conférences en marketing responsable à l’IGR-IAE Rennes. « C’est la différence que l’on observe entre les déclarations des individus et leur comportement réel ». Les habitudes des consommateurs sont très ancrées, continue la spécialiste du sujet. Transformer les comportements prend du temps.
Des campagnes de communications aux groupes d’usagers
L’information et la sensibilisation s’avèrent alors cruciales. Célia Rennesson, fondatrice du Réseau vrac & réemploi, en veut pour preuve l’effet de l’inflation sur la vente en vrac. « La communication de la grande distribution est très centrée sur les premiers prix », remarque-t-elle. « Les médias et les publicités se détournent du vrac et de la diminution des emballages, les Français y pensent moins ». Résultat : les ventes baissent. Pendant la pandémie de Covid-19, elle a observé une dynamique similaire : la priorité portée à l’hygiène et la santé éloignait les communications des préoccupations environnementales et de l’achat en vrac.
En revanche, pendant le Mois du réemploi organisé en mars par le réseau, les ventes augmentent grâce aux actions de communication et aux animations. « C’est la répétition qui fait qu’on adopte les pratiques », résume Célia Rennesson. Elle appelle à sensibiliser dès le plus jeune âge, à l’école. « Il faut que cela devienne inné chez les plus jeunes gens », affirme-t-elle. La communication peut aussi se faire à plus petite échelle. La chercheuse Fanny Reniou a constaté l’utilité des petits groupes d’usagers dans les associations ou sur les réseaux sociaux. Les consommateurs y partagent des astuces pour consommer en vrac.
Informer et former
L’information permet aussi de dépasser les idées reçues. Le manque d’hygiène et la perte de goût font partie des freins le plus souvent évoqués pour expliquer la réticence à acheter en vrac. Or, les modes de conservation des produits à domicile sont cruciaux pour éviter la perte de saveur des aliments. « Ce sont des choses que l’on doit réapprendre », avance Célia Rennesson.
Et outre l’information des consommateurs sur les bonnes pratiques, la formation des professionnels est indispensable. La logistique associée à la vente en vrac diffère de la mise en rayon de produits emballés. Il faut par exemple penser à bien refermer les emballages après en avoir vidé une partie dans les silos, mettre les produits plus anciens sous les plus récents et vérifier le caractère hermétique des contenants.
En 2020, des anomalies en matière d’hygiène ont été relevées dans 23 % des magasins proposant du vrac contrôlés par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Pour limiter ce problème, « il faudrait que la loi rende obligatoire les formations aux bonnes pratiques d’hygiène », martèle Célia Rennesson. Elle souligne toutefois qu’aucun consommateur n’est tombé malade à cause du vrac, en rappelant les scandales sanitaires impliquant l’industrie agro-alimentaire.
Rendre les produits davantage accessibles
Autre idée reçue : celle que le vrac est systématiquement plus cher que les produits emballés. Célia Rennesson précise que ce mode d’achat permet de maîtriser ses quantités, donc ses dépenses. Par ailleurs, « les consommateurs comparent souvent les prix de produits non comparables, des produits bios avec des produits issus de l’agriculture conventionnelle par exemple », regrette Fanny Reniou. Elle donne l’exemple d’une initiative utile destinée à mieux montrer aux consommateurs l’impact concret sur leur budget. Une enseigne avait rempli un caddie de produits en vrac et un autre d’équivalents emballés. Le montant économisé était affiché en gros. Pour le bio, le vrac coûte en effet 4 à 22 % fois moins cher que le préemballé, selon le baromètre du Réseau vrac & réemploi.
Mais les produits non bio achetés en vrac peuvent être plus coûteux que les produits emballés. En cause, les volumes moindres générés par les acteurs conventionnels. Pour l’instant, la grande distribution ne compte en moyenne que 36 références en vrac, contre 590 dans les magasins bios, selon le baromètre du réseau. Or, « beaucoup de consommateurs trouvent que le vrac est contraignant d’un point de vue logistique », alerte Fanny Reniou. S’ils doivent se rendre dans des magasins bio ou spécialisés, puis dans des supermarchés pour acheter l’ensemble de leurs courses, la contrainte devient encore plus importante.
Contraindre à l’achat en vrac ?
Pour accroître la vente en vrac, la loi Climat et résilience promulguée en 2021 prévoit que tous les commerces de vente au détail dont la surface est supérieure ou égale à 400 mètres carrés consacrent 20 % de leur surface de vente de produits sans emballage primaire à partir de 2030. Une initiative saluée par Célia Rennesson. « Nous attendons le décret d’application depuis trois ans », déplore-t-elle cependant, « cette lenteur administrative n’incite pas les grandes surfaces à développer le vrac ».
Pour Fanny Reniou, l’intervention des pouvoirs publics pour développer le vrac est primordiale. Quitte à instaurer plus d’obligations. « Quand le consommateur a trop le choix, il conserve ses habitudes », indique la spécialiste. « Lorsqu’on s’intéresse au vrac, on a tendance à regarder le sujet à travers l’individu. Or, les pratiques se modifient dès lors qu’il se passe des choses au niveau du marché, au niveau social. Il faut des initiatives de toutes les parties prenantes à cette échelle », conclut-elle.
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Célia Szymczak