Loi Agec : des propositions pour aller plus loin
Dans un rapport publié le 29 mai, deux parlementaires effectuent des recommandations pour renforcer l’application et les effets de la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (Agec), promulguée en 2020.
« Les acteurs se sont saisis de la loi Agec : l’enjeu, c’est d'accélérer et de massifier son déploiement », assure la députée Renaissance Véronique Riotton. Le 29 mai dernier, elle a présenté avec son homologue socialiste Stéphane Delautrette un rapport d’information destiné à faire le bilan de la mise en œuvre de cette loi.
Votée en 2020, la loi « anti-gaspillage pour une économie circulaire » comporte 130 articles répartis en cinq axes différents, allant de l’information des consommateurs à la lutte contre le gaspillage, en passant par la sortie du plastique jetable. Les parlementaires évaluent l’atteinte des objectifs de la loi et effectuent 100 recommandations destinées à renforcer ses effets, à partir de 120 auditions d’acteurs des collectivités, de l'industrie, de l’économie circulaire, de l’environnement et du réemploi. « C’est un important travail d’évaluation, il ne faut pas qu’il reste lettre morte », prévient Charlotte Soulary, responsable du plaidoyer pour l’association Zero Waste France.
Des « parents pauvres de la loi Agec »
La loi « a permis de mettre la France sur la voie d’un changement de paradigme en faveur de l’économie circulaire », peut-on lire en introduction du rapport. « On assiste depuis 2020 aux prémices de nouveaux modes de consommation et de production durables ». L'application d’une partie des mesures, comme la mention des caractéristiques environnementales des produits ou les premiers déploiements de l’indice de réparabilité envoie des signaux encourageants.
La loi « a permis de mettre la France sur la voie d’un changement de paradigme en faveur de l’économie circulaire »
Rapport d'information sur l'évaluation de l'impact de la loi Agec
En revanche, « l’organisation des producteurs reste largement concentrée sur l’aval du cycle d’un produit, et notamment sur le tri, la collecte et le recyclage. La prévention de la production de déchets, l’écoconception, et le réemploi ou la réutilisation restent les parents pauvres de la loi Agec », alertent d’emblée les auteurs.
Piloter les activités de réemploi
Un constat partagé par Guillaume Balas, délégué général de la Fédération Envie, réseau d’entreprises d’insertion de l’économie circulaire. La fédération salue plusieurs propositions des députés, comme l’élaboration d’un schéma directeur du réemploi national et l’organisation d’Assises du réemploi. Objectifs : définir des objectifs et trajectoires de réemploi, piloter les nécessaires transformations de la chaîne de production et réunir l’ensemble des acteurs concernés.
Selon Guillaume Balas, le secteur a besoin de ce pilotage pour mieux définir les rôles de chacun. Il met en garde sur des « concurrences qui menacent l’appareil de production existant ». Les distributeurs et les constructeurs, nouveaux entrants sur le marché, « veulent vendre des appareils reconditionnés à forte valeur ajoutée et conservent les appareils de bonne qualité ». Ils laissent donc aux autres structures, notamment celles de l’économie sociale et solidaire qui ne sont pas lucratives, des équipements plus difficiles à reconditionner et vendus moins chers. À cela s’ajoute la diminution de la consommation qui affecte les acteurs du réemploi. « La moitié des structures de réemploi risquent de disparaître », avertit Guillaume Balas. Il appelle donc à mieux les soutenir, comme le recommandent les auteurs du rapport.
Les députés Véronique Riotton et Stéphane Delautrette proposent de s’appuyer sur les contributions versées par les producteurs aux éco-organismes, les structures chargées de gérer la fin de vie des objets. 5 % de ces contributions sont dédiées au financement du réemploi et de la réutilisation. Les auteurs du rapport proposent de porter ce taux à 10 % au minimum. De plus, ils souhaitent assurer un meilleur débouché aux produits issus de l’économie circulaire grâce à la commande publique et favoriser les producteurs utilisant des pièces reconditionnées en modulant leur contribution aux éco-organismes.
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Des sanctions et des contrôles à renforcer
Le réemploi concerne aussi les emballages. Là encore, le bât blesse. Alors que la loi Agec prévoyait un taux de réemploi de 5 % en 2023, il est estimé à 0,3 % dans la filière des emballages ménagers. Charlotte Soulary appelle à déployer la consigne de bouteilles en verre pour le réemploi, à laquelle les rapporteurs se déclarent favorables. En règle générale, « il faut être plus ambitieux dans les objectifs et les trajectoires », soutient la responsable de Zero Waste France. Elle estime, comme les parlementaires, que chaque filière doit adopter des trajectoires de réduction des déchets.
« Il faut être plus ambitieux dans les objectifs et les trajectoires. »
Charlotte Soulary, responsable du plaidoyer de Zero Waste France
Pour le seul cas des plastiques à usage unique, la loi fixe l’objectif de mettre fin à leur mise sur le marché d’ici à 2040. La tendance est plutôt inquiétante : les tonnages mis en circulation ont augmenté entre 2018 et 2021. Fixer des objectifs ne suffit pas, il faut donc aussi renforcer les contrôles et les sanctions, selon les rapporteurs.
« Je pense en particulier à l’interdiction de la vaisselle jetable dans les fast-foods : en l’absence de sanctions, les entreprises sont moins incitées à respecter la loi. C’est la responsabilité des pouvoirs publics de ne pas laisser trop de temps avant de sanctionner », affirme Charlotte Soulary. En 2023, Zero Waste France a contrôlé de sa propre initiative plus de 400 fast-foods. La moitié ne respectaient pas les nouvelles réglementations. D’autres mesures, comme l’interdiction d’apposer des étiquettes non compostables sur les fruits et légumes et la mise à disposition de fontaines à eau dans les établissements recevant du public d’une capacité supérieure à 300 personnes, ne font l’objet d’aucun contrôle, regrettent les auteurs du rapport.
Lever les freins au déploiement des mesures
Charlotte Soulary pointe par ailleurs le « lobbying très important des acteurs économiques concernés ». Selon elle, ce lobbying a « réduit les ambitions de la loi au moment des décrets d’application ». Elle dénonce aussi les actions en justice des industriels. Les producteurs d’emballages plastiques ont par exemple attaqué le décret détaillant les fruits et légumes ne pouvant pas être vendus sous plastique. « À cause de ces actions, une bonne vingtaine de fruits et légumes sont exemptés. D’une loi ambitieuse, on se retrouve avec une loi à trous », résume la chargée de plaidoyer.
Pour préserver les avancées issues de la loi Agec, il faut aussi les défendre à l’échelle européenne, selon les rapporteurs. La Commission européenne a par exemple estimé en 2023 que l’indice de durabilité pour les smartphones de la loi Agec n’est pas compatible avec l’étiquette énergie prévue par la réglementation européenne. En effet, cet indice ne prend pas en compte le coût de la réparation, à l’inverse de l’indice français. « Le critère prix est pourtant très important », indique la députée Véronique Riotton. « C’est important que la France défende une vision ambitieuse de la réduction des déchets, c’est un combat à mener », confirme Charlotte Soulary.
La prochaine étape reste la reprise des mesures, notamment par le gouvernement. « L’économie circulaire s’impose comme un nouveau modèle très important », certifie Véronique Riotton, la co-rapporteure. Elle observe une « volonté d’avancer » de la part du ministère de la Transition écologique, mais aussi des « relais » au ministère de l’Industrie. « Je suis confiante sur le fait que nous allons continuer à travailler sur le sujet », conclut-elle.
Célia Szymczak