Cop 28 : quels enjeux pour demain ?
La Cop 28 établira le premier bilan mondial de l’Accord de Paris de 2015, pour ajuster les trajectoires des États pour les années à venir. Des discussions importantes auront également lieu sur les engagements financiers des pays du Nord vis-à-vis de ceux du Sud pour les aider à faire face au changement climatique.
La Cop 28 sur le climat se déroule du 30 novembre au 12 décembre 2023 à Dubaï, aux Émirats arabes unis. De nombreux observateurs ont souligné le choix paradoxal de Dubaï pour accueillir cette Cop et le scandale d’avoir confié la présidence de la rencontre à Sultan Al Jaber, PDG de la principale compagnie pétrolière émiratie. Au point que certains ont appelé au boycott de l’événement. Les ONG y seront néanmoins, pour faire face aux nombreux lobbyistes qui y représenteront les intérêts des énergies fossiles.
« Il reste beaucoup d’incertitudes sur l’ambition qu’aura la Cop 28 », reconnaît Rémy Rioux, directeur général de l’Agence française de développement (AFD). Malgré tout, les militants du climat osent espérer que la Cop permettra d’avancer sur plusieurs points. Passage en revue des grands enjeux de cette Cop 28.
Un bilan mondial de l’Accord de Paris
La Cop 28 marque en effet une étape importante pour le climat : elle sera l’occasion de faire un premier bilan mondial de l’Accord de Paris de 2015, afin d’ajuster les objectifs que se fixent les différents États pour limiter à 1,5°C le réchauffement climatique au cours du siècle.
« Dans le cadre de ce bilan mondial, qui se base sur les rapports du Giec, chaque pays doit évaluer et réviser ses prévisions et trajectoires de long terme en matière climatique », note Mathilde Bord-Laurans, responsable de la division Climat et nature à l’AFD. « L’accord sur le bilan mondial sera un élément clé de la Cop. Mais pour l’instant, les discussions avancent péniblement », ajoute-t-elle.
Pour atteindre l’objectif fixé par l’Accord de Paris, les ONG climatiques soulignent la nécessité d’accentuer les efforts. Comme l’explique Marine Pouget, responsable de la gouvernance internationale sur le climat au Réseau Action Climat, « nous demandons notamment que les États mettent en place un plan de sortie totale des énergies fossiles d’ici à 2050, ces énergies pesant dangereusement sur le changement climatique ». Malheureusement en la matière, les États producteurs d’énergies fossiles et les États consommateurs se renvoient la balle de la responsabilité. « Il est indispensable de sortir de cette opposition si on veut réussir la Cop 28 », alerte Arnaud Gilles, responsable climat-énergie-diplomatie à WWF France.
Celui-ci souligne aussi l’importance de « ne pas céder aux sirènes de technologies de capture et de stockage du CO2, que les États mettent souvent en avant comme une solution de compensation des émissions, mais qui aujourd’hui ne captent que 0,1 % des émissions, et coûtent très cher ». « La seule solution envisageable, c’est d’arrêter les énergies fossiles, de déployer ambitieusement les énergies renouvelables, et de préserver les puits de carbone naturels que sont les forêts ou les océans », ajoute-t-il.
Financer l’adaptation au changement climatique dans les pays du Sud
Autre gros sujet en jeu : la question du financement des actions d’atténuation ou d’adaptation au changement climatique dans les pays du Sud. En 2009, lors de la Cop 15, les pays développés s’étaient engagés à consacrer 100 milliards de dollars par an entre 2020 et 2025 pour soutenir l’action climatique de ces pays, en compensation de la responsabilité historique des pays riches dans le changement climatique et ses conséquences.
Or ce chiffre de 100 milliards par an n’a jamais été atteint jusqu’ici. En 2021, seuls 89,6 milliards de dollars ont été réunis grâce à des fonds à la fois publics et privés. Pourtant, l’objectif de 100 milliards est déjà largement insuffisant par rapport aux besoins : le programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) estime ainsi que les coûts du dérèglement climatique et les besoins de financement pour préparer les sociétés des pays en développement au changement climatique sont compris entre 203 et 365 milliards de dollars par an dans la décennie 2020. Oxfam estime même que ce besoin sera de 3 000 milliards de dollars en 2030.
« Les financements climat sont une nécessité pour certains pays, d’autant plus que la plupart des pays les plus vulnérables au changement climatique sont en situation de surendettement », souligne Guillaume Compain, chargé de plaidoyer climat à Oxfam France. Pour les ONG, l’augmentation des financements climat doit s’accompagner d’allègements de dette pour les pays vulnérables au changement climatique. « Et pour l’instant, la France, notamment, prévoit très peu de dons dans ses financements climat, indique Guillaume Compain. La part de dons doit augmenter significativement. »
L’enjeu du financement du Fonds pertes et dommages
Parallèlement, la Cop 27 de 2022 avait permis une avancée significative pour les pays du Sud, en prévoyant la création d’un fonds de financement des « pertes et dommages », afin de les aider cette fois à faire face aux dommages liés au changement climatique, comme la destruction de récoltes liée à des sécheresses, la perte de vies humaines liées à des ouragans ou des inondations, la destruction de routes, d’écoles, etc. Les pays du Sud subissent en effet de plein fouet les effets du réchauffement climatique, alors même que la plupart des émissions sont le fait des pays riches : les pays du G20 sont ainsi à l’origine de 75 % des émissions mondiales.
Depuis mars 2023, des discussions ont lieu entre États pour la mise en place opérationnelle de ce fonds. Faute de consensus, le texte adopté lors de la dernière réunion sur ce sujet, qui a eu lieu début novembre à Abu Dhabi, est « extrêmement décevant » selon les ONG : il ne prévoit aucune obligation pour que les pays riches contribuent au fonds, ni aucun objectif financier, alors que d’ici à 2030, les pays en développement pourraient subir des pertes allant jusqu’à 580 milliards de dollars par an. En particulier, les États-Unis ont gardé une position ferme dans ces discussions, refusant de lier émissions historiques et responsabilité de financer les pertes et dommages. « D’autres pays, notamment la France, l’Allemagne ou le Canada étaient plus en recherche de compromis », note Fanny Petitbon, responsable du plaidoyer chez Care France.
« Par ailleurs, l’enjeu est de définir quels pays vont pouvoir bénéficier de ce fonds, indique Thomas Melonio, directeur exécutif de l’innovation, de la stratégie et de la recherche à l’AFD. Il faudra croiser les critères entre les pays en vulnérabilité environnementale et les pays en vulnérabilité financière. Et également prendre en compte les pays dont l’économie peut être destabilisée par la lutte contre le changement climatique, par exemple l’Afrique du Sud, dont l’économie dépend en grande partie de l’exportation de charbon. Pour l’instant ces risques de transition sont peu pris en compte dans la finance climat. »
Les discussions sur ce dossier doivent reprendre à la Cop 28, sur la base du texte proposé début novembre. « Il est indispensable que ce fonds ne reste pas une coquille vide, souligne Fanny Petitbon. Mais le gros risque est qu’il n’y ait pas d’accord sur ce sujet à Dubaï. »
Veiller au respect des droits humains
Enfin, les ONG soulignent l’importance de la prise en compte de la question des droits humains dans les négociations sur le climat. Elles citent notamment l’exemple d’un projet de plantation d’arbres à grande échelle porté par TotalEnergies au Congo Brazzaville, qui a privé les populations locales de l’accès à la terre nécessaire à leur subsistance.
« Il est nécessaire de mettre en place le mécanisme de gestion des griefs prévu dans l’article 6 de l’Accord de Paris, et que ce mécanisme soit géré par une instance indépendante, avec une obligation de consultation libre et informée des populations autochtones, préalable à la mise en place des projets », estime Judith Lachnitt, chargée de plaidoyer international climat et souveraineté alimentaire au Secours catholique.
Camille Dorival