Coupe dans le budget de l’aide au développement : « le gouvernement est complètement à rebours du besoin mondial »
Bruno Le Maire a annoncé une baisse de 742 millions d’euros sur les crédits accordés à l’aide au développement. Une décision qui inquiète les ONG. Elle concerne notamment des situations de crise humanitaire, alors que les besoins ne cessent d’augmenter.
L’annonce de Bruno Le Maire a fait grand bruit le dimanche 18 février, au 20 heures de TF1. Les prévisions de la croissance économique sont réévaluées à la baisse en France, et il faut trouver 10 milliards d’euros en diminuant les dépenses de l’Etat. Parmi les postes concernés : l’aide publique au développement. Plus de 742 millions d’euros de crédits engagés par l’Etat sont annulés.
« On s’attaque à des budgets qui sont littéralement vitaux, ce n’est pas un effet de discours », alerte Louis-Nicolas Jandeaux, responsable humanitaire et financement du développement pour l’ONG Oxfam France. La baisse est significative. En 2022, la France a consacré 15,3 milliards d’euros à l’aide publique au développement.
Les agences de l’ONU ciblées
Cette part du budget est consacrée au développement des populations et des pays les plus pauvres de la planète, explique Louis-Nicolas Jandeaux. Elle peut être utilisée dans des situations de crises humanitaires, comme des guerres ou des famines. Mais aussi pour faciliter l’accès à l’éducation, à l’eau ou à la santé pour ces populations. Elle finance par exemple des programmes de soutien au développement de l’agriculture au Tchad, la mise en place de systèmes d'assainissement ou de transports publics en Afrique du Nord ou en Asie du Sud-Est, illustre le représentant d’Oxfam.
Ça nous inquiète vraiment parce que ces agences sont en première ligne face aux pires crises humanitaires de la planète »
Louis-Nicolas Jandeaux, responsable humanitaire et financement du développement, Oxfam France
Les associations ne savent pas exactement quels programmes seront concernés par les coupes. Mais elles devraient affecter les budgets accordés aux agences des Nations unies. « Ça nous inquiète vraiment parce que ces agences sont en première ligne face aux pires crises humanitaires de la planète », déplore Louis-Nicolas Jandeaux. « Le symbole est encore plus terrible ». Parmi ces agences : le Programme alimentaire mondial, qui apporte de l’aide alimentaire dans des situations d’urgence ou le Bureau de coordination des affaires humanitaires, qui délivre une assistance humanitaire en situation de crise.
Augmentation des besoins
Les pays les plus pauvres ont besoin de 27 000 milliards de dollars supplémentaires d’ici à 2030 pour faire face à leurs besoins en matière d’éducation, de santé et ou d’adaptation au changement climatique, selon les calculs d’Oxfam. Les crises humanitaires, notamment sous l’effet du changement climatique, vont s’aggraver. « Le gouvernement français est complètement à rebours du besoin mondial », estime Louis-Nicolas Jandeaux.
La France est le quatrième plus grand donateur mondial en volume, mais seulement le dixième en pourcentage du revenu national brut (RNB) selon l’OCDE. Le budget pour 2024 se limitait à une stagnation des dépenses d’aide au développement. Surtout, le gouvernement a reporté l’année dernière l’objectif attribuer en 2025 0,7 % du RNB à l’aide publique au développement à 2030. Cette promesse date pourtant de 1970. Elle a été inscrite dans la loi et votée à l'unanimité par l’Assemblée nationale en 2021. En 2022, la France y a consacré 0,56 % de son RNB. « Tout nous laisse à penser qu’il y a un vrai désengagement », fustige Louis-Nicolas Jandeaux.
Pour répondre aux besoins, Oxfam appelle à jouer sur les recettes plutôt que sur les dépenses, avec une plus grande taxation des richesses. Coordination Sud, une coalition d’ONG de solidarité internationale, plaide pour une hausse du taux et de l’assiette de la taxe sur les transactions financières.
Crédibilité sur la scène internationale
En plus des effets de cette coupe sur la situation des personnes en situation de grande pauvreté, la diminution du budget comporte, d’après Louis-Nicolas Jandeaux, un aspect symbolique. « La France renonce à ses objectifs, alors qu’Emmanuel Macron adore se présenter comme un champion du multilatéralisme sur la scène internationale. Il y a les discours, et la réalité des actes », affirme-t-il.
En juin dernier, la France accueillait le Sommet pour un nouveau pacte financier mondial. Un événement dédié à créer « les conditions d’un choc de financement pour qu’aucun pays n’ait à choisir entre la réduction de la pauvreté, la lutte contre le dérèglement climatique et la préservation de la biodiversité », peut-on lire sur le site de l’Elysée.
La décision de réduire les budgets « affaiblit très fortement la crédibilité de la France sur la scène internationale », conclut Louis-Nicolas Jandeaux.
Célia Szymczak