Dix ans de Wake up café : quand les entreprises participent à la réinsertion des personnes détenues
Wake up café fêtait ses dix ans, le 10 septembre à Paris, avec une journée de conférences et de réflexion. Cette association agit pour la réinsertion des personnes ayant été détenues. L’occasion de rappeler que les entreprises peuvent jouer un rôle et de casser les idées reçues sur le sujet.
Pour fêter les dix ans de Wake up café, c’est le lieu idéal : le Quai Liberté, au bord de la Seine à Paris. Le nom de ce bar et restaurant de l’économie sociale et solidaire n’a pas été choisi au hasard, puisqu’il embauche et forme des « wakeurs », des personnes ayant été détenues en parcours de réinsertion. Le projet est porté par l’association Wake up café, qui propose un accompagnement à des personnes pendant leur détention et à leur sortie pour trouver un emploi et se réinsérer durablement. Depuis 2014, 2 400 personnes ont été accompagnées et 87,4 % d’entre elles ne sont pas retournées en prison.
Au Quai Liberté, le 10 septembre, des bénévoles, salariés, représentants des pouvoirs publics ou de l’administration pénitentiaire et des partenaires se sont réunis pour assister à des conférences sur la réinsertion et se rencontrer. Parmi ces partenaires : les entreprises. Elles peuvent embaucher des wakeurs, mais aussi participer aux actions de l’association à travers des mesures de mécénat diverses. Leur rôle faisait l’objet d’une table ronde intitulée « Embaucher des wakeurs, la parole aux entreprises partenaires ».
Combattre les préjugés
« Je recrute des wakeurs aussi souvent que je peux », assure d’emblée Pierre Bouriez, administrateur délégué du groupe de grande distribution Louis Delhaize et par ailleurs président de l’association. Aux débuts du Wake up café, sa directrice et fondatrice, Clotilde Gilbert, l’a « un peu piqué au vif » en lui demandant si son entreprise était « capable de donner une seconde chance » à une personne n’ayant ni expérience, ni formation. « Elle me dit alors qu’elle connaît bien cette personne et que sa seule chance de ne pas récidiver est d’obtenir un emploi », se souvient-il. En appelant le manager chargé du recrutement, il confie qu’il « avai[t] quand même un peu le trac ! ». Finalement, le wakeur concerné est embauché en CDI. Pierre Bouriez fait part de sa sensation d’avoir alors « fait quelque chose de bien ».
Sans langue de bois, il revient sur les difficultés qu’il a pu rencontrer et sur les préjugés qu’il a pu ressentir. « Tous les poncifs peuvent sortir ! On a peur qu’ils soient violents », témoigne-t-il par exemple, avant d’assurer que toutes les peurs se dissipent très rapidement. Il n’y a eu « aucun cas de vol, aucun cas de violence » sur 50 recrutements. « Si vous êtes chef d’entreprise, n’hésitez pas à venir me voir », conclut-il en souriant, se sentant capable de convaincre et d’effacer les éventuelles inquiétudes.
Les rencontres entre salariés de Nespresso et wakeurs « démystifient tous ces fantasmes », abonde Jérémy Courbot, responsable du développement des compétences et du mécénat de l’enseigne.
AccOmpagner un projet
« Il y a un véritable engouement » de la part des collaborateurs pour soutenir Wake up café, confirme Marie Gripina, chargée de recrutement pour Nespresso. Ils peuvent bénéficier de quatre demi-journées sur leur temps de travail afin de participer aux actions de l’association, dans le cadre d’actions de mécénat de compétences, explique Jérémy Courbot. Ils peuvent notamment partager leur parcours professionnel. Des visites dans les boutiques sont organisées. La marque de café participe également à des ateliers pour « préparer les wakeurs à leur futur emploi », complète Marie Gripina. « Nous avons de belles réussites cette année sur l’embauche de wakeurs dans nos boutiques », ajoute-t-elle.
Pour les wakeurs, la mission n’était pas forcément plus simple que pour les entreprises. Ceux qui n’ont pas d’expérience ne connaissent pas les codes du monde du travail, d’où les ateliers proposés par Wake up café. L’association organise pour les personnes accompagnées un accueil de jour quotidien à horaires fixes, dédié au retour à l’emploi et à la reconstruction de soi. Certaines d’entre elles ne savent pas du tout quel pourrait être leur projet professionnel, ni même quelles sont leurs capacités : l’association leur fait notamment faire un bilan de compétences.
Surmonter les difficultés
Théo (le prénom a été modifié), lui, avait un projet bien défini. Après avoir passé un BTS tourisme en détention, il a souhaité travailler dans le secteur et s’est tourné grâce à Wake up café vers un groupe hôtelier qui l’a embauché. Il se remémore les courses à la sortie du travail, pour monter dans le dernier RER et respecter ses horaires, alors que les autres employés ne connaissaient pas sa situation. Aujourd’hui, il travaille toujours pour le groupe, à un poste plus élevé. « Le fait d’être bien dans une entreprise, notamment dans ce qu’on aime, fait qu’on ne sent pas toutes les contraintes », résume-t-il.
Une participante demande aux intervenants si l’embauche d’un wakeur est compatible avec toutes les contraintes professionnelles. En général, les contraintes sont « aménageables », indique Sandrine Peretti, directrice des ressources humaines du Quai Liberté.
Il faut « faire en sorte que ces salariés soient des salariés comme les autres ».
Gilles Mollard, ancien président de Truffaut
Il faut faire preuve de « bienveillance » et d’« exigeance », complète Gilles Mollard, administrateur du Wake up café et ancien président de Truffaut, entreprise qui a aussi embauché des wakeurs. « Mais ce sont des choses que l’on demande à tous les salariés » insiste-t-il, il faut « faire en sorte que ces salariés soient des salariés comme les autres ». Il faut « regarder l’avenir », estime également Pierre Bouriez du groupe Louis Delhaize. Selon lui, il est nécessaire de ne pas demander aux wakeurs ce qu’ils ont fait auparavant et de les voir comme des « professionnels » plutôt que comme d’anciens détenus. L’équipe de Théo, par exemple, ne connaît pas son passé.
Célia Szymczak