Aller au contenu principal
Par Carenews INFO - Publié le 1 février 2022 - 11:49 - Mise à jour le 21 juin 2022 - 12:26 - Ecrit par : Théo Nepipvoda
Recevoir les news Tous les articles de l'acteur

Harouna Sow, chef cuisinier réfugié : « Le Refugee Food donne la chance à tout le monde de s’exprimer »

Harouna Sow est chef-formateur de La Résidence, le restaurant d’insertion de l’association Refugee Food. Un véritable tremplin pour ce cuisinier originaire de Mauritanie. Rencontre.

Le chef Harouna Sow en pleine préparation. Source : Théo Nepipvoda
Le chef Harouna Sow en pleine préparation. Source : Théo Nepipvoda

 

Dans une cuisine exiguë du Ground Control, à Paris, l’odeur de la mousseline de bananes plantains s’échappe d’une casserole trônant sur un réchaud électrique. Mais elle rivalise avec une autre odeur, plus… hexagonale… celle de la choucroute en train de mijoter. Le chef d’origine mauritanienne, Harouna Sow, s’active pour préparer l’événement du soir. Au programme : un dîner réalisé à quatre mains, avec une cheffe alsacienne, qui mélange les deux cultures. « La banane plantain, j’en mets partout », concède le chef.

La Résidence, restaurant du Refugee Food

 

Ne soyez pas étonnés, vous êtes à La Résidence, le restaurant un peu particulier de l’association Refugee Food. Il se situe au Ground Control, un espace de restauration au style industriel puisqu’il est installé dans un ancien entrepôt de la Gare de Lyon. 

Des cuisiniers réfugiés s’essayent à la street food

Créée en 2018, La Résidence propose à un chef réfugié, pour une certaine période, de prendre les manettes de la cuisine et ainsi de faire ses armes dans le monde de la street food « haut de gamme ». Ici donc, pas de service à table. Seul un comptoir sépare la cuisine des clients souhaitant commander. 

Harouna Sow, avec son calme imperturbable, chapeaute et forme une équipe de six employés en insertion, tous également réfugiés. Il navigue dans la cuisine et montre minutieusement les gestes de coupe ou de dressage aux salariés : « n’oublie pas de mettre des gants », rappelle-t-il même à l’un d’eux, en train de préparer les petits plats de houmous pour la soirée à quatre mains. 

La préparation minutieuse des plats. Source : Théo Nepipvoda.

 

Quel est le parcours de Harouna Sow ?

Rien ne prédestinait pourtant le trentenaire originaire de Mauritanie à la restauration. « Avant d’arriver en France, je n’avais jamais mis les pieds dans une cuisine », raconte-t-il. 

Harouna Sow a découvert la cuisine en 2014. Source : Théo Nepipvoda.

 

À l'âge de deux ans, il suit sa famille, contrainte de s’exiler, chez sa grand-mère au Sénégal. Ses parents prennent finalement le chemin de la Suisse. Resté auprès de sa grand-mère, il sera envoyé au Mali jusqu’à ses 16 ans dans une école coranique. En 2012, en difficulté pour obtenir la nationalité mauritanienne, il décide finalement de prendre un vol jusqu’en Espagne puis de venir s’installer à Paris

Pour entreprendre ce voyage, le jeune homme a dû surmonter ses craintes personnelles : « Je me disais que là-bas, sans diplôme, j’aurais beaucoup de mal à réussir », se souvient le jeune homme. 

Après avoir obtenu son droit d’asile en 2014, Harouna Sow se pose la question de son avenir. Le bâtiment ? Ce n’est pas un milieu qui lui plaît. La restauration ? C'est un métier réservé aux femmes. 

Une voie tracée dans la cuisine

Mais au fur et à mesure des expériences, il réalise à quel point la cuisine lui correspond :

J’ai vu des hommes et des femmes qui travaillaient dans le calme, avec un certain ordre. C’est là que je me suis dit que ce métier me caractérisait. »

L’homme commence à gagner en expérience. Il propose même sa propre cuisine en tant que traîteur lors de petits événements, notamment d’entreprises. Mais en 2020, le Covid-19 met un coup d’arrêt à sa carrière. 

Un chef impliqué dans l’aide alimentaire

C’est alors que son chemin croise celui du Refugee Food. À l’époque, l’association avait déjà lancé son festival de cuisine, activité de base de l’association. Mais également son restaurant d’insertion La Résidence, et son offre de formations. Alors que la crise sanitaire se transformait peu à peu en crise sociale, l’association a souhaité prendre part à la solidarité en fournissant des plats à des personnes en situation de précarité. C’est alors que Harouna rejoint l’aventure pour gérer cette activité d’aide alimentaire, au départ en tant que bénévole, puis en tant que salarié.

En ayant lui-même bénéficié de l’aide alimentaire, pas question de faire une cuisine au rabais pour ces personnes en situation de précarité.  « Les bénéficiaires de l'aide alimentaire ont le droit de manger équitable, bon et dans la saisonnalité des produits », juge-t-il. Pour l’aide alimentaire, il utilise sans modération les épices qui dominent fièrement la cuisine. On retrouve du curcuma mais aussi d’autres moins connues : l’adja ou le ras el-hanout. Les mêmes épices qu’il utilise pour le restaurant.

Les épices de Harouna. Source : Carenews.

 

Un chef aux multiples activités

En effet, depuis, Harouna a repris les manettes de La Résidence, l'activité de restauration street food. Il réalise également des prestations de traîteur. Tout cela en continuant de chapeauter l’aide alimentaire qui lui tient particulièrement à cœur. 

La petite cuisine d’une vingtaine de mètres carrés ne peut d’ailleurs plus accueillir toutes ces activités. Refugee Food a donc délocalisé l’aide alimentaire et certaines activités dans la cuisine du restaurant Isana, quelques mètres plus loin, qui leur est prêtée une certaine partie de la journée.

Ce qui oblige Harouna Sow à courir entre les deux lieux pour garder une vue d’ensemble sur les équipes. Mais, dès qu’il franchit la porte de l’une ou de l’autre, il comprend immédiatement où en est la préparation et reprend sa casquette de chef en un éclair. Signe aussi de l’étroitesse du lieu, le comptoir d’Isana, réservé normalement à la vente, accueille cartons de produits mais aussi briques de lait et sachets de salade.

Une cuisine participative

Pour la vente directe, le chef mauritanien a voulu une cuisine participative. Ainsi, la carte est composée de plats liés aux nationalités des autres réfugiés travailleurs en insertion. D’ailleurs, Harouna estime qu’il n’est qu’un maillon de la chaîne, composée des autres cuisiniers mais également des producteurs : « Avant de cuisinier, il y a des milliers de personnes qui ont travaillé pour que je reçoive une bonne carotte, une bonne olive, du bon riz », estime le chef.

Une cuisine participative au Refugee Food. Source : Théo Nepipvoda.

 

Mais quel sera l’après Refugee Food pour Harouna ? Sur son profil Instagram (qu’il faut éviter de regarder si l’on a trop faim), il écrit en en-tête : « Partir pour grandir, revenir pour bâtir ». À terme, il aimerait peut-être revenir au Sénégal pour donner envie aux personnes sur place de développer une cuisine locale et de qualité.

Trois chefs passés avant lui 

Peut-être aura-t-il la même carrière que les trois autres chefs passés avant lui ? Nabil Attar, réfugié syrien, a été le premier chef de l’établissement. Il a ouvert un restaurant à Orléans, le Närenj, qui est l’un des mieux notés de la ville sur Tripadvisor.

Quoi qu’il en soit, Harouna Sow n’oubliera jamais l’importance qu’a eu le Refugee Food dans sa vie : « C’est incroyable ce que fait le Refugee Food. L’association donne la chance de s’exprimer à tout le monde », salue-t-il. Mais fini les louanges, un coup de téléphone arrête brutalement notre conversation. Il faut retourner en cuisine.

 

Théo Nepipvoda

 

Fermer

Cliquez pour vous inscrire à nos Newsletters

La quotidienne
L'hebdo entreprise, fondation, partenaire
L'hebdo association
L'hebdo grand public

Fermer