JO : le combat des associations pour intégrer les sans-abris à la fête
Expulsions hebdomadaires, restrictions de circulation prévues en été et délocalisations en régions… La promesse de jeux inclusifs et à héritage social positif promis pour Paris 2024 peine à se réaliser pour les personnes à la rue. Face à la faible réponse des pouvoirs publics, les associations se mobilisent pour alerter et lutter contre l’invisibilisation de cette population précaire.
« On n’a pas d’information », se désole Antoine de Clerck, coordinateur du collectif Le revers de la médaille. En cette période de préparation des Jeux olympiques, les associations qui œuvrent auprès des populations précaires font face à un flou. Le comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques (Cojop) avait promis une édition 2024 à héritage social positif. Dès la candidature de la ville, les organisateurs avaient défendu une vision du sport comme « un outil d’inclusion, d’insertion et d’intégration sociale », notamment auprès des personnes en situation de précarité et d’exclusion.
Mais moins de six mois avant la cérémonie d’ouverture des jeux, l’inquiétude est palpable chez certaines associations et les questions encore nombreuses. Elles craignent une forme de « nettoyage social » sans qu’aucune réelle solution ne soit proposée aux personnes à la rue quant à l'hébergement ou à l’accès aux différentes aides. « Il n’y a pas d’engagement ni de réelles concertations pour la prise en charge des personnes en situation d’exclusion », s’indigne Antoine de Clerck. Le 4 février, le collectif Le revers de la médaille, qui rassemble plus de 80 associations, a mené une action devant l’Arc de Triomphe pour alerter sur la situation des personnes sans-abris à l’approche des jeux. Leur message : « on n’est pas prêts ».
« On ne peut pas faire une grande fête chez soi et avoir des gens qui dorment dehors »
Le collectif avait déjà interpelé les pouvoirs publics lors d’une première action devant le Cojop et une lettre ouverte le 30 octobre.
Depuis, les associations ont été reçues par le Cojop, la mairie de Paris et les préfectures de police et d’Ile-de-France. Mais les réunions d’écoute et d’informations n’ont pas donné lieu à un véritable plan de lutte contre l’exclusion durant les jeux, estime Antoine de Clerck. Seule la ville de Paris a réuni un groupe de travail au sujet de l’aide alimentaire, soutient-il.
Sur la question de l’hébergement, la ville et la préfecture de région ont promis 100 places à proximité des sites olympiques pour les « grands marginaux », installés depuis longtemps dans la rue. Le collectif estime que pour une édition des jeux réussie, il faudrait ouvrir 7 000 places d'hébergement en Ile-de-France et 20 000 dans la France entière. « On ne peut pas faire une grande fête chez soi et avoir des gens qui dorment dehors en même temps. Ça ne peut pas faire une fête joyeuse et populaire », martèle leur coordinateur.
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Une liste de propositions adressée aux autorités
Les associations demandent également la mise en place d’un dialogue entre les acteurs de terrain et les services de police. Le renforcement de leur présence pour des raisons de sécurité fait craindre au collectif une diminution du recours aux aides, en particulier dans les 25 zones de festivités prévues. « Cette présence fait peur à un certain nombre de public : sans-domicile, personnes migrantes, usagers de drogue… Il y a un risque de non-recours si on n’adapte pas les dispositifs d’aides alimentaires, d’accès aux soins et de maraudes à l’approche et pendant les jeux », explique Antoine de Clerck.
Le coordinateur regrette un manque d’informations et « des messages contradictoires » des autorités. « La préfecture de police assure qu’il n’y aura pas de mesures spéciales en dehors des zones de restrictions de populations, et en même temps le ministère des transports fait une grande campagne pour dire de limiter les déplacements », appuie-t-il. Le collectif, reçu à nouveau cette semaine par le Cojop et la ville de Paris, espère faire entendre ses propositions.
Une billetterie solidaire pour les personnes sans-abris
Thierry des Lauriers, directeur général de l’association Aux captifs la libération, dénonce également un manque d’information sur l’organisation des Jeux olympiques. « Aujourd’hui, il y a peu de choses tangibles. C’est difficile parce que devant une organisation qui ne sait pas ce qu’elle va faire, on ne peut pas apporter de solutions », explique-t-il. L’association, qui accompagne les personnes de la rue et les personnes prostituées, a rejoint Le revers de la médaille ; « un cri du cœur pour dire aux pouvoirs publics de ne pas oublier les personnes de la rue », explique son directeur général.
Malgré la fermeture à prévoir d'une de ses antennes située à proximité du Parc des Princes, l’association compte bien continuer ses activités durant les Jeux olympiques. « Il faudra s’adapter. Il y aura certainement des personnes de la rue qui seront bousculées », note Thierry des Lauriers. Aux captifs, la libération a notamment postulé pour obtenir à ses bénéficiaires des billets dans le cadre de la billetterie solidaire. L’association espère assister à des entraînements et prévoit d’organiser des animations culturelles et sportives autour des Jeux olympiques. « Chaque antenne fait preuve de créativité, c’est dans nos gènes », met en avant le directeur général.
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L’envoi en région, un dispositif controversé
La question des évacuations des personnes à la rue en Ile-de-France et des propositions d’envoi dans les sas régionaux font également partie des préoccupations importantes des associations.
Parmi les bénéficiaires d'Aux captifs, la libération, deux seulement ont accepté de partir dans les sas régionaux mis en place par le gouvernement au printemps 2023, et ce malgré des propositions régulières. Les deux personnes sont revenues à Paris faute d'hébergement en régions, explique Thierry des Lauriers.
« Depuis l’été dernier, il y a une accélération des évacuations des campements informels et des lieux de vie précaires en Île-de-France », rapporte Théo Férignac, membre du collectif Accès au droit. Depuis le début de l’année 2023, elles ont lieu à un rythme hebdomadaire, tous les mardis matins. De plus, depuis le printemps dernier, les évacuations sont systématiquement accompagnées de propositions d’envoi dans les dix sas régionaux mis en place par l’État. Des bus à destination des différents centres en France proposent aux personnes tout juste délogées de les y conduire.
Le dispositif soulève de nombreuses interrogations. « Si la personne refuse de partir en région, l'État ne propose pas d’autre orientation », affirme Théo Férignac. Or, beaucoup de personnes, qui ont des procédures de demande d’exil en cours, un travail ou des relations, refusent de partir de la région parisienne par peur de se retrouver isolées, explique le membre du collectif.
« Les associations ne sont pas contre l’envoi en régions s’il est consenti, mais aujourd’hui le système est très opaque », explique Antoine de Clerck. En l’absence de chiffres officiels, les associations estiment à 60 % le taux de retour en région parisienne, faute de places d'hébergement dans les dispositifs régionaux.
Un « nettoyage social » ?
Outre ces départs en région, le collectif Accès aux droits pointe des évacuations autour des sites des Jeux olympiques, comme l’expulsion du squat Unibéton sur l’île Saint-Louis en avril dernier ou sous le pont Charles-de-Gaulle début février, et dénonce la pose de mobiliers, comme des pierres et des grillages, sous les ponts de la Seine, pour éviter aux personnes sans-abris de s’installer.
Face aux accusations, les autorités se défendent de tout « nettoyage social » de la capitale en vue des Jeux olympiques. « Personne ne prend prétexte d’un événement sportif pour régler un problème humanitaire » avait affirmé en avril 2023 sur France Info Olivier Klein, à ce moment-là ministre délégué à la Ville et au Logement, arguant que le dispositif de délocalisation régionale était plutôt lié à une volonté de remédier aux difficultés d’accompagnement des personnes sans-abris en Ile-de-France.
En décembre, la préfecture de la région d’Ile-de-France a assuré de son côté que l'État ne s’était pas fixé « d’objectif zéro SDF » à la rue en prévision des JO, mais à l’inverse qu’elle souhaitait débloquer des places supplémentaires d’hébergement d’urgence pour laisser un « héritage social ».
De son côté, face aux protestations, la Défenseure des droits, Claire Hédon s’est auto-saisie de « risques d'atteintes aux droits et libertés ainsi que d'éventuelles situations de discrimination » pendant les Jeux olympiques et paralympiques. Ses conclusions sont attendues au plus tôt en avril.
Elisabeth Crépin-Leblond