L’association Article 1 fête ses vingt ans, entre colère et espoir
Depuis vingt ans, l’association Article 1 développe le mentorat pour lutter contre les inégalités des chances. Si le dispositif connaît un déploiement important ces dernières années, notamment grâce au soutien gouvernemental, l’association relève des freins sociaux toujours présents.

Le mentorat, une réponse à l’inégalité des chances ? Depuis maintenant vingt ans, Article 1, née de de la fusion entre les associations Frateli, fondée à l’initiative de l’ancien conseiller ministérielle Boris Walbaum, et Passeport Avenir, créé par Benjamin Blavier, ancien responsable des ressources humaines chez SFR et actuel délégué général du Centre français des fonds et fondations (CFF), s’est donnée pour mission d’accompagner dans leurs études et leurs vie professionnelles des jeunes issus de milieux sociaux populaires et défavorisés.
Un engagement pour « une société où l’orientation, la réussite dans les études et l’insertion professionnelle ne dépendent pas des origines sociales, économiques et culturelles », et pour redonner son sens à l’article 1 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune. »
Réseau solidaire, formation, programme d’accès au logement… Pour mettre à bien son projet de lutte contre le déterminisme social, l’association développe une série d’actions à destination des jeunes, construites autour de son dispositif historique : le mentorat.
Pallier les inégalités dans l’accès à l’information et dans les codes sociaux valorisés
Ce dernier réside dans l’accompagnement personnalisé d’un jeune par un professionnel bénévole, qui lui communique des informations, des conseils, des contacts et le soutient dans son projet. Une manière, selon l’association, de briser les barrières sociales et de lutter contre l’autocensure des personnes issues de milieux défavorisés.
À l’occasion d’une soirée organisée le 15 janvier pour l’anniversaire des vingt ans d’Article 1, plusieurs jeunes accompagnés témoignent.
« La colère est une vraie force. Elle nous permet d’aller chercher l’information qui nous a manqué », soutient Abigaël Dellal, qui se présente comme la fille d’une mère employée de maison et d’un père au chômage. Accompagnée par l’association, l’actuelle étudiante à l’école de commerce Skema dit avoir trouvé auprès de son mentor de l’aide pour réussir les concours d’accès aux écoles de commerce et une source de confiance en l’avenir. « Les métiers du conseil, par exemple, personne n’en parle dans la rue », soulève-t-elle, pour marquer le manque d’informations sur les orientations professionnelles dont souffrent de nombreux jeunes.
« Autour de moi, je n’avais pas de repères », appuie un autre jeune accompagné par Article 1, ayant grandi à la cité des Lillas à Aubervilliers, seul avec sa mère originaire du Sri Lanka. « Je n’avais pas les codes de l’entreprise », met en avant celui qui a intégré Sciences Po Paris, puis Skema, par le biais de l’Institut de l’engagement, un programme qui récompense des jeunes ayant réalisé une mission de service civique, de volontariat ou de bénévolat consistant.
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Des difficultés persistantes
Des histoires personnelles qui pointent les inégalités sociales et semblent dessiner les contours d’une « success story » associative.
Ces dernières années, le dispositif phare de l’association a retenu l’attention des pouvoirs publics, qui lui ont accordé une attention particulière. Dans le cadre du plan gouvernemental « 1 jeune, 1 mentor », Article 1 a ainsi lancé il y a quatre ans sa plateforme digitale intitulé DEMA1N.org, dont le but est de permettre à des professionnels de s’inscrire pour devenir mentors bénévoles et de bénéficier d’un accompagnement de l’association.
Cette démocratisation du dispositif lui a permis de se déployer de manière importante. « Ce sont 100 000 jeunes qui sont accompagnés chaque année », relève ainsi Benjamin Blavier en introduction de la soirée.
Pourtant, quand le cofondateur de l’association décrit les émotions qui l’animent aujourd’hui, c’est la colère qui vient en premier. « Cette situation persistante d’inégalité des chances ruine tout ce en quoi nous avons envie de croire », confie-t-il, à la lecture d’une enquête réalisée auprès de jeunes de 20 et 21 ans, avant d’évoquer malgré tout sa gratitude, sa fierté et même sa sérénité. « Face aux idées mortifères qui gagnent du terrain, j’ai envie de passer de la colère à l’exigence », affirme Benjamin Blavier.
Présent à la soirée, Adrien Naselli, journaliste à Libération et auteur du livre-enquête Et tes parents, ils font quoi ?, évoque quant à lui la situation des « transfuges de classe », toujours en minorité dans les grandes écoles françaises dont l’École normale supérieure de la rue d’Ulm qu’il a fréquentée.
Dans une société dont la confiance en sa capacité à diminuer les inégalités sociales tend à diminuer, le soutien du gouvernement au mentorat comme politique d’égalité des chances n’est pas exempt de critiques. Jérôme Gautié, directeur de l’évaluation du plan “1 jeune, 1 mentor” par l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (Injep), évoquait par exemple l’année dernière à Carenews des durées de mentorat trop courtes. « Dans ces cas-là, la relation n'a pas d'effets positifs et peut même avoir des effets négatifs », analysait-il.
Article 1 de son côté continue de garder espoir et d’accompagner les jeunes dans leurs projets. « Vingt ans, c’est l’âge de la fragilité, de la curiosité, de l’énergie. Pour beaucoup c’est aussi l’âge de la précarité », rappelle l’écrivain François-Henri Désérable, invité par l’association.
Élisabeth Crépin-Leblond